Plus de Quantitative Easing Européen, plus de problèmes

Publié le 20 novembre 2015 à 17h29

Jean-Paul Betbèze

0 % d’inflation sur un an : la déflation ne menace pas dit-on, mais les 2 % sont loin. Que va donc dire Mario Draghi le 17 décembre, quand il va annoncer des mesures nouvelles pour la BCE ? Il a été clair à Malte lors de sa dernière conférence : ce sera significatif, il faut être «vigilants» !

On peut comprendre l’impatience de Mario Draghi. L’objectif de la Banque centrale européenne est toujours «l’inflation à moyen terme à 2 %». Il fonde sa légitimité… quand elle l’atteint. Il y a donc péril en la demeure. C’est même parce que l’inflation n’était pas à 2 % que Mario Draghi a demandé les «pleins pouvoirs». Il les a eus, pour acheter des bons du Trésor à hauteur de 60 milliards d’euros par mois jusqu’à septembre 2016 au moins. En fait, jusqu’à ce que l’inflation donne des signes de redémarrage. C’est le quantitative easing version zone euro.

L’analyse économique de Mario Draghi est que la zone euro vit deux crises superposées. La première est une crise conjoncturelle, grave. Elle implique des réformes pour repartir, notamment par le profit et l’investissement. La deuxième est une crise structurelle, celle des nouvelles technologies. Elle implique que la crise conjoncturelle soit résolue pour que la seconde puisse être convenablement abordée. La baisse des taux est alors le moyen «officiel» pour dissuader d’épargner et pour s’endetter, pour investir et soutenir la Bourse. «Moyen officiel», car cette baisse des taux permet aussi d’affaiblir l’euro, mais sans le dire.

Le hic, c’est que c’est plus compliqué que prévu… par Mario Draghi lui-même ! Voilà une zone euro qui avance peu, voire qui ralentit : + 0,5 % au 1er trimestre 2015, + 0,4 % au 2e, + 0,3 % au troisième, avec une inflation à 0 %. Et cela après avoir fait baisser les taux courts à zéro, les taux longs partout, et «rémunérer» à - 0,2 % les réserves des banques à la banque centrale ! Voilà une banque centrale qui a acheté presque 900 milliards d’euros de bons du Trésor, dont des papiers portugais à 11 ans, espagnols à 10, italiens, irlandais et belge à 9 – donc qui prend beaucoup de risques… Et voilà le crédit qui repart à peine : 0,1 % sur un an aux entreprises et 1,1 % aux ménages, tandis que M3 augmente à 4,9 % sur un an, mais M1 à 11,7 % ! Peu de crédit et beaucoup de liquidités : voilà donc où passe le QE !

Alors, Mario Draghi veut en faire plus. Mais ce n’est pas simple. La première piste est d’abaisser encore le taux négatif des réserves. En théorie, c’est pour pousser les banques à faire plus de crédit. Mais, en pratique, les crédits faits par une banque deviennent des encaisses dans une autre : les crédits font les dépôts ! En même temps, et on n’en parle pas, cette rémunération négative est une taxe bancaire : 20 points de base sont un prélèvement d’1 milliard d’euros pour des réserves en excès de 500 milliards ! A - 0,30 %, pour des réserves supposées à 1 000, nous sommes à 3 milliards de taxes ! Moody’s a averti qu’elle est préoccupée de l’affaiblissement des banques qui peut en résulter. Et quel effet va avoir le paiement des dépôts sur les réseaux bancaires ?

La deuxième piste est d’acheter plus de papier public encore. Déjà en abaissant le taux de réserve, Mario Draghi peut le faire davantage. Mais l’idée est d’aller au-delà des 60 milliards par mois jusqu’à septembre 2016, ou plutôt d’acheter plus longtemps, ou encore d’acheter plus et plus longtemps. La conséquence en est l’abaissement de la courbe des taux, au moment où elle va se redresser aux Etats-Unis d’abord, au Royaume-Uni ensuite, avec les hausses attendues de la Fed puis de la BoE. L’euro en faiblira d’autant. Mais le risque est alors de faire peser sur les assureurs vie et les gestionnaires d’actifs des risques venant d’une clientèle mécontente des taux servis et de les pousser à chercher des produits plus risqués. On a vu pour les subprimes.

La troisième piste est d’acheter du papier obligataire privé, ce qui poussera les entreprises à aller plus vers le marché… Et que vont dire les banques ?

Au total, le QE n’est ni sans risque sur la structure de l’industrie financière – banques, assurances, gestionnaires d’actifs, ni sans risque de sortie – faisant prendre plus de risques aux investisseurs. La normalisation suscitera donc des chocs en zone euro, d’autant plus forts que les économies n’auront pas fait assez de réformes et assez investi. On aura peut-être reconnu la France.

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite à l’université Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

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