Vive la désinflation ?

Publié le 21 juillet 2023 à 10h41

Jean-Christophe Caffet    Temps de lecture 4 minutes

Tout, ou presque, a déjà été dit ou écrit sur les effets nocifs et pernicieux d’un régime d’inflation trop élevé. Alors que les prix à la consommation ont nettement ralenti dans la plupart des zones monétaires, doit-on se réjouir du processus désinflationniste à l’œuvre, globalement, depuis la fin de l’an dernier ? La question peut paraître provocatrice compte tenu des difficultés traversées ces 12-18 derniers mois par les ménages, notamment les plus modestes, mais elle mérite d’être posée.

Il ne fait aucun doute que la poussée inflationniste observée l’an dernier a lourdement pénalisé l’activité, en particulier dans les pays où celle-ci provenait d’une forte dégradation des termes de l’échange – c’est le cas de l’Europe. Au-delà des sévères perturbations provoquées dans certains secteurs, la hausse vertigineuse des prix de nombreux produits de base (énergie, alimentaire…) a fortement pénalisé le pouvoir d’achat des ménages et nettement ralenti leurs dépenses de consommation – passées de +8,4 % à +0,8 % en glissement annuel entre les premiers trimestres 2022 et 2023 en zone euro. La baisse de l’inflation, provenant pour l’essentiel de la baisse des prix de l’énergie, est à cet égard une bonne chose. Rien ne garantit néanmoins qu’il en soit encore ainsi au cours des mois à venir – à supposer bien sûr que l’inflation continue de baisser.

Rappelons tout d’abord que l’inflation « cœur », c’est-à-dire hors énergie et alimentaire non transformé, ne baisse pas, ou très peu (6,8 % en juin dernier en zone euro). Les deux courbes – inflations totale et sous-jacente – se sont d’ailleurs croisées au printemps dernier. Alors que les effets de base favorables liés aux prix de l’énergie devraient prochainement s’épuiser, l’espoir de voir se poursuivre le processus de désinflation est désormais tributaire de l’évolution (à la baisse) des coûts salariaux unitaires. Donc, en l’absence de gains de productivité, d’un net ralentissement des salaires. Pas sûr au final que cela soit une vraie bonne nouvelle pour les salariés. Christine Lagarde ne disait d’ailleurs pas autre chose le 27 juin dernier à Sintra, pointant les risques pour l’inflation européenne d’une hausse substantielle des salaires pendant plusieurs années (+14 % à l’horizon 2025 d’après les prévisions de la BCE). A moins que les entreprises, confrontées à un fort ralentissement de la demande, n’acceptent de baisser significativement leurs marges opérationnelles, il y a fort à parier que la désinflation à venir – si elle vient – ne consacre finalement pas de véritables gains de pouvoir d’achat pour les salariés. Si tel devait être toutefois le cas, c’est d’une multiplication des défaillances qu’il faudrait s’inquiéter, dans la mesure où les entreprises doivent désormais faire face à un durcissement des conditions de financement externe et à la hausse de leurs frais financiers.

Reste un acteur, dont le rôle majeur dans les tensions inflationnistes actuelles n’est plus à démontrer et qui, jusqu’à présent, a plutôt profité du rebond de l’inflation : l’Etat. A l’origine des excès d’épargne, puis de demande, l’Etat a jusqu’à présent pu compter sur le dynamisme d’assiettes fiscales dopées par l’inflation – TVA et IS notamment – pour financer des dépenses exceptionnelles et/ou réduire, au moins arithmétiquement, ses ratios de déficit et de dette publique (de l’ordre de 5 points de PIB par le truchement de la seule inflation en Allemagne l’an dernier). La situation pourrait radicalement changer en cas de ralentissement prononcé des prix à la consommation, d’autant qu’une part non négligeable des dépenses publiques est indexée avec retard – d’un an, généralement – sur l’inflation. Alors que fleurissent de nouveau les discours érigeant le retour à l’équilibre budgétaire en objectif de politique économique parfois unique, la désinflation pourrait à son tour s’avérer particulièrement pernicieuse et compliquer singulièrement l’équation.

Au final, on le voit, l’inflation et la désinflation restent avant tout autre chose que des conflits de répartition : si la première n’avait probablement pas que des vices, la seconde n’aura sans doute pas non plus que des vertus.

Jean-Christophe Caffet Chef économiste ,  Coface

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