Les directions financières dans la crise

Dewavrin Cosmetics mise sur la Chine

Publié le 30 avril 2021 à 13h24    Mis à jour le 6 mai 2021 à 16h49

Propos recueillis par Alexandra Milleret

Fort de la diversité de ses activités, le groupe Dewavrin Cosmetics a réussi à limiter l’impact financier de la crise sanitaire, grâce notamment à l’engouement des Français pour les compléments alimentaires. Pour maintenir son niveau de productivité, le groupe a toutefois été contraint d’engager des frais supplémentaires, comme le recours à des intérimaires ou la distribution de la prime Macron. S’ils restent prudents sur la reprise, Dimitri Dewavrin, CEO, et Maxime Deprat, directeur financier, entendent poursuivre les invetissements, de manière notamment à renforcer la présence de la société à l’international.

La fiche d’identité de Dewavrin Cosmetics

  • Secteur d’activité : fabrication de produits de santé et bien-être
  • Chiffre d’affaires 2020 : 55 Me.
  • 52 % du CA réalisé à l’export. Bureaux implantés dans 11 pays dont une unité de production en Belgique et des bureaux commerciaux de distribution au Maroc, en Roumanie, en Colombie, en Chine (Shanghai), en Afrique du Sud…
  • 320 salariés dans le groupe dont 250 en France et en Belgique
  • Actionnariat 100 % familial (7e génération aujourd’hui)

Comment la crise sanitaire a-t-elle affecté votre activité ?

Maxime Deprat : Le groupe Dewavrin Cosmetics a des activités multiples dans le domaine de la santé et du bien-être. En effet, il développe, formule et fabrique des produits de soins cosmétiques corps et visage via son activité Alpol Cosmétique qui représente 40 % de notre chiffre d’affaires (CA). Le groupe produit également des compléments alimentaires (avec l’activité Novapharm, 10 % de notre CA). De plus, il raffine et commercialise de la lanoline (activité Stella, 25 % du CA), un composant issu de la graisse de laine de mouton que l’on retrouve, par exemple, dans les rouges à lèvres.

Ces activités sont réalisées pour le compte de clients dont les marques sont principalement vendues en pharmacie partout dans le monde, et de plus en plus en e-commerce. Mais le groupe possède aussi ses propres marques : Isispharma en dermo-cosmétique (25 % du CA) et Anathéa pour les compléments alimentaires.

Cette diversité a permis au groupe de limiter les dégâts économiques qu’aurait pu engendrer la crise sanitaire, certaines baisses d’activité ayant été compensées par le succès des autres. Alpol Cosmétique, par exemple, après avoir connu une première moitié d’exercice en forte croissance (+17 %), a pâti du manque de visibilité des clients, ces derniers ayant été contraints de réduire leur carnet d’ordres et de reporter le lancement de certains produits du fait des restrictions sanitaires imposées par les différents Etats.

Par ailleurs, concernant l’activité Stella, le port du masque et le télétravail ont eu pour conséquence une baisse des ventes de maquillage et ce, au niveau mondial! De plus, la production de fil de laine ayant fortement réduit, le prix de la graisse a explosé, passant de 3 à 6 dollars le kilo. Un doublement du prix que nous ne pouvions pas répercuter intégralement sur le prix de vente de la lanoline.

En revanche, la Covid-19 a fortement stimulé la demande du public en compléments alimentaires. Aussi, notre activité Novapharm, qui était déjà en croissance avant la crise, a connu une nette progression, de 15 % en 2020 et nous nous attendons à + 30 % en 2021. Au final, alors que le groupe affichait un chiffre d’affaires en hausse de 10 % en 2019 et que nous visions la même progression pour 2020, le résultat d’exploitation a été stable. L’impact négatif est évalué à 1,5 million d’euros de résultat en moins, dont la moitié liée à des surcoûts, et l’autre à un ralentissement de l’activité. Mais compte tenu des inquiétudes que pouvait susciter la crise économique, nous sommes plutôt satisfaits de ce résultat.

