La grande difficulté qu’il y a à prévoir le taux de change de l’euro
De façon assez logique en apparence, le taux de change de l’euro s’est déprécié depuis le début de l’année 2014, de 1,40 dollar/euro à un peu plus de 1,29 au début du mois de septembre. Cette évolution paraît logique puisque, au cours du premier trimestre 2014, se sont confirmées la faiblesse de la croissance de la zone euro et la reprise économique des Etats-Unis. La croissance de la zone euro va rester voisine de 0,5 % par an en 2014 et 2015, retenue par les grandes difficultés de la France et de l’Italie : problèmes d’offre (compétitivité et profitabilité insuffisantes) non résolus, nécessité de réduire les déficits publics.
Au contraire, la réindustrialisation des Etats-Unis s’est confirmée, avec le faible niveau des coûts salariaux, des prix de l’énergie. Même après l’arrêt du quantitative easing, l’économie américaine continue à se redresser, tirée par l’industrie manufacturière. Ceci implique bien sûr que les marchés financiers anticipent une politique monétaire de plus en plus expansionniste dans la zone euro, encore plus que celle décidée le 4 septembre par la BCE, et le début de la remontée des Fed Funds en 2015 aux Etats-Unis.
On pourrait donc se «laisser aller» à prévoir un affaiblissement encore plus grand de l’euro : 1,20, 1,10 ? Mais il faut être beaucoup plus prudent. On voit aujourd’hui que la zone euro a un excédent extérieur important, entre 2 et 3 points de PIB selon les trimestres, et que les investisseurs non-résidents sont massivement acheteurs d’obligations de la zone euro, pour 3 % du PIB environ en rythme annuel.
La dépréciation de l’euro ne vient que de la position spéculative courte sur l’euro, qui est d’aussi grande taille qu’au pire moment de la crise de la zone euro ; elle ne résulte pas du découragement des acheteurs d’actifs en euros. Il faut donc conserver à l’esprit deux scénarios.
Un scénario où la dépréciation de l’euro due aux positions spéculatives décourage les investisseurs institutionnels non européens (les Banques centrales, les investisseurs japonais qui se diversifient en devises). Il y aurait alors arrêt des achats d’obligations en euros par ces investisseurs, et recul violent de l’euro.
Un scénario où les spéculateurs prennent une partie de leurs profits, et où, l’euro se redressant un peu, les investisseurs à long terme poursuivent leur diversification en euro, ce qui conforte ce redressement.
Honnêtement, il est difficile de choisir entre ces deux scénarios, recul violent de l’euro (1,20, même moins ?), correction d’une partie de la baisse récente (1,32 ?).
Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Devenu en 1998 directeur de la recherche et des études de Natixis, il est promu chef économiste en mai 2013. Depuis septembre 2024, il est conseiller économique d'Ossiam. Il est également membre du Cercle des Economistes.
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