Après avoir dû s’adapter dans l’urgence au confinement, les directions financières doivent maintenant gérer la période de transition avant le retour à la normale. Chaque semaine, Option Finance continue de leur donner la parole afin qu’elles fassent part de leur expérience dans ce contexte de crise totalement inédit. Une façon de partager les problèmes, mais aussi, et surtout, les solutions.
Avec la fermeture des centres sportifs, le groupe Abéo (235,7 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2019-2020), concepteur et fabricant d’équipements de sport et de loisir, a d’abord vu son activité se contracter très fortement en mars, puis reprendre progressivement sans toutefois retrouver son niveau habituel. Ces derniers mois ont donc été consacrés par l’entreprise à la mise en œuvre d’un plan de relance opérationnel très progressif. Dans le même temps, la direction financière a pris un certain nombre de mesures visant à alimenter ou sauvegarder la trésorerie du groupe : plan d’optimisation du BFR d’exploitation, réduction des coûts, obtention d’un PGE syndiqué ou encore renégociation de financements contractés auprès de Bpifrance. Autre chantier particulièrement ardu : les équipes finance d’Abéo, dont l’exercice fiscal se termine chaque année le 31 mars, ont clôturé les comptes annuels à distance. Mathieu Baiardi, directeur administratif et financier, revient en détail sur cette actualité.
Comment la crise sanitaire actuelle affecte-t-elle votre activité en France ?
Le groupe Abéo est spécialisé dans la création, la fabrication et la distribution de matériels et d’équipements de sport. Ses clients sont essentiellement des fédérations et centres sportifs. La propagation de la pandémie de Covid-19 et l’instauration du confinement mi-mars ont entraîné, dans un premier temps, la fermeture de quatre de nos cinq sites de production français. Cette interruption d’activité, conséquence du report des commandes d’un certain nombre de nos clients, a duré approximativement un mois.
A compter de la deuxième quinzaine d’avril, le groupe a rouvert progressivement ses usines et relancé graduellement sa production afin d’honorer certains engagements contractuels proches ou échus, ou bien pour prendre de l’avance sur ses livraisons des deuxième et troisième trimestres. Aujourd’hui, nous avons relancé plus de la moitié de nos opérations françaises.
L’intégralité des fonctions support de l’entreprise présentes en France – notamment la direction financière – a télétravaillé durant les deux mois de confinement. Depuis le début du déconfinement, celles-ci passent en moyenne trois jours par semaine sur site.
Abéo dispose de sites de production dans près d’une vingtaine de pays. Quelle est l’incidence de la crise sur vos opérations à l’international ?
La question est d’autant plus importante que nous tirons près de 75 % de nos revenus de l’étranger ! Dans certains pays, l’incidence de la propagation du virus a été minime, voire inexistante. Au Benelux, notre deuxième marché après la France, notre activité n’a subi qu’un ralentissement très temporaire en mars. Le constat est similaire aux Etats-Unis, où les mesures de prévention sanitaire mises en œuvre par les pouvoirs publics ont été très différentes d’un Etat à l’autre. En Allemagne, les résultats de notre filiale Meta, spécialisée dans l’aménagement de vestiaires, ont même été supérieurs à nos attentes en mars.
En revanche, dans certains pays, l’impact de la crise sur nos activités a été plus sensible. C’est le cas en Chine, par exemple, où nos sites de Huizhou (à proximité de Shenzhen) et de Dezhou (à proximité de Pékin) ont dû être fermés en février et mars avant de rouvrir début avril. Depuis lors, nos opérations dans ce pays ont retrouvé un rythme presque normal. Surtout, nos sites aux Royaume-Uni, pays très important pour nous puisque nous y réalisons plus de 13 % de notre chiffre d’affaires, sont restés fermés de longues semaines en raison des mesures de confinement. Une seule unité de production y est encore fermée aujourd’hui.
Tout comme en France, la très grande majorité des fonctions support du groupe implantées à l’étranger a continué de travailler à distance ces derniers mois.
La crise sanitaire a-t-elle nui à vos résultats ?
Nous avons clôturé notre exercice 2019-2020 le 31 mars. Il en ressort qu’après avoir enregistré une croissance organique cumulée de 5,5 % en janvier et février, Abéo a vu ses revenus se contracter de 40 % en mars. En définitive, notre chiffre d’affaires du quatrième trimestre – soit de janvier à mars – s’est inscrit en retrait de 12 % en glissement annuel, à 54 millions d’euros. Notre chiffre d’affaires annuel a progressé, pour sa part, de 2,3 %, un niveau qui se situe en deçà des attentes initiales du groupe. Nous communiquerons davantage d’éléments sur notre activité d’avril et mai lors de la publication de nos résultats du premier trimestre 2020-2021 le 29 juillet 2020.
La direction financière a-t-elle dû prendre des mesures particulières dans ce contexte exceptionnel ?