« Pour la construction de notre nouvelle usine de fabrication de compléments alimentaires, nous avons demandé une subvention de 800000 euros autorisée dans le cadre du dispositif “Territoires d’industrie”. »

Dimitri Dewavrin, CEO

Votre présence à l’international, et notamment en Chine, vous a-t-elle permis de réagir plus rapidement à la crise sanitaire ?

Dimitri Dewavrin  : Avant la crise sanitaire, le groupe avait pour ambition de développer son offre de fabrication cosmétique « Made in France » à destination des marques chinoises. Ainsi, fin 2019, nous avons créé une filiale du groupe à Shanghai et recruté un collaborateur sur place. Celui-ci nous a alerté, quelques semaines plus tard, sur la nécessité de limiter au maximum les contacts ou de porter un masque dès le début de la crise. En France, les lots de masques étant réservés au personnel soignant, ce sont nos partenaires chinois qui nous les ont envoyés. A l’époque, les prix étaient très élevés : un euro le masque, avec les frais de transports aériens et de douanes ! Au final, cette démarche nous a coûté 10 000 euros. Mais elle était indispensable pour continuer à produire sereinement.

Justement, les confinements successifs en France ont-ils pesé sur votre productivité ?

D.D.  : Le personnel de bureau, qui est essentiellement concentré chez notre marque Isipharma, a été placé autant que possible en télétravail dès le début de la crise. Aujourd’hui encore, seul 20 % de l’effectif est présent, en alternance. En revanche, comme nos salariés relèvent en majorité du personnel de production (150 personnes), il leur était impossible de télétravailler. Notre usine près de Montpellier, qui fabrique des compléments alimentaires, a ainsi connu des difficultés de production. Certains collaborateurs étant absents pour garde d’enfants ou arrêt maladie, nous avons été contraints d’avoir recours à des intérimaires pour pouvoir continuer à produire (10 intérimaires pendant 6 mois sur un effectif de 30 salariés). Ces aménagements ont engendré un surcoût de 300 000 euros.

Nous avons néanmoins tenu à encourager tout notre personnel de production. Nous avons annoncé, dès le mois de mars 2020, une prime exceptionnelle jusqu’à 1 000 euros, dite « prime Macron », modulée selon la présence dans les usines. Il nous semblait normal de remercier ceux qui ont fait l’effort de venir malgré la crainte de contamination au virus. Au total, cette prime nous a coûté environ 100 000 euros, mais sans cela les pertes auraient été importantes.

« Notre PGE nous a permis de remédier à l’allongement des délais de traitement des dossiers de renouvellement d’emprunts par les banques pendant la crise. »

Maxime Deprat, directeur financier

La direction financière a-t-elle dû prendre des mesures particulières dans ce contexte exceptionnel ?

M.D.  : Compte tenu du manque de visibilité quant à l’évolution de la pandémie, nous avons procédé, dès le début de la crise, à une revue complète de nos objectifs sur les différentes activités du groupe au cours de laquelle nous avons imaginé plusieurs scénarios. Même en imaginant le pire, soit avec une baisse de 15 % ou 20 % du chiffre d’affaires du groupe, nous nous sommes rendu compte que nous pourrions maintenir un équilibre d’exploitation sans subir une baisse de la trésorerie. Cela s’explique notamment par la baisse de l’activité qui engendrait, en conséquence, une baisse de notre besoin en fonds de roulement et par le fait que le groupe a très peu d’endettement. Par ailleurs, nous n’avons pas subi d’impayés de la part de nos clients et aucun d’entre eux ne nous a quitté.

Aussi, après avoir réalisé cet exercice, nous n’avons pas freiné de façon sensible nos projets d’investissement. Seul un quart d’entre eux, soit un montant d’un million d’euros environ, a été simplement reporté de 2020 à 2021.


Avez-vous eu recours à des dispositifs publics ?

M.D.  : Le chômage partiel nous a permis d’amortir le choc. Sept collaborateurs (les délégués pharmaceutiques) ont été placés en chômage partiel à 100 % et une vingtaine en chômage partiel à mi-temps.

