La patate chaude de la déflation mondiale
Peut-on expliquer la tempête boursière en cours avec un jeu de patate chaude, où on se passe la déflation ? Pas sérieux, sauf que c’est ce qui se passe. Posons-nous la question : le risque de déflation est-il plus important aujourd’hui qu’en 2008 ? Oui. C’est pourquoi, le 28 janvier 2016, la Banque centrale du Japon surprend le monde en faisant passer son taux de réserves «en territoire négatif». Et ce n’est pas fini. Attendons que Mario Draghi baisse encore ses taux (déjà négatifs) de réserves à la BCE. Le risque déflationniste ne diminue donc pas ? Et pourtant, voilà depuis 2008, avec la grande crise américaine qui suit les subprimes, que s’ouvre la grande crainte déflationniste et que tout est fait pour la contrer. On pensait le problème sinon résolu, du moins atténué. Alors, il existe encore ? Où ?
Les Etats-Unis, les premiers et les plus exposés, n’ont pas hésité. Il n’y avait pas d’autre solution, après le creusement du déficit budgétaire, que d’abaisser au maximum leurs taux d’intérêt à court, puis à long terme. On se rappelle le discours de Ben Bernanke « Deflation: Making Sure “It” Doesn’t Happen Here ». Nous sommes le 21 novembre 2002. Ben Bernanke annonce le risque, pour l’évacuer immédiatement (bien sûr), de deux manières. La première est (bien sûr aussi) la capacité de l’économie américaine, avec ses marchés résilients, à absorber les chocs. La seconde est la Banque centrale américaine, qui peut acheter des bons du Trésor. Ce sera le quantitative easing. Alors, cette «presse» à imprimer des billets ultra-efficace qu’est la Fed abaissera la courbe des taux, du court terme aux 10 ans !
C’est alors que se mène aux Etats-Unis une triple chasse : chasse pour pousser l’épargne à ne plus être rémunérée, sauf à s’investir et à prendre des risques, chasse pour pousser les banques à faire du crédit, sauf à ne plus avoir d’activité de crédit (le dépôt ne rapportant déjà plus !), chasse pour pousser les entreprises à racheter leurs concurrents, sauf à perdre l’occasion du siècle et à se faire sanctionner par les marchés.
Mais à ce moment-là, on n’a pas écouté la fin, pourtant essentielle, du message de Ben Bernanke : Here ! Dans un monde interconnecté, où il y a eu trop de crédit qui doit se contracter, il faut éviter que la déflation se produise… aux Etats-Unis. Donc pas here. Donc ailleurs. C’est la patate chaude !
Ailleurs où ? Au Japon bien sûr, pays où elle est installée depuis des décennies et où le quantitative easing se poursuit. Avec les Abenomics, elle se mène de plus en plus, avec plus de risque, jusqu’à mettre en péril, un jour peut-être, la monnaie elle-même. La croissance repart, pas l’inflation – qui retombe. Ailleurs où ? Au Royaume-Uni bien sûr, où la Banque centrale d’Angleterre achète très vite des bons du Trésor. Elle annonce ensuite qu’elle arrête, pensant que c’est suffisant. Elle attend depuis que le processus s’enclenche. La croissance repart, pas l’inflation – qui retombe. Ailleurs où ? En zone euro, bien sûr… et, enfin, avec retard compte tenu des problèmes politiques à résoudre. Cela donne une reprise qui repart lentement et une inflation qui ne repart pas plus qu’ailleurs, voire retombe. Et c’est alors que le pétrole baisse et qu’une nouvelle source déflationniste s’ouvre, suivie des autres matières premières !
Où en sommes-nous donc aujourd’hui avec le mal déflation ? Il se guérit aux Etats-Unis, mais se développe ailleurs. Toute la question est donc, pour les Etats-Unis, qu’il n’y revienne pas !
Les Etats-Unis sont la grande économie la plus avancée à sortir de déflation. Elle a officiellement achevé son QE en décembre 2015. Elle devrait donc continuer à monter ses taux courts et longs. Alors le dollar suivra. Ce sont donc les Etats-Unis qui peuvent se retrouver dans la situation inverse de 2008.
Alors, ils étaient les premiers à sortir de déflation en l’exportant, et désormais se trouvent en danger d’être son plus gros importateur ! On comprend la logique des exportateurs de déflation : baisser les taux d’intérêt. On comprend celle, additive, des émergents : baisser leurs monnaies contre le dollar. On comprend alors la partie à jouer des Etats-Unis : jouer autant que possible la montre sur leurs propres hausses de taux. Et, en plus, la nouvelle économie change la donne ! Cette Uber économie qui utilise moins de capital (d’autos, de logements, de bureaux…) est aussi, à sa manière, déflationniste. La patate n’a donc pas fini de circuler.
Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.
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