Banquiers centraux: comment régler l’inflation en huit coups 

Publié le 24 juin 2022 à 18h23

Jean-Paul Betbèze    Temps de lecture 4 minutes

1. Répétez « 2 % » : n’hésitez pas. Dites continûment que vous voulez atteindre ce « 2 % », puisque tel est votre « mandat », autrement dit ce pour quoi vous percevez votre... chèque. Dites-le, d’autant plus fort que l’inflation atteint 8,6 % aux Etats-Unis et 8,1 % en zone euro. Ainsi, nul ne pourra dire que vous l’auriez oublié.

2. Ne laissez jamais déraper l’ancrage des anticipations des marchés, des experts, des patrons et surtout des gens, trop au-dessus de ce « 2 % ». Les chiffres sur l’inflation sous-jacente, hors produits alimentaires et énergie (essence, gaz et électricité), doivent être votre souci permanent. Mais ceux que vous excluez sont ceux qui montent le plus et se mettent à contaminer les autres ! Vous savez bien que cette hausse conjointe vient de la guerre d’Ukraine, donc du gaz et du pétrole de la Russie, qui s’entend avec l’Arabie saoudite pour pomper plus, pour plus cher ! Et si le président Biden fait baisser le prix de l’essence en puisant dans ses stocks stratégiques, ou si Macron le fait baisser par des chèques inflation, n’importe ! Pareil pour le blé : la Russie est derrière, mais le risque de spirale inflationniste par les salaires surtout. Donc, montez les taux !

3. Ne dites jamais que vous vous êtes trompé(e). Certes, voilà plusieurs années que les prévisions des banques centrales sont fausses sur l’inflation. Vous direz alors, avec raison, que le Covid-19 n’a pas aidé, comme la guerre d’Ukraine, mais vous expliquerez que les tombereaux de monnaie déversés lors des quantitative easings aux Etats-Unis, puis en zone euro pour éviter la catastrophe déflationniste, ont bien réussi, mais alimentent aujourd’hui la demande, qu’il faut calmer. Répétez vos classiques : l’inflation est toujours un phénomène monétaire, mais qui se manifeste toujours avec un retard imprévisible !

4. Ne parlez jamais des problèmes des autres, mais tenez-en toujours compte : chaque banque centrale regarde « ses » prix. Ce qui se passe ailleurs vous intéresse bien sûr, tout comme ce que décident vos politiques (et ceux des autres), mais motus. Restez les yeux fixés sur votre radar d’inflation, en calculant les trajectoires qui peuvent l’affecter, surtout celle de la Fed.

5. Ne dites jamais que vous n’avez plus d’outils, dites au contraire que votre toolbox est inépuisable. Une banque centrale n’est jamais à court d’idées, parce qu’elle n’est jamais à court de munitions : elle crée la monnaie. Bien sûr, une banque centrale peut être en perte, elle demandera alors à son Trésor de la renflouer ou, pire, à force de soutenir son économie par des crédits devenus douteux, elle peut mettre en cause sa devise. Mais ni la Fed, ni la BCE n’admettront ces risques, à raison puisqu’il s’agit du dollar et de l’euro, et qu’il n’y a pas mieux. Attention quand même : vos limites, pour tous, sont les politiques et les marchés. Ils vont critiquer et réagir, avec retard et excessivité : c’est leur jeu, donc parlez-leur sans arrêt.

6. N’évoquez jamais « votre » théorie, mais les canaux de transmission de votre politique monétaire, quitte à en ajouter au besoin. Une banque centrale est éclectique, l’essentiel étant que « ça marche ». Elle sait que la monnaie finit toujours en inflation, puisqu’elle en crée et en laisse créer beaucoup, pour éviter le pire : la déflation, et pour faire tourner la machine le reste du temps. Donc, elle fait toujours face à l’inflation, sa créature, et doit monter ses taux pour la calmer, vers 2 % bien sûr.

7. Ne soyez surtout pas lié(e) à des « règles », de Taylor ou autres. Pour dire que vous naviguez à vue, vous indiquerez plutôt que vous êtes data-dependent. Et, pour préciser vos intentions, vous donnerez deux ou trois de vos prochains mouvements dans des formulations assez vagues, de façon à créer une « ambiguïté stratégique », dans laquelle vous pourrez tranquillement avancer. Vous pourrez y ajouter « gradualisme » et « flexibilité ».

8. Et en cas de difficulté, utilisez toujours le spectre de 1929 pour calmer les critiques et gagner du temps.

Application pour la Fed le 15 juin : facile, hausser les taux de 0,75 % et annoncer des doses voisines. Aux autres, les problèmes !

Application pour la BCE, le 9 juin : plus difficile, annoncer + 0,25 % en juillet et peut-être + 0,5 % en septembre. Mais pour éviter le risque italien de dislocation, préparez un bazooka et surtout lisez le maître Draghi en 2012 !

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite à l’université Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

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