Loin d’être un phénomène réservé aux grands groupes, les nouvelles technologies s’immiscent à présent dans l’ensemble des métiers financiers. De nouveaux procédés apparaissent, permettant notamment de robotiser le traitement des données comptables et de réduire les tâches à faible valeur ajoutée. Autant d’évolutions qui posent question quant aux nouvelles compétences requises au sein des directions financières.
La digitalisation se diffuse à marche forcée au sein des directions financières. La dématérialisation des factures, accélérée par le calendrier de la loi Macron (qui généralise l’adoption de la facture électronique), ainsi que la mise en place du SEPA (espace unique de paiement en euro), sont autant d’éléments qui ont accéléré l’entrée du digital au sein des directions financières. Un phénomène qui devrait encore se poursuivre, tant le digital s’immisce de plus en plus dans les fonctions finance. Une sorte de deuxième révolution qui fait suite à celle de l’adoption des progiciels de gestion intégrés ou ERP.«A la différence de la diffusion de ces nouveaux systèmes d’information, la révolution digitale au sein des directions financières se fait via la mise en place d’outils aux interfaces simplifiées et agiles, souvent semblables à ceux utilisés par les financiers dans leur vie quotidienne», explique Eric Jamet, directeur marketing & innovation au sein de Tessi Documents Services.
Vers la fin des comptables ?
L’arrivée de la digitalisation apporte des changements en profondeur sur plusieurs prérogatives des fonctions financières. Si la dématérialisation des factures est aujourd’hui largement en marche au sein des entreprises, d’autres chantiers sont à venir. En effet, la révolution digitale apporte de nouvelles problématiques, telles que par exemple la gestion des données et le contrôle des fraudes. Les directions financières doivent aujourd’hui être ainsi en mesure d’intégrer les sujets big data, tout en sécurisant les outils de connaissance client. Par ailleurs, les systèmes d’information évoluent et permettent une approche plus transversale des fonctions, induisant une collaboration plus poussée entre les différents experts d’une même entreprise.
«Jusqu’alors, les directions financières étaient perçues comme des “garde-fous” de l’entreprise. Aujourd’hui, leur rôle va bien au-delà de la relation transactionnelle», constate Eric Jamet. Autant d’éléments qui, peu à peu, changent profondément le quotidien des directeurs financiers, avec pour corollaire à moyen terme un moindre besoin de collaborateurs au sein des directions financières. Ainsi, selon le cabinet de conseil EY, les réductions d’effectif pourraient varier entre 10 et 40 % dans les prochaines années, au sein des directions financières. «Tout dépend de la modernité de l’organisation, détaille Sabine Bechelani, associée, responsable du département amélioration de la performance des directions financières et des back-office, chez EY. «Mais il est quasiment certain que d’ici à 20 ans, la robotisation du traitement des données permettra de supprimer a minima les tâches à faible valeur ajoutée, comme les postes de comptables les plus juniors.» Certains pays ont déjà commencé à adapter leurs effectifs. C’est le cas du Japon où l’assureur Fukoku Mutual Life Insurance a récemment licencié 34 salariés en back-office, après avoir opté pour un logiciel d’intelligence artificielle. «Compte tenu du gain opérationnel permis par la mise en place de ce logiciel Watson, certains profils de gestionnaires étaient devenus non indispensables au sein de la structure, détaille Emmanuel Berthelé, responsable chez DataSquare. A plus long terme, différents postes, notamment ceux à faible composante créative, sont susceptibles d’être affectés par les développements de l’intelligence artificielle.» Reste qu’en la matière, la France pourrait accuser un réel retard. «Les directions financières françaises sont aujourd’hui au même niveau de réflexion que les groupes américains ou anglais, mais elles ne sont pas encore dans la mise en œuvre, détaille Sabine Bechelani. Du fait de la structure sociale française peu agile, le déploiement de solutions sera certainement beaucoup plus long.»
Nouvelles compétences requises
Pour s’y préparer, certaines directions financières commencent néanmoins d’ores et déjà à intégrer de nouveaux métiers. Les sociétés les plus avancées sur le plan digital, comme les banques et les compagnies d’assurances, ont souvent créé un poste de chief digital officer (ou responsable digital) qui est souvent associé au comité de direction. Elles peuvent alors s’appuyer sur les compétences de ce dernier afin de diffuser en interne une «culture digitale». «Les nouvelles directions pilotées par un chief data officer ont, dans un premier temps, souvent été créées en lien étroit avec les directions marketing, détaille Emmanuel Berthelé. A l’avenir, il conviendra de développer la transversalité de ces fonctions, afin qu’elles collaborent efficacement avec les directions techniques et financières.» Certaines d’entre elles ont pris la mesure de cette évolution en recrutant des fonctions liées à l’exploitation des données, comme des «data analysts», ou encore des data scientists.
Pour intégrer ces nouveaux métiers, les directions financières n’ont d’autre choix que de former en interne leurs collaborateurs ou d’aller chercher des profils en externe.«A mon sens, sauf si les directeurs financiers en place possèdent déjà des affinités avec ces nouvelles technologies, il est difficile de se passer de recrutements externes, notamment pour intégrer des data scientists», explique Gildas Robert, directeur métier actuariat conseil chez Optimind Winter.
Dans ce cadre, les directions financières peuvent compter sur les jeunes diplômés qui commencent à être formés à la thématique du digital. Certains centres de formation commencent à les préparer. «Au sein du MBA Audit et Contrôle de gestion qui forme aux métiers de la direction financière, nous avons intégré un volet technologique et un volet digital dans la formation. Il faut bien avoir à l’esprit que les directeurs financiers de demain auront à piloter de la performance en traitant un nombre très important de données. Il faut donc les préparer dès leur formation», détaille Daniel Sopel, directeur pédagogique du MBA audit et contrôle de gestion de l’ILV, dont les enseignements sont dorénavant à 30 % destinés au digital et aux nouvelles technologies.
Si les formations initiales se mettent peu à peu au digital, les formations continues sont en revanche quasiment inexistantes aujourd’hui. L’Insead figure parmi les rares acteurs à proposer des formations courtes de sept jours dispensées dans le campus de Fontainebleau, dont une baptisée «Finance for Executives» qui mêle nouveaux outils et analyse stratégique. Mais compte tenu de la forte demande en matière de formation au digital des directions financières, il est probable que de nouvelles offres voient le jour très prochainement.
Des ETI en retard sur le digital
Rares sont les ETI à avoir les moyens de se doter d’une direction digitale. Dans son premier baromètre de la maturité digitale des ETI en France, le cabinet de conseil EY constate que seules 32 % des sociétés ont aujourd’hui une maturité digitale élevée, axée soit sur la veille numérique et le big data (20 %) soit sur l’optimisation des actions marketing (11 %). Rien, en revanche, sur l’optimisation de la fonction finance. Dans le même temps, 35 % des sociétés affirment ne pas être préparées à la révolution digitale et 34 % se disent ouvertes à la digitalisation, sans pour autant avoir de concrétisation réelle au sein de l’entreprise. Un challenge pour les entreprises de tailles intermédiaires, qui devront composer avec un environnement de plus en plus concurrentiel.