Au terme du premier semestre de notre exercice 2019-2020, fin septembre, nous avions fait le constat que notre besoin en fonds de roulement d’exploitation, équivalent à 20 % de notre chiffre d’affaires opérationnel, était trop élevé. Dans les semaines suivantes, nous avons lancé un plan d’optimisation visant à réduire ce BFR de 2 à 4 points. Une attention toute particulière a été portée à la gestion des postes clients et fournisseurs grâce, notamment, à la création de nouveaux indicateurs, ainsi qu’à la réduction de nos stocks. L’objectif était le suivant : créer une véritable culture cash au sein de l’entreprise ! Ces dispositions, prises en amont de la crise sanitaire, ont bien évidemment été renforcées durant celle-ci.
Dès le mois de janvier, nous avions ouvert un programme de rationalisation des coûts afin d’optimiser nos résultats et de sauvegarder notre trésorerie. Ce programme a été amplifié durant la crise sanitaire. Dans un premier temps, les déplacements de nos collaborateurs ont été annulés et l’utilisation de la visioconférence généralisée. Ensuite, nous avons entamé avec les différentes fédérations sportives la renégociation de certains contrats de sponsoring, et avec plusieurs de nos bailleurs le rééchelonnement du paiement de certaines de nos échéances locatives. Enfin, nous avons veillé à ne pas augmenter notre masse salariale, notamment en suspendant les recrutements originellement prévus. Il va sans dire que ce programme continue d’être mis en œuvre aujourd’hui et sera adapté en fonction de notre niveau d’activité.
Ces deux démarches nous ont permis d’élaborer et de réviser plus facilement nos scénarios de trésorerie une fois la crise sanitaire survenue.
Dès le début de celle-ci, un autre chantier, pour la direction financière, a consisté à sécuriser des financements pour l’entreprise. Nous avons réalisé un tirage sur notre ligne de crédit syndiquée de court terme (revolving credit facility) mise en place en 2018 auprès d’un pool de six banques, de 20 millions d’euros, sans toutefois utiliser les fonds. En avril, nous avons sollicité des prêts «Atout» et «Croissance internationale» auprès de Bpifrance pour un montant total de 33 millions d’euros. Ces financements sans garantie ni sûreté, remboursables en quatre ans après un différé d’un an, sont assortis de coûts à peu près équivalents au coût moyen de notre endettement bancaire global.
Avez-vous eu recours aux dispositifs exceptionnels mis en place par les pouvoirs publics ?
D’abord, nous avons sollicité Bpifrance, une fois de plus, pour obtenir le rééchelonnement du remboursement de deux de nos prêts historiques, de 3 et 5 millions d’euros respectivement. Surtout, Abéo a fait appel à son pool bancaire pour mettre en place plusieurs prêts garantis par l’Etat (PGE).
Comment la direction financière d’Abéo s’est-elle organisée ces dernières semaines et comment travaille-t-elle aujourd’hui ?
Heureusement, la très grande majorité des membres de la direction financière d’Abéo a pu travailler à distance durant le confinement. Mais cette distanciation a rendu très difficile la réalisation de certaines de ses missions. Je pense, par exemple, aux inventaires physiques des stocks, indispensables à la production de l’information financière et qui doivent être avalisés par des commissaires aux comptes. Nous avons non seulement dû rouvrir certains de nos sites pour cette occasion spéciale, mais également organiser des sessions par visioconférence avec nos tiers certificateurs qui étaient dans l’incapacité de se rendre dans les usines.
Toujours dans le cadre de la préparation des reportings financiers du groupe, la collecte des données financières disséminées sur nos différents outils comptables ainsi que sur nos sites – je pense par exemple aux documents administratifs et aux factures – a pu relever parfois de la gageure. Heureusement, nous disposions d’un logiciel de reporting qui nous a permis de recouper les données de manière collaborative et de mettre en place des process de validation.
Le confinement a fait évoluer, enfin, certains aspects de notre organisation. En tant que directeur financier du groupe, j’ai participé à de très nombreuses réunions du comité exécutif ces dernières semaines. Celles-ci, organisées habituellement sur une base mensuelle, se sont tenues au moins une fois par semaine durant le confinement, un rythme que nous conservons encore aujourd’hui. Dans ces circonstances exceptionnelles, le comité exécutif d’Abéo, constitué traditionnellement du président, du directeur général, du directeur des ressources humaines, du directeur financier et des patrons des trois divisions du groupe (sport, sportainment & climbing et vestiaires) a été élargi aux principaux managers ainsi qu’aux responsables du contrôle de gestion. Cette mesure a permis une remontée optimale et à jour du terrain, objectif qui continuera d’être le nôtre dans les mois à venir.
Activités
Création, fabrication et distribution de matériels et d’équipements de sport destinés aux centres sportifs, gymnases et centres de loisirs : agrès de gymnastique, tapis de réception, équipements de sports collectifs et d’éducation physique, murs d’escalade, aménagements de vestiaires, etc.
Chiffre d’affaires sur l’exercice 2019/2020 clôturé au 31 mars
235,7 millions d’euros, en progression de 2,3 % sur un an
Place de cotation
Euronext Paris, compartiment B, depuis 2016
Principaux marchés
France (26 %), Benelux (18 %), Etats-Unis/Canada (15 %), Royaume-Uni (13 %), Allemagne (10 %)