Zone euro : cette inflation « transitoire » à 4,1 % en octobre
4,1 % : c’est l’inflation mesurée pour la zone euro sur un an en octobre, sous l’effet majeur de l’énergie (+23,5 %), les autres sous-indices s’affichant entre + et +2,1 %. Mais, le 28 octobre, la Banque centrale européenne n’a pas satisfait les marchés financiers en ne faisant rien, dans l’attente de ses propres prévisions d’inflation. Elles seront publiées en décembre et iraient jusqu’en 2024. A écouter Christine Lagarde, l’inflation fut leur seul sujet de discussion. Ils n’auraient donc rien trouvé de clair, pendant toutes ces heures ! La BCE se donne ainsi un mois pour avoir trois ans de visibilité et mieux asseoir sa politique, intégrant les chiffres qui viendront de sortir.
On comprend que cette attente n’est pas commode, quand tout converge à alimenter les inquiétudes sur l’inflation. Certes, la hausse allemande de la TVA, qui pèse pour 0,5 % dans les 3,4 % de l’indice de septembre selon Christine Lagarde, devrait voir son effet statistique disparaître en janvier 2022. Mais il n’est pas sûr que tel sera le cas pour les hausses des prix du gaz et du pétrole, dont elle nous assure néanmoins que leur effet sera temporaire, tout comme pour les goulets d’étranglement qui se manifestent un peu partout. Or ces goulets s’ajoutent, qu’il s’agisse de ports encombrés, de bateaux ou de containeurs qui manquent ou de puces qui font défaut. La zone euro se trouve ainsi dans la situation inconfortable où elle annonce plus d’inflation jusqu’en décembre, pour la « voir » diminuer ensuite vers 2 %.
Christine Lagarde accumule donc les engagements, assurant que les quantités extraites de gaz et de pétrole vont augmenter, que les enquêtes menées par la banque auprès des entrepreneurs convergent vers des productions en hausse en 2022, les goulets se desserrant, donc vers l’apaisement global des tensions sur les prix. Evidemment, ceci suppose plus encore qu’il n’y aura pas de hausses de salaires, un « effet de second tour » qui mettrait en grande difficulté ce château d’hypothèses. Evidemment aussi, ceci voudrait dire que les diminutions des mesures de quantitative easing annoncées aux Etats-Unis (et ailleurs), voire les hausses de taux au Canada, sont liées à des situations nationales différentes, notamment en matière d’emploi.
N’empêche, Christine Lagarde a dû admettre que cette saute d’inflation durait plus longtemps que prévu, sans qu’il s’agisse dit-elle de stagflation, puisqu’il n’y a pas… stagnation ! Donc sans admettre non plus qu’il faudrait annoncer déjà des hausses de taux, comme le voudraient les marchés. Pourtant, quand Christine Lagarde décrit la reprise comme forte mais bridée par cette inflation temporaire : si tel est le cas, la reprise serait appelée à reprendre d’autant, donc les taux à remonter ! Ceci ressemble à une contradiction et donne peut-être l’explication de la démission de Jess Weidman, le patron de la BUBA, « pour des raisons personnelles ». Il quittera en effet ses fonctions le 31 décembre, donc bien avant la fin de son second mandat, en 2027. « Pour des raisons personnelles » bien sûr, après dix ans d’apports, loués par Christine Lagarde, à la BCE. Mais ce qui n’empêche pas celui-ci d’écrire qu’à l’avenir, il sera « crucial (…) de ne pas considérer seulement les risques de déflation, mais aussi de ne pas perdre de vue les risques d’inflation potentiels ». Ces risques appelleraient sans doute, selon lui, à une politique monétaire plus restrictive.
Mais telle n’est pas l’analyse de la BCE ! Ce qui n’empêche pas Christine Lagarde d’annoncer la fin du PEEP (Pandemic Emergency Purchase Programme, 60 milliards d’euros par mois) en mars, sans parler de l’éventuel reliquat du programme de 1 800 milliards d’euros : on parle de 100 milliards. Donc sans parler d’une hausse compensatoire, temporaire elle aussi, du programme APP (Asset Purchase Programme, actuellement de 20 milliards d’euros par mois). Cette interruption abrupte revient donc à une forte normalisation de la politique monétaire, qui ne dit pas son nom. Tellement forte que l’on peut l’interpréter comme une concession aux « faucons », dont Jens Weidmann, pour son départ de la BCE : confus !
Au fond, rien n’assure que cette inflation post-Covid ne conduise à une inflation à 2 % qui pourrait faire naître des hausses de salaires, même si le chômage demeure, sauf pour les emplois qualifiés dont la pénurie n’est pas transitoire, plus celle des puces. Vers une inflation informatique ?
Au fond, rien n’assure que cette inflation post-Covid ne conduise à une inflation à 2 % qui pourrait faire naître des hausses de salaires, même si le chômage demeure, sauf pour les emplois qualifiés dont la pénurie n’est pas transitoire, plus celle des puces. Vers une inflation informatique ?
Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.
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