Délais de paiement : pour une LME bis
D’après l’Observatoire des délais de paiement, ceux-ci ont baissé de cinq jours entre 2008 et 2011. Une part importante de cette réduction est due à la mise en place de la LME, qui fixe légalement le délai maximum pour payer son fournisseur. Mais la conjoncture a aidé : le poste clients est moins garni quand les affaires stagnent, ce qui fait baisser mécaniquement le délai calculé. Cette réduction de cinq jours est insuffi sante. Le délai de paiement avait baissé de quatre jours entre 2000 et 2007, pourtant sans appui législatif et dans une conjoncture haussière. Il n’est pas normal, avec 54 jours en moyenne selon l’Observatoire, que la France conserve des délais supérieurs de 20 jours à la plupart des pays comparables ; ni que le crédit commercial représente plus d’un quart du PIB français, quand il est de 14 % en Allemagne.
Il faut donc une étape de plus, en même temps qu’une simplifi cation du régime légal. La durée maximale est aujourd’hui fixée au choix de l’entreprise, soit à 60 jours calendaires, soit à 45 jours fin de mois. Certaines entreprises se sont dépêchées d’interpréter cette dernière définition comme «fin de mois + 45 jours», ce qui peut rajouter encore 15 jours au délai. D’où une proposition simple : passons le délai légal à 45 jours calendaires et oublions le «fin de mois». Pour reprendre le fil, les délais de paiement ont sans nul doute leur utilité. Au niveau de l’entreprise, ils représentent la seule vraie forme d’assurance contre le litige commercial. Le principe du commerce depuis toujours, c’est le caveat emptor : que l’acheteur fasse attention ! Si donc il y a non-conformité de la livraison par rapport aux termes du contrat d’achat, l’acheteur est bien content d’avoir différé son paiement pour purger son litige en meilleure posture.
Au niveau macroéconomique, ces délais, mouvants selon la conjoncture, ont aussi une vertu d’amortisseur. Il y a trois «mais». Le premier est que la souplesse macroéconomique a ses limites. Trop tirer sur l’élastique peut mettre une entreprise en défaut, et provoquer par contagion une cascade de défaillances. Le second est qu’en différant son paiement, l’acheteur transforme son fournisseur en créancier. Or, curiosité des droits commerciaux, le fournisseur, pourtant moins solide souvent qu’une banque et certainement que les marchés financiers, est le plus mal traité de tous les créanciers. D’abord parce que la créance commerciale ne porte pas d’intérêts.
Surtout parce que la punition en cas de non-paiement est beaucoup plus gentille : essayez seulement de rater une mensualité ou un coupon de votre emprunt auprès d’une banque ou des porteurs obligataires, et c’est immédiatement la foudre d’une possible mise en faillite. Rien de tel de la part du fournisseur dont on fait traîner la facture dans un tiroir, surtout s’il s’agit d’une PME. Soit dit en passant, il est heureux qu’il y ait les assureurs crédit, malgré le mal qu’on dit parfois sur eux, pour discipliner le marché du crédit commercial et pour protéger les fournisseurs. Le dernier «mais» vient des progrès techniques dans la pratique des affaires. La gestion optimisée des stocks, l’étiquetage électronique, la qualité croissante des services de transport, la part croissante dans l’économie des métiers de service (où les litiges sont plus rapidement observés), tout milite à faire baisser le risque de litige commercial et à en raccourcir le délai.
Et donc, à faire baisser aussi les délais de paiement. Pourtant, ils ne diminuent que très lentement. Pourquoi ? Parce que ceux-ci obéissent à des conventions et pratiques établies de longue date dans chaque industrie, où d’ailleurs prévalent des rapports de force souvent inéquitables. De plus, on n’accepte de baisser ses délais clients qu’à condition que ses fournisseurs en fassent autant. Cette demande de réciprocité justifie bien sûr les cris d’orfraie des syndicats professionnels quand on veut toucher aux délais de paiement. Il n’y a donc que la loi pour faire bouger les choses rapidement et de façon coordonnée.
L’Observatoire des délais de paiement a été assez timide dans les recommandations de son rapport de 2012, sous la pression des intérêts catégoriels. Il juge qu’il faut d’abord faire appliquer la LME en l’état avant toute autre réduction. Mais, cinq ans après cette loi, les retardataires ne bougeront à présent que sous la pression d’une nouvelle baisse légale. Il faut certes que chaque industrie puisse garder ses pratiques propres, mais avec une discipline simple : le tout sous un délai maximum de 45 jours. Il faut une nouvelle LME.
François Meunier est économiste, ancien président de la DFCG
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