France : quand tout le monde est sur les nerfs, comment sortir de la récession ?

Publié le 27 septembre 2013 à 14h55    Mis à jour le 24 octobre 2013 à 19h17

Jean-Paul Betbèze

Nous sommes en récession en France. Plus exactement : nous nous sommes mis en récession. Comment ? En sous-estimant la nature de la crise, une crise de l’efficacité de la production et pas de la finance, donc en surestimant notre capacité de rebond  pour profiter d’un environnement global plus porteur, et en surestimant la capacité des entreprises et des ménages français à absorber le choc fiscal de la fin de l’année dernière – dans l’optique de réduire rapidement notre défi cit public. L’erreur de fond, c’est de ne pas prendre assez en compte ce qui se passe dans le tissu productif français, avec l’effet de la baisse des marges des entreprises (27,7 % de la valeur ajoutée à fin 2012), soit le point le plus bas depuis plus de dix ans, avec une vraie chute depuis deux. Cette chute s’explique, en amont, par la montée des impôts liés à la production.

Puis, cet excédent brut d’exploitation en baisse est affecté par une très forte hausse des impôts sur les sociétés, qui conduit à une baisse du revenu disponible des entreprises de près de 9 % d’un trimestre à l’autre, à la fin de 2012. Les entreprises, fragiles et affectées par la fiscalité, sont sur les nerfs. Elles réduisent leurs stocks, puis leurs investissements. Mais l’histoire n’est pas finie, car le moral des entrepreneurs reste bas. Leur environnement est troublé, notamment fiscal. Découvrir que le multiplicateur fiscal est très fort en récession est tout, sauf une découverte, à plus forte raison si l’anticipation de remontée des profits n’est pas là. C’est bien ce qui se passe, puisque la fiscalité va peser sur les entreprises par la TVA et, pour les plus grosses, sur les très hauts salaires.

On objectera que ceci n’est plus aussi important. Faux : c’est le signal qui importe. On comprend alors que les ménages entrent dans cette nervosité. Ils se disent que les entreprises ne vont pas hausser les salaires, moins encore embaucher, tandis qu’ils ne voient pas baisser les dépenses publiques. Le soutien à court terme à la demande cherché par le gouvernement (effet «keynésien ») pourrait alors entrer en opposition avec une remontée du taux d’épargne (effet «ricardien»), sauf si tout est fait pour réduire la rémunération réelle nette des placements – ce qui est bien le cas, puisqu’elle est négative («répression fiscale»). Sans oublier le déblocage de la participation ! Comment sortir de ce guêpier ? Les prévisions officielles additionnent des points positifs pour 2014 : amélioration de la demande mondiale (Etats-Unis et Chine), arrêt du déstockage, effet du CICE (choc Gallois), remontée de la compétitivité par la décélération des prix…

Mais on entend parler aussi d’Italie, de fragilité bancaire et de credit crunch, du déficit public qui demeure, du rating français sous pression, de remontée des taux longs… Alors ? Alors, pour faire changer les anticipations des entrepreneurs, devenues ultra-sensibles, il faut mettre l’accent sur la réduction de la dépense publique et la remontée des profits, la première éloignant le spectre d’une fiscalité accrue, la seconde étant la seule bonne nouvelle attendue par les marchés. On le comprend, la marge est étroite et passe par deux messages. C’est d’abord la baisse nominale de la dépense publique agrégée : il s’agit de passer du «choc de la simplification» à sa traduction concrète en moindre dépense publique, donc en postes budgétaires supprimés.

C’est ensuite l’encouragement à la négociation salariale et sociale, à la suite des accords déjà signés dans l’automobile ou le pneumatique, avec l’engagement public que l’accord social deviendra loi, que la convention privée forgera la norme publique. Nous ne sommes donc pas sortis de l’auberge. Mais nos décideurs sous-estiment l’arme dont ils disposent, celle de la parole, celle des anticipations. Encore faut-il que les mots soient clairs : «La dépense publique va baisser de 1 % par an en euro courant jusqu’à la fi n du quinquennat», «il n’y aura plus de hausse de prélèvement à partir de 2014». Quand on voit à quel point les multiplicateurs fiscaux sont élevés et instables, c’est le moment de leur faire rebrousser chemin.

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite à l’université Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

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