Enfin des salaires qui remontent !

Publié le 22 mai 2015 à 17h24    Mis à jour le 26 mai 2015 à 16h45

Jean-Paul Betbèze

Plus de salaires aux Etats-Unis en mars, du mieux chez Nissan et en Allemagne. Enfin de meilleures raisons d'attendre une première hausse des taux courts aux Etats-Unis en septembre ! Il était temps pour ces banques centrales en quête d'inflation ! Pour éviter le pire, on le sait, elles ont eu recours à des politiques monétaires extraordinaires en achetant des bons du Trésor. Elles ont fait baisser les taux courts et longs pour que les profits remontent, donc les bourses, et pour que les taux de crédit baissent, poussant à l'investissement. Alors l'emploi devait repartir, puis les salaires, puis les prix.

Cette hausse des prix devait contribuer à la baisse des taux réels, au moment où les taux nominaux remonteraient. Mais voilà : l'augmentation des prix est plus lente que jamais, parce que celle des salaires l'est plus encore. Que devient donc la boîte à outils inflationniste !

D'abord le déclic inflationniste ne peut plus venir de l'impôt, or il n'y a pas plus rapide. La hausse de la TVA a plombé la timide reprise japonaise et plus personne ne s'y lancera ailleurs, tant pour des raisons économiques que politiques. Ensuite, le déclic inflationniste ne peut venir d'une hausse du pétrole. Certes le prix du baril a beaucoup remonté récemment, de 45 à 60 dollars entre janvier et avril 2015, mais ceci s'est produit après une chute spectaculaire : il était à 100 en septembre 2014.

Et la hausse actuelle est hésitante tant la demande des pays émergents est poussive (en liaison avec la Chine), tant l'offre peut reprendre aux Etats-Unis et surtout en Iran, si un accord se signe. Les stocks sont élevés (près de 500 millions de barils), les prix semblent repartis à la baisse. Faute de mieux, le déclic inflationniste sera donc salarial.

Il partira de l'économie réelle. Il permettra de faire remonter les taux courts partout et de normaliser les politiques monétaires en leur donnant une bonne raison : le pire est passé, il faut consolider l'avenir. Dans cette perspective, les Etats-Unis devraient (ou pourraient) commencer à remonter leurs taux courts en septembre. Ceci permettra de réduire les bulles obligataires et de crédit qui s'y développent, nées précisément des politiques monétaires exceptionnelles. Mais cette "inflation salariale" est très particulière.

Regardons donc ces Etats-Unis, les premiers sortis de crise à ce qu'on dit : l'inflation n'est pas encore là, mais le coût du travail vient de passer à + 2,6 % sur un an en mars, contre + 2,2 % en décembre. Les salaires sont repartis, mais bien plus lentement et avec moins d'emploi que "d'habitude", alors que nous avons un taux de chômage de 5,4 % ! "D'habitude", ceci veut dire "après une récession normale".

Pourquoi ? Parce que la situation américaine n'est pas "normale" : une mutation du système productif se passe sous nos yeux. Les salaires américains cumulent trois mouvements : hausse soutenue pour les emplois qualifiés très recherchés (big data, informatique, réseaux sociaux, etc.), progression moyenne des salaires et des effectifs dans les services (santé par exemple), très faible hausse, avec baisse des effectifs, pour des qualifications moyennes.

La hausse lente des salaires américains accompagne ainsi une recomposition des emplois, salaires et qualifications. C'est pourquoi elle a encore un effet faible et retardé sur les prix. C'est pourquoi, aussi, la consommation reprend si lentement. La zone euro est une Amérique en pire. Elle a un peu plus de croissance (1 %), toujours pas d'inflation (0 %), et 11,3 % de taux de chômage. L'euro qui se reprend fait penser que l'inflation ici sera encore plus faible et lente qu'aux Etats-Unis.

La seule économie en plein emploi est l'Allemagne (4,7 %), avec une inflation à 0,3 % et des salaires en hausse de seulement 1,7 %. Avec la politique monétaire de la BCE qui va se poursuivre sur un an au moins, on peut donc penser que la reprise par la compétitivité et l'investissement, autrement dit par la remontée des profits et les réformes, notamment dans le marché du travail, n'apportera pas beaucoup d'inflation.

Parce que la recomposition dans la révolution technologique en cours sera très lente. Enfin des salaires qui remontent... aux Etats-Unis, pas ici : nos taux vont donc monter ici moins que là-bas. Il faut en profiter pour investir en capital et plus encore en capital humain. Ce n'est qu'ainsi que notre croissance repartira... puis les salaires, puis l'inflation.

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite à l’université Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

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