Une seule banque centrale mondiale ?

Publié le 6 janvier 2023 à 17h39

Jean-Paul Betbèze    Temps de lecture 4 minutes

Quatre hausses de taux d’intérêt de 0,5 % en trois jours ! Le 15 décembre 2022, c’était la banque centrale des Etats-Unis. Le 16, c’étaient celles de Suisse, du Royaume-Uni le matin, de la zone euro en début d’après-midi. Quatre doses identiques pour quatre situations différentes : hasard, contrainte ou nouvelle thérapie ?

De fait, si les quatre banques centrales se donnent comme objectif 2 % d’inflation à moyen terme par la hausse des taux courts, il faut admettre que cette quête des bonnes doses, constamment répétée, est constamment ratée. Suisse : 1 % de taux contre 3 % d’inflation, Etats-Unis : 4,5 % contre 7,1 %, Royaume-Uni : 3,5 % contre 10,7 %, et zone euro 2,5 % contre 10,1 %. Leurs explications ne manquent pas, pour absoudre leurs déconvenues. La Covid-19 et la guerre en Ukraine se sont mises en travers de la guérison en cours, après celles des crises des subprimes américains et des dettes publiques des pays du Sud européens. Ces événements avaient forcé les banques centrales à innover. Avec le quantitative easing, l’achat de bons du Trésor par les banques centrales, la forward guidance et le pilotage des anticipations, tout devait s’améliorer : il suffisait d’attendre.

Mais le taux de 2 % s’éloigne ! Les problèmes s’emmêlent, et surtout s’enkystent. La Covid-19 met profondément à mal les chaînes de valeur ajoutée : si elles avaient été longtemps désinflationnistes, grâce à la Chine, elles étaient devenues fragiles et complexes, sans qu’on veuille le voir. Elles montrent aujourd’hui les dépendances des Etats-Unis et de l’Europe, derrière cette longue phase de croissance non inflationniste baptisée « grande modération ». Depuis, la guerre d’Ukraine a accentué toutes ces dépendances, énergétiques d’abord, militaires ensuite, en terres rares enfin. Pour les réduire, il faudra investir plus, donc accepter des déficits publics plus importants, notamment en Europe, avec davantage d’inflation. C’est là que le bât blesse.

L’objectif de 2 % reste-t-il crédible ? Aux Etats-Unis, peut-on croire aux 4 % promis en 2023, avant 2 % en 2024 ? La Covid-19 n’a pas disparu et va peser sur l’activité, notamment en Chine. La guerre en Ukraine non plus n’est pas finie. Ses coûts et réparations seront immenses. Les prix agricoles menacent toujours, les liens inflation-salaires sont omniprésents, notamment dans le domaine de la santé. Enfin, une perception se met en place sur les effets de la hausse des taux courts… sur les taux longs ! Donc faut-il continuer les hausses de taux, ou les freiner ?

Freiner d’accord : il faut arrêter de monter les taux de 75 points de base à chaque réunion, pour passer à des doses de 50 points de base. Monter les taux courts vite et fort est certes la preuve de l’engagement des banques centrales contre la montée de l’inflation, mais si ces hausses se poursuivent elles inquiètent, menant à une forte récession.

Freiner ensemble surtout : cette banque centrale mondiale de fait, née en décembre, va devoir gérer sa différenciation dans le temps. Cela consistera à réussir la diminution échelonnée des hausses, après avoir évité l’éparpillement des anticipations haussières, pour rendre tout leur effet à la canalisation des décroissances. Bientôt, on dira ainsi que la banque suisse va augmenter de 25 points de base. Pour la Fed ce seront une ou deux hausses de 50 points de base, pour préparer quelques hausses de 25. Ce sera la même chose pour la Bank of England et pour la BCE, mais avec des séries différentes (et plus longues) de 50 et 25, que les marchés surveilleront.

« Pivot » sera ensuite le mot déterminant, celui où une banque centrale du groupe jugera qu’elle peut commencer ses baisses, la décrue des prix du pétrole et du gaz ayant, pour elle, acquis des effets durables sur l’inflation et les salaires. 2023 va donc voir l’inflation décroître, la question étant le rythme de cette décroissance. C’est alors que la gestion coordonnée des décélérations des hausses prendra toute son efficacité, car il s’agit de convaincre. Certes, chaque banque centrale assure qu’elle agit en fonction de son seul contexte, mais il se trouve que la mondialisation rabote les écarts de situations, tandis que la Covid-19, la guerre en Ukraine (et les autres) avivent les tensions, faisant monter les taux longs mondiaux. Pour éviter une récession dans les pays développés et, pire, dans ceux très endettés et en développement, il faut donc modérer conjointement les hausses des taux courts et surtout des taux longs. D’où cette « fédération des banques centrales », plus politique que jamais.

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite à l’université Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

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