Forward guidance : les banques centrales prises au piège ?

Publié le 21 octobre 2013 à 15h00    Mis à jour le 24 octobre 2013 à 19h20

Jean-Paul Betbèze

La forward guidance part d'une excellente idée : éviter que les marchés ne s'affolent et que les taux longs ne remontent trop vite quand les politiques monétaires, qui les tiennent trop bas, vont peu à peu se réduire. En d'autres termes : pas d'overshooting à la sortie ! Les banques centrales vont alors se mettre à échanger plus avec les marchés et leur faire part autant que possible de leur «logiciel». L'idée est de leur montrer comment elles analysent la situation présente et future. Bien sûr elles ne peuvent pas «tout dire» (politique, diplomatie, influences diverses...), ni ne peuvent trop s'avancer, car elles ne savent pas tout. Mais c'est un vrai changement.

La forward guidance est un changement total pour la BCE qui répétait toujours : we never pre-commit. «Nous verrons la prochaine fois» quelle est la situation et comment nous y répondons, en fonction de nos objectifs et de notre mandat. La BCE ne voulait pas se mettre dans la main des marchés, héritière en cela de la BUBA, la Banque centrale allemande qui, seule de son espèce, les tenait en respect.

La forward guidance est aussi un changement de démarche pour la Fed. Bien sûr, la Fed entrait davantage que la BCE dans l'échange avec les marchés. Impossible de faire autrement dans un pays financé à 70 % par les marchés et à 30 % par les banques, alors que c'est l'inverse pour la BCE. Mais la Fed préférait quand même peindre de vastes fresques sur le futur que de dire ce qu'elle ferait dans les six mois. Alan Greenspan excellait dans ces exercices de style.

La forward guidance est, au fond, une conséquence de la crise. Une conséquence qui a un effet inévitable : elle va faire perdre de l'argent à ceux qui ont acheté des bons du trésor il y a quelques années, quand les rendements étaient plus bas, mais elle entend le faire graduellement. Même douce, elle appauvrit. Donc, aussi longtemps que le tapering (c'est à dire la réduction du programme d'achats d'actifs par le Fed) s'annonce sans se faire, donc que la forward guidance est le statu quo, tout le monde est content.

Des experts se disent quand même qu'il y a là une contradiction : une guidance de l'immobilité ! Ils ajoutent qu'il faudra en sortir et que plus tard ce sera plus cher. D'autres se disent que c'est ainsi que se crée une sortie inflationniste d'un nouveau genre, sur le modèle japonais. D'autres enfin rêvent, ou parlent, d'une banque centrale prise au piège, capturée, donc moins crédible et plus fragile.

Rêve, cauchemar ? Comment en sortir ? La forward guidance reste une bonne idée, mais il est inutile de penser qu'elle évitera les ajustements. Elle devra bien commencer par organiser le désendettement public, car c'est le fin mot de l'histoire. Les entreprises et les ménages ont compris que le monde a changé et qu'il faut surveiller le crédit. On voit la désintermédiation se mettre en place, avec des financements à des prix de marché supérieurs aux taux bancaires actuels et assortis de remboursement «bullet» c'est à dire in fine. Peu à peu, la finance (entreprises, assurances...) se décale des taux courts et prend de l'avance sur les taux longs. Les Etats n'ont pas encore intégré la donne. Or ils se financent sur sept ans.

Ils vont donc absorber sur cette période le nouveau niveau des taux, au moins leur doublement pour les plus bas (Etats-Unis, Allemagne, Japon). Avec cette méthode, ils peuvent penser que ceci sera stabilisé. C'est l'objet et c'est excellent, mais pas plus. S'ils rêvent d'une forward guidance «pour les autres» ou «indolore», ils se trompent : c'est pour eux et pas indolore.

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite à l’université Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

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