De plus, après échanges avec nos banques, nous avons décidé, au mois d’avril 2020, de demander un prêt garanti par l’Etat (PGE) d’un montant de 3 millions d’euros. Il s’agissait pour le groupe de disposer d’une certaine sécurité pour les mois à venir. Cette aide s’est révélée précieuse car elle nous a permis de remédier à l’allongement des délais de traitement des dossiers par les banques. En effet, lors du premier confinement, ces dernières étaient tellement accaparées par les demandes de PGE, que les renouvellements d’emprunts plus classiques prenaient un temps considérable. Au lieu de voir nos dossiers traités habituellement en quinze jours, nous recevions une réponse au bout d’un mois ou deux ! La santé financière du groupe étant solide, nous rembourserons notre PGE à l’échéance du mois de mai.

Comment votre direction financière s’est-elle organisée ces derniers mois et comment travaille-t-elle aujourd’hui ?

M.D.  : La crise sanitaire n’a pas perturbé notre fonctionnement. En effet, du fait de notre présence à l’international, la direction financière est assez décentralisée. En France, nous gérons le groupe comme une holding qui se consacre à la relation avec les banques, les emprunts, la partie consolidation du résultat et conseille aussi les filiales d’un point de vue fiscal, notamment pour établir le calcul de l’impôt sur les sociétés. Chaque filiale dispose de son propre responsable administratif qui s’occupe de la facturation ainsi que d’un ou deux comptables sur place pour les opérations comptables. Cette organisation nous a conduit il y a une dizaine d’années à nous équiper en outils de gestion en réseau et dématérialisés. Nous étions donc, de ce point de vue, parfaitement préparés à la crise sanitaire. Toute la paie et la comptabilité sont gérées grâce à l’outil Sage, la trésorerie par le logiciel SaaS Kyriba et chaque salarié de la direction financière, où qu’il soit dans le monde, dispose d’un accès pour se connecter à distance. Les cinq personnes qui composent la direction financière en France ont toutes été placées en télétravail.


Quels sont vos principaux chantiers pour accompagner la relance de votre activité dans les semaines à venir ?

D.D.  : Même si nous restons encore prudents, notre carnet de commandes étant toujours plus faible qu’avant la crise, nous nous attendons à ce que 2021 soit encore une année stable. Le rebond ne devrait pas intervenir avant 2022.

Toutefois, nous y travaillons déjà. En effet, nous venons de boucler l’achat d’un terrain pour construire une nouvelle usine de 3 000 m2 pour la fabrication de compléments alimentaires, la nôtre étant devenue trop petite. A ce titre, nous avons rempli un dossier de subvention autorisée dans le cadre du plan de relance du Gouvernement, appelé « Territoires d’industrie ». Nous demandons une aide financière de 800 000 euros pour un investissement total de 6,5 millions d’euros. Le dossier est aujourd’hui en cours d’instruction.

De plus, par le biais de notre filiale à Shanghai, nous avons signé un accord de distribution avec un partenaire local afin de lancer notre marque Isispharma en Chine, pays au plus gros levier de croissance dans le monde. Ce projet de développement est d’autant plus stratégique pour le groupe que, grâce à notre certification BPF (bonnes pratiques de fabrication) délivrée par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), nous allons pouvoir bénéficier d’un allègement de la réglementation locale. Celle-ci permet désormais d’exporter des produits sans avoir recours à des tests sur les animaux. Nous pouvons donc désormais proposer à tous nos clients, y compris bio ou vegan, de s’exporter en Chine. Enfin, nous allons prochainement ouvrir une nouvelle filiale, au Mexique. Un nouveau projet qui représente toutefois un investissement conséquent, de l’ordre du million d’euros, puisque nous devrons créer une équipe de 20 personnes.

M.D.  : Sur le plan financier, afin de développer notre agilité, nous mettons en place un outil de business intelligence permettant de mieux et plus rapidement synthétiser nos données. Cela nous permettra de remonter en direct les informations de nos différentes sources au sein du groupe : ERP, comptabilité, gestion commerciale. 

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