Malgré la diminution des dispositifs d’aide de l’Etat en faveur des contrats en alternance, ces formations continuent de séduire candidats et entreprises. Les étudiants se tournent notamment vers des bachelors finance ou en master contrôle de gestion et audit.
Au 31 décembre 2023, la France comptait plus d’un million d’alternants, selon le ministère du Travail (Dares). En 2018, avant la réforme Pénicaud sur la formation professionnelle, ils n’étaient que 437 000… Si le chemin parcouru depuis est assez impressionnant, il convient néanmoins de le nuancer : en 2023, 852 000 jeunes ont signé un contrat en alternance, soit une progression d’à peine 2 % en un an, alors qu’elle était encore à 14 % en 2022. Si l’évolution du nombre d’alternants est contenue probablement en raison des capacités d’accueil des écoles et universités, l’appétence des jeunes pour ces cursus reste en forte croissance, en particulier dans le secteur de la finance.
« Pour la rentrée 2024, nous avons reçu plus de 600 dossiers de candidats pour notre master 1 management financier et banque en alternance, soit une augmentation de 15 % par rapport à l’année dernière, précise Eric Lamarque, directeur du master management financier de l’IAE de Paris de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. De même, plus de 1 500 dossiers de candidats ont été déposés pour les masters finance en alternance proposés par l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, en croissance de 30 %. Nous avons désormais en France une véritable culture de l’alternance. » Un constat également relevé par Dauphine dont 30 % des étudiants en finance suivent des parcours en apprentissage. « La demande des étudiants pour nos masters en alternance est toujours aussi importante », indique Serge Darolles, professeur de finance à l’Université Paris Dauphine.
Alors que le volume des candidats à l’alternance continue globalement d’augmenter et en particulier dans la finance, les formations les plus plébiscitées par les étudiants tendent pour leur part à évoluer. « Actuellement, les jeunes se tournent davantage vers des bachelors finance ou en master contrôle de gestion et audit (CCA) qui forment à des métiers dont ils apprécient la polyvalence et les tâches plus stimulantes avec de l’analyse, que vers des alternances qui forment aux métiers de la comptabilité et qui sont très orientées autour des chiffres », constate Ashraf Bouftini, consultant principal senior chez Hays. Une tendance d’ailleurs également partagée par Emmanuel Millard, président international CFO Alliance, président fondation DFCG, président sortant de la DFCG et secrétaire général du groupe Endrix. « Aujourd’hui, les candidats à l’alternance privilégient plutôt les formations spécifiques en finance comme les masters finance d’entreprise, le master CGAO (contrôle de gestion et finance organisationnelle) ou encore le master CCA. »
«L’alternance permet aux jeunes de renforcer leurs compétences pratiques sur les outils et process mis en place dans les entreprises.»
Des alternants attirés par les taux de recrutements élevés
Quel que soit le choix du contenu de la formation, le succès de l’alternance est porté par la volonté de nombreux candidats d’approfondir leurs compétences techniques sur leur métier en les mettant directement en pratique au quotidien, en entreprise. « Cette mise en pratique facilite l’apprentissage des cours théoriques », témoigne Pierre Derrien, actuellement étudiant en BTS comptabilité en alternance dans une association, et qui l’année prochaine poursuit ses études pour obtenir le DCG (diplôme comptabilité gestion), toujours en alternance. Pour bien s’imprégner des pratiques d’un comptable en entreprise et en cabinet, Pierre Derrien a d’ailleurs fait le choix de faire sa seconde alternance en cabinet, après une première expérience au sein d’une association pendant son BTS. L’alternance permet également aux jeunes de renforcer leurs compétences pratiques sur les outils et process mis en place dans les entreprises. « A l’heure de la digitalisation des processus, les candidats à l’alternance entendent se familiariser le plus tôt possible avec les outils informatiques utilisés en cabinet ou dans les services informatiques des entreprises », précise Ashraf Bouftini. La rémunération des alternants et la prise en charge de tout ou partie de leurs frais de scolarité rendent également ces formations attractives pour nombre de jeunes. « C’est d’ailleurs aussi l’une des raisons qui m’a fait opter pour une formation en alternance, précise Pierre Derrien. Comme je suis en reprise d’études, ces dispositifs m’évitent de toucher à mon compte professionnel de formation et me permettent de subvenir à mes besoins pendant le temps de ma formation. »
Mais au-delà de ces bénéfices, l’alternance est aussi et surtout plébiscitée par les jeunes pour ses perspectives d’embauche post-formation très attractive. « 60 % de nos étudiants décrochent un CDI dans l’entreprise dans laquelle ils ont effectué leur alternance, indique Eric Lamarque. Six mois après la formation, ils sont 90 % à avoir décroché un emploi stable, les 10 % restants sont généralement partis en VIE ou poursuivent leurs études en masters très spécifiques (finance de marché, finance internationale, etc.). » D’ailleurs, l’alternance est également reconnue pour faciliter le développement de son réseau professionnel, en facilitant les interactions avec les autres collaborateurs de l’entreprise mais aussi les mentors.
