Les banques françaises face au défi de la diversité

Publié le 25 septembre 2024 à 17h54

Chloé Consigny    Temps de lecture 7 minutes

L’homogénéité des profils bancaires est de plus en plus mise en cause. Les grandes banques françaises (hors groupes mutualistes) se sont dotées de directions diversité et inclusion avec pour ambition de rendre les équipes plus diverses. Elles ont progressé notamment en matière de féminisation des postes de haut management.

« A chaque fois qu’on peut faire un geste pour que quelqu’un soit plus à l’aise ou plus ouvert, se sente mieux compris et davantage considéré, c’est toujours une bonne chose, sur ce sujet comme sur d’autres. En créant un univers plus favorable, on obtient assez naturellement un engagement complet des collaborateurs », expliquait en 2020, Jean-Laurent Bonnafé, administrateur directeur général de BNP Paribas, à l’occasion de la mise en œuvre d’un nouvel accord sur la diversité et l’inclusion entre BNP Paribas SA et les organisations syndicales représentatives. Un accord qui s’inscrit dans la lignée des engagements de 2006, date à laquelle la banque identifie la discrimination comme l’un des 30 risques opérationnels majeurs pour l’entreprise. Signataire en 2011 des Women’s Empowerment Principles, BNP Paribas se dote d’une direction de l’engagement de l’entreprise en 2017. Depuis, les initiatives se multiplient à l’égard des jeunes, des seniors, des personnes en situation de handicap ou encore des personnes LGBT. A l’instar de BNP Paribas, Société Générale s’est dotée d’une direction diversité & inclusion en 2019. « Les établissements bancaires ont pris la mesure de la nécessité d’agir, constate Nicolas Pirat-Delbrayelle, ancien cadre bancaire et aujourd’hui conférencier expert inclusion & diversité. Aujourd’hui, les grandes banques françaises se mobilisent, à l’exception des acteurs mutualistes qui sont sans conteste plus en retard sur ces sujets. » Une évolution largement portée par le cadre réglementaire. « Toutes les banques ont débuté par le sujet de l’égalité femmes/hommes, poursuit l’expert. Elles ont ensuite planché sur le sujet du handicap. Il y a eu ensuite une période de stagnation, puis les évolutions de la société les ont amenées à réfléchir à d’autres diversités, telles que notamment l’inclusion des personnes LGBTQIA+. »

«Il faut bien avoir à l’esprit que dans les formations finance de marché, data et tech, les femmes restent sous représentées.»

Marie Chambon head of culture, diversity and inclusion ,  Société Générale

Une impulsion réglementaire

Le premier chantier dont les banques se sont emparées est celui de la parité, porté par un cadre réglementaire fortement incitatif. « La direction D&I de Société Générale a été créée en 2019, explique Marie Chambon, head of culture, diversity and inclusion, Société Générale. A cette époque, le top management 250 ne comptait que 19 % de femmes, alors que nous comptions 54 % de femmes à l’échelle du groupe. Nous nous sommes donc donné pour objectif d’atteindre 30 % de femmes dans le top 250 à horizon 2023 et nous y sommes parvenus. D’année en année, nous poursuivons la progression avec l’ambition d’atteindre plus de 35 % de femmes dans le top 2050 dès 2026. » Reste un écueil majeur. Si les banques entendent féminiser leurs équipes, le vivier reste restreint. De fait, dans les écoles d’ingénieur et les formations tech, la part des femmes reste très minoritaire. « Il faut bien avoir à l’esprit que dans les formations finance de marché, data et tech, les femmes restent sous représentées, poursuit Marie Chambon. Nous avons donc beaucoup moins de profils féminins qui se présentent à nous lors des recrutements. » Pour tenter d’y remédier, le groupe s’emploie à recruter à parfaite parité lors des stages de découverte, afin de permettre aux stagiaires d’envisager les différents métiers de la banque et peut-être déclencher des vocations. Un vivier moindre qui s’explique notamment par la prévalence de biais et de stéréotypes : « En 11 ans, la part des femmes dans les écoles d’ingénieurