Nouvelles technologies

Blockchain: révolution professionnelle en vue

Publié le 19 juillet 2019 à 11h19    Mis à jour le 19 juillet 2019 à 16h42

Thomas Feat

L’essor de la blockchain entraîne par corollaire l’apparition de nouveaux métiers et l’émergence de nouvelles compétences, dans des domaines aussi variés que l’informatique, le droit ou la finance. Du fait de leur rareté, ces profils sont aujourd’hui particulièrement bien rémunérés.

Les spécialistes ont coutume de dire que l’invention des protocoles blockchain constitue la révolution technologique la plus importante depuis la création d’Internet. Loin d’être uniquement technique, ce bouleversement est aussi professionnel. «En même temps que l’essor des registres distribués, autre nom des blockchains, de nouveaux métiers et compétences sont apparus et continuent d’apparaître, dans les sciences informatiques, bien sûr, mais également dans des champs beaucoup plus traditionnels tels que l’économie, la finance, la comptabilité ou le droit», indique Stanislas Barthélémi, consultant chez Blockchain Partner France.

Si ces nouvelles professions ne peuvent être dénombrées avec précision, notamment parce que l’écosystème Blockchain, encore peu mature, ne cesse de se transformer, elles peuvent être classées sommairement en deux catégories : technique et support. «La première se rapporte à la programmation, au développement et à la conception architecturale et applicative des blockchains, disciplines qui requièrent un ensemble de compétences scientifiques très hétérogènes et pointues, car les protocoles blockchain sont régis par une multitude de langages informatiques différents, précise Pauline Adam-Kalfon, associée blockchain et services financiers chez PwC. De plus, une blockchain publique, dont le code est disponible en open source, c’est-à-dire en libre accès, n’aura pas le même fonctionnement qu’une blockchain privée, réseau fermé constitué d’un nombre limité de membres, ce qui ajoute encore à la diversité des compétences techniques inhérentes à cet environnement technologique.»

Les auditeurs blockchain ont le vent en poupe

Tout aussi importante et disparate, la deuxième catégorie regroupe des compétences et métiers originaux qui n’ont pas trait, à proprement parler, à la création des chaînes de blocs, mais qui répondent aux enjeux posés par celles-ci. A elles seules, les Initial Coin Offerings (ICO) et les Security Token Offerings (STO), levées de fonds réalisées via les blockchains grâce à l’émission de jetons numériques, cristallisent parfaitement ce renouveau et cette effervescence professionnelle.«Poussées à un degré maximal d’optimisation et de sécurisation, ces levées peuvent requérir l’intervention d’experts en rédaction de white papers, en élaboration, analyse et revue des token economics – les propriétés intrinsèques des jetons –, de spécialistes en communication digitale et en construction de communauté cryptomonétaire, et de conseils juridiques capables de s’assurer, lorsqu’un cadre législatif existe, de la conformité réglementaire des financements», détaille Stanislas Barthélémi.  

Le recours progressif des entreprises aux blockchains suscite par corollaire des besoins croissants de protection contre les risques cyber et de mise en conformité à l’égard, par exemple, de textes comme le Règlement général sur la protection des données (RGPD). «Pour cette raison, la profession d’auditeur blockchain est en plein boom !», signale Pauline Adam-Kalfon. Cette discipline requiert bien évidemment de connaître l’ingénierie blockchain, raison pour laquelle elle fait appel à des informaticiens qualifiés, mais encore d’appréhender les moindres ressorts de l’activité des entreprises et de leurs réseaux. Les professionnels concernés doivent faire montre d’une vraie hauteur de vue.»

Les banques se rapprochent de consortiums

Pour les entreprises désireuses de lancer des projets blockchain, toute la difficulté consiste aujourd’hui à se rapprocher de telles expertises, qu’elles soient techniques ou de conseil. «L’écosystème n’est pas encore structuré et les profils comme les compétences encore loin d’être pléthoriques, confirme Julien Prat, chercheur au CNRS et responsable de la chaire Blockchain à l’Ecole Polytechnique. Aujourd’hui, ces entreprises n’ont guère d’autre choix que de se rapprocher de start-up de pointe ou de structures évoluant de longue date dans le secteur des technologies.» Comme avec certains des grands groupes bancaires français, tels Société Générale ou BNP Paribas, qui ont intégré des consortiums internationaux – Voltron, R3, etc. – développant des applications blockchain dans les champs de la trade finance ou du règlement-livraison à partir de protocoles développés par IBM ou Corda.

Bien sûr, cette situation est amenée à évoluer dans les prochaines années, notamment parce que les formations académiques, elles-mêmes, connaissent un développement rapide et que les partenariats avec le monde économique se multiplient. «Des institutions comme Polytechnique, Telecom Paris, Epitech, HEC et l’Essec ont lancé ces derniers mois des chaires dédiées à la blockchain, et des écoles thématiques, comme Alyra ou la Digital School of Paris, forment désormais des ingénieurs spécialisés, rappelle Julien Prat. La France, avec ses filières d’excellence en mathématiques, cryptographie et ingénierie informatique, a d’ailleurs une sérieuse carte à jouer dans le champ des registres distribués.»

Pour capter ces talents, les entreprises devront être prêtes à payer le prix fort. Selon une récente étude du site de recrutement Hired, le métier d’ingénieur blockchain arrivait en tête des cinq professions du secteur des nouvelles technologies les mieux rémunérées en région parisienne l’an dernier, avec un salaire annuel brut moyen de 58 000 euros, devant les spécialistes du machine learning (56 000 euros) et de la data science (54 000 euros). «Ces chiffres doivent être appréciés, néanmoins, au regard des avantages logistique et des bénéfices financiers induits par cette technologie, nuance Julien Prat.» Et de rappeler que les opérations de trade finance mises en œuvre par les partenaires des consortiums précités ont été réduites à quelques jours au lieu de quelques semaines grâce à l’utilisation de chaînes de blocs. Plus qu’un effet de mode ou même une nécessité momentanée, recruter des spécialistes de la blockchain devrait constituer, à très court terme, un enjeu stratégique de premier plan pour les entreprises. 

Les cabinets d’avocats d’affaires français font leur révolution blockchain

Qu’il s’agisse de Gide Loyrette Nouel avec Gide 225 ou de CMS Francis Lefebvre Avocats, un certain nombre de cabinets d’avocats d’affaires français ont lancé ces derniers mois des départements consacrés aux blockchains et à leurs usages. Une démarche amorcée initialement avec l’essor des levées de fonds cryptomonétaires, les Initial Coin Offerings (ICO), et amplifiée par la suite avec l’instauration, dans le cadre de la loi Pacte, d’un visa optionnel pour ces levées de fonds. «Aujourd’hui, nous couvrons toutes les déclinaisons applicatives de la de la technologie, dans des champs aussi divers que la protection des données, la régulation financière et le respect de la propriété privée», commente Franck Guiader, responsable du département Gide 225.  

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