Une première expérience terrain appréciée des entreprises
Sur un marché de l’emploi dans la finance qui reste sous tension, l’expérience des jeunes alternants est en effet très appréciée par les entreprises. Il arrive même que cette expérience passe avant le niveau de diplôme, en particulier pour les jeunes ayant fait une alternance dans un cabinet d’audit ou d’expertise comptable. « La demande pour ces profils est tellement forte et les alternants tellement convoités que les entreprises ont même parfois du mal à les garder et à leur proposer un CDI à la fin de leur contrat d’apprentissage », poursuit Emmanuel Millard.
Une offre de formation qui pourrait se tarir
L’augmentation du nombre d’alternants dans la finance s’explique certes par l’appétence des jeunes pour ces parcours de formation ainsi que par la demande des entreprises, mais également par l’augmentation de l’offre de formations à ces métiers. Une tendance notamment portée par l’apparition de nouveaux acteurs de la formation sur ce marché et qui pour certains ont su capitaliser sur les aides et prises en charge financières proposées par l’Etat pour développer l’apprentissage, en particulier depuis la crise de Covid-19. Un accompagnement financier dont le montant commence néanmoins à diminuer, comme annoncé par Bercy mi-février dans le cadre du plan d’économies de 10 milliards d’euros (voir encadré). Certaines écoles, dont les coûts de formation sont particulièrement élevés, pourraient en faire les frais… Malgré la fin annoncée du coup de pouce de l’Etat, les entreprises devraient néanmoins continuer à faire appel aux alternants, au regard de leurs besoins en compétences et expertises en finance. « Sur certaines filières, le besoin en alternants est tellement important que la baisse des aides de l’Etat ne devrait pas changer la donne en termes de recrutements de candidats, précise Serge Darolles. Il s’agit d’ailleurs d’une tendance lourde, antérieure à la période de Covid-19. » Il reste à savoir qui des entreprises ou des étudiants paiera l’éventuel restant dû à l’établissement qui délivre la formation…
Alternance : quid des aides et prises en charge de l’Etat ?
L’aide pour le recrutement d’alternants en apprentissage, d’un montant de 6 000 € maximum pour la première année du contrat conclu entre le 1er janvier et le 31 décembre 2024, est maintenue pour un jeune de moins de 30 ans. Cette aide concerne la préparation des diplômes jusqu’au niveau master 2, diplômes d’ingénieur ou de grandes écoles, etc. Elle est accordée sans conditions aux entreprises de moins de 250 salariés. En revanche des conditions supplémentaires s’appliquent pour les entreprises de plus de 250 salariés, qui doivent notamment s’engager à atteindre un seuil de contrats en alternance ou de contrats favorisant l’insertion professionnelle dans leur effectif, d’ici le 31 décembre 2025.
Par ailleurs, la prise en charge des formations en alternance par France Compétence va évoluer. Une révision des niveaux de prise en charge (NPEC) des contrats d’apprentissage interviendra en effet en juillet 2024. Elle cible uniquement les certifications de niveaux 6 et 7 (licences et masters) dont le niveau de prise en charge est supérieur d’au moins 10 % par rapport au coût moyen observé majoré de 10 %. Cette baisse sera limitée à 10 % du NPEC actuel pour les certifications de niveau 6, et 15 % du NPEC actuel pour les certifications de niveau 7. De plus, un plafond de 12 000 euros va être instauré (ce montant correspondant au coût de financement d’un étudiant pour les niveaux 6 et 7).