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Engagement actionnarial : des résultats probants
L’engagement actionnarial se développe depuis une dizaine d’années, grâce notamment aux efforts collaboratifs de certains investisseurs. L’association internationale UN PRI (United Nations Principles for Responsible Investment) liée aux Nations unies a notamment mis en place une plateforme permettant à ceux de ses membres qui le souhaitent d’agir de concert sur une entreprise ou un groupe d’entreprises. Après quinze ans d’existence de cette plateforme, un premier bilan montre l'action probante d'une minorité d'investisseurs très active.
Dans un article récent intitulé « Which institutional investors drive corporate sustainability ? », quatre chercheurs européens s’intéressent au succès des campagnes d’engagement des UN PRI et analysent les caractéristiques des investisseurs les plus actifs. Ils comparent trois groupes d’investisseurs, les leaders qui dirigent au moins une telle campagne, les suiveurs qui sont aussi actifs dans les campagnes et les autres membres des PRI. Les leaders ne possèdent qu’environ 2 à 3 % des actifs financiers, une part modeste comparée aux 15 et 20 des deux autres catégories. Leur participation tend à être stable et leur nombre augmente sur la période de 2010 à 2021 (on en compte une centaine). Deux tiers de ces leaders sont européens, les autres principalement américains. Les chercheurs se sont intéressés aux effets de leurs actions sur les scores ESG (en prenant la moyenne des scores de trois agences) ainsi qu’aux controverses auxquelles les entreprises font face (base de données RepRisk).
Cette étude montre sur cette période que les scores ESG des entreprises détenues par les leaders sont plus élevés que ceux détenus par les deux autres catégories d’investisseurs. L’accroissement de ces scores est de plus très sensible après leurs campagnes, alors que les scores des entreprises détenues par les suiveurs, qui prennent pourtant part à ces campagnes, n’évoluent pas significativement. En outre, les controverses des entreprises détenues par les leaders sont moins fréquentes que celles des détentions des deux autres catégories. De plus, alors que les investisseurs non-membres des UN PRI tendent à vendre après l’événement source de controverse, les leaders, eux, gardent leurs titres, sans doute pour agir par la suite.
Un levier d’influence considérable
Ainsi donc, l’action de concert d’un nombre relativement réduit, une centaine, comparée aux quelque 67 000 investisseurs adhérents aux UN PRI, est capable de faire bouger les entreprises qu’elles financent en ne détenant pourtant qu’une modeste part de leur capital. La plateforme offre donc un effet de levier d’influence considérable. Elle n’est sans doute pas la seule, car cette étude ne considère que les UN PRI sans analyser d’autres groupements d’investisseurs. Dans une autre étude notamment, Nicolas Mottis montre comment Total, d’abord réfractaire à des demandes d’investisseurs, a finalement plié devant un groupe réunissant environ 2 % de sa base d’actionnaires mais dont la résolution a obtenu plus de 19 % des votes en assemblée générale, ce qui a amené ultérieurement l’entreprise à se doter d’une stratégie climat et à changer de nom...
Ces actions d’engagement sont différentes de celles des activistes financiers qui visent des transformations à court terme en vue de gains à court terme. Ici, les efforts consentis par les investisseurs sont patients mais non moins coûteux en temps et en ressources. Pourtant dans ce domaine aussi, l’union fait la force et une bonne organisation de ces ressources expertes et rares s’avère efficace. Notons bien que ce n’est pas le marché qui transmet ces influences, comme la théorie de l’efficience pourrait le laisser croire, mais bien les détenteurs eux-mêmes qui pèsent sur les décisions des entreprises ; de plus, les investisseurs ne vendent pas nécessairement leurs titres en situation défavorable. Ils trouveront sans doute les voies et moyens de se faire entendre, et le marché suivra...
Which institutional investors drive corporate sustainability ?
Marco Ceccarelli, Simon Glossner, Mikael Homanen, Daniel Schmidt
Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.
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