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Communication financière : raisonner à long terme, un atout en pleine crise ?

Publié le 22 janvier 2021 à 17h26

Jean-François Boulier

Afin de mesurer l’efficacité de la gouvernance de grands groupes sur un plan notamment boursier, plusieurs chercheurs se sont intéressés à la dimension court-termiste ou long-termiste de leur communication financière. Couvrant les pratiques des entreprises de l’indice américain S&P 500, leur étude présente l’intérêt de prendre en compte les effets de la crise financière de 2008 et les premiers impacts de celle de la Covid-19.

Dans leur article intitulé « The good governance crash test : Covid 19 » et publié mi-2020, Didier Cossin, le directeur du centre de gouvernance de l’IMD de Lausanne, et deux autres chercheurs, Pascal Botteron et Abraham Hongze Lu, analysent les performances financières et boursières des entreprises de l’indice américain S&P 500 au travers d’un score original de gouvernance. A partir d’une lecture des rapports publics publiés par ces émetteurs, ils discriminent le vocabulaire employé selon l’orientation à court terme ou à long terme des mots choisis dans la communication, afin d’établir un tel score. 

Sur cette base d’analyse textuelle innovante, ils répartissent les sociétés concernées en cinq groupes : le premier avec les 20 % les plus orientées vers le long terme jusqu’au cinquième regroupant les 20 % les plus court-termistes. Ils comparent ensuite les résultats économiques et financiers moyens de ces groupes, en particulier en étudiant la différence entre le premier de ces groupes et le cinquième.


Des effets manifestes sur l’emploi

Les différences de comportement sont bien notables. C’est le cas par exemple sur la fréquence de licenciements secs, qui sont deux fois moins nombreux pour le groupe le plus « long terme ». De plus, les dépenses de recherche et développement rapportées au chiffre d’affaires sont environ 5 fois supérieures pour ce dernier et la rentabilité sur fonds propres 2,5 fois supérieure pendant les 15 dernières années en comparaison avec le groupe le plus « court terme ». La différence d’orientation entre le court terme et le long terme influence aussi fortement la performance boursière des émetteurs sur la période 2007-2020. En effet, ceux appartenant à la catégorie la plus long-termiste voient leur cours être multiplié par 5 en moyenne, alors que celui des sociétés les plus court-termistes stagne. Enfin, sur la période plus récente, le choc du premier trimestre 2020 sur le prix des actions est de – 11 % en moyenne pour le groupe « long terme », contre - 30 % pour le groupe « court terme ». Les auteurs montrent que la différence était également importante pendant la crise financière de 2008. 

Sur la période 2007-2020, les groupes du S&P 500 dont la communication financière est tournée vers le long terme ont vu leur cours être multiplié par 5 en moyenne, alors que celui des sociétés ayant une approche plus court-termiste a eu tendance à stagner.


Un meilleur score ESG

Alors que l’examen relatif à la gouvernance d’un groupe repose habituellement sur la composition des organes dirigeants et sur leur fonctionnement, l’analyse de l’orientation stratégique au travers de la communication se révèle non seulement novatrice, mais aussi riche d’enseignements. Elle l’est d’autant plus que l’analyse des comportements pendant les crises apparaît beaucoup plus révélatrice des caractéristiques intrinsèques des entreprises, bien davantage que toute mesure classique en temps normal. Bien entendu, les caractéristiques sectorielles mériteraient d’être étudiées plus en profondeur. En outre, le lien avec d’autres aspects d’une démarche de responsabilité d’entreprise gagnerait à être mieux exploré dans la mesure où la communication n’est parfois, malheureusement, qu’une façade. 

L’article mentionne par exemple que le groupe « long terme » présente un meilleur score ESG (selon deux fournisseurs d’analyse ESG) ; aussi, l’approche mériterait d’être complétée par de plus nombreuses mesures effectives de l’orientation de long terme.Il serait désormais intéressant d’avoir le même type d’analyse sur les marchés européens, ainsi qu’avec une perspective historique, car l’investissement responsable a gagné en audience ces dernières années, en particulier en Europe. Dans cette perspective, on peut retenir que l’utilisation de décryptage systématique de textes est très prometteuse, comme ce travail tend à le démontrer. 

Jean-François Boulier Président d'honneur ,  Af2i

Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.

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