La déflation, un fléau à combattre

Publié le 6 décembre 2013 à 15h50    Mis à jour le 30 avril 2014 à 18h14

Jean-Paul Betbèze

Mario Draghi vient d’abaisser le taux directeur de la BCE parce qu’il trouve l’inflation en zone euro trop faible : il a raison. Il ajoute qu’il est prêt à continuer à baisser les taux d’intérêt, puisque la zone euro est en désinflation. Certains pays de la zone corrigent en effet leurs excès (salariaux) passés, mais la zone elle-même n’est pas en déflation. Là encore, il a raison. La preuve c’est que les anticipations d’inflation sont toujours ancrées à 2 %. Les marchés financiers pensent ainsi que les prix remonteront bientôt. Les enquêtes auprès d’économistes montrent aussi que nous serons à 2 % dans deux ans – souhaitons-le. Enfin il y a des prix en hausse en zone euro, notamment liés à la consommation courante. Et le monde n’est pas en déflation !

Cela est essentiel car il n’y a pas, comme on le lit ou l’entend actuellement, de «bonne» ou de «mauvaise» déflation, comme pour le cholestérol. La déflation est une dynamique unique, et uniquement mauvaise, de baisse conjointe des prix et des quantités, autrement dit de baisse de l’activité, de l’emploi, des salaires… Il faut donc la combattre, car elle est catastrophique.

La déflation, c’est l’idée d’une baisse des prix qui est anticipée par les agents économiques, comme l’inflation est l’idée symétrique de la hausse des prix. «Demain ce sera moins cher» dit la déflation à qui veut consommer ou investir. Et il (ou elle) attendra donc demain pour consommer ou investir. Et comme il y aura alors moins d’achats, en attendant la baisse des prix de demain, il y a effectivement baisse des prix aujourd’hui… Et ainsi de suite : la baisse appelle la baisse. Le processus est auto-réalisateur. Il faut donc l’arrêter, en permettant non pas des taux très bas pour très longtemps, mais en faisant en sorte que ces taux permettent effectivement, pendant très longtemps, d’acheter et fassent donc que les prix anticipés remontent – avec la reprise.

Ainsi, quand Ben Bernanke annonce qu’il fera tout pour qu’une dynamique déflationniste ne s’installe pas, il a en tête le soutien aux banques et aux institutions financières, en les refinançant sans limite – pour éviter une crise mondiale majeure, puis aux entreprises en abaissant les taux longs – ce qui soutient la Bourse, puis aux ménages en abaissant les conditions de financement hypothécaires – ce qui soutient les prix du logement. Au fond, la FED lutte directement et indirectement contre la déflation en soutenant le prix des actifs, donc le «pouvoir d’achat» des entreprises et des ménages.

Cette stratégie n’est pas possible pour la BCE qui ne peut abaisser les rendements des emprunts d’Etat, au moins directement. La BCE doit agir surtout sur les taux courts en les baissant et en indiquant qu’elle va continuer à le faire. Mais elle se trouve alors face à une triple difficulté. La première difficulté est que la baisse des taux courts doit se répercuter sur les conditions de crédit bancaire, autrement la reprise ne peut se manifester. La deuxième difficulté est que la BCE doit menacer d’aller jusqu’à des conditions de taux négatifs sur les dépôts des banques commerciales en banque centrale… ce qui est potentiellement dangereux. La troisième difficulté est qu’elle doit relâcher les conditions de restriction du crédit… alors qu’elle est en pleine phase de régulation bancaire ! La BCE indique ainsi qu’elle envisage de pondérer à 0 % tous les bons du Trésor détenus par les banques de la zone… La BCE doit donc lutter contre la désinflation côté actif, autrement dit la trappe à liquidité et contre la désinflation côté passif, autrement dit contre le credit crunch.

La politique antidésinflation de la BCE est ainsi plus compliquée que celle, antidéflation, menée aux États-Unis. Elle est indirecte, avec plus de limites dans ses moyens. C’est pourquoi le diagnostic de Mario Draghi diffère, parce que le risque d’une déflation d’explosion bancaire et financière n’est pas présent et qu’il s’agit plutôt d’une longue période de basse croissance. Cette phase se traite par des taux de refinancement longtemps bas et une réparation bancaire. Ce n’est donc pas d’une «bonne déflation» qu’il s’agit, puisque cela n’existe pas, mais d’une longue désinflation. Ni Etats-Unis ni Japon : zone euro ! Une zone qui demande de nouvelles politiques de soutien : soutiens budgétaires adaptés, structures d’innovation fortes, démarche fiscale et budgétaire fédérale. Là aussi, il faudra du temps.

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite à l’université Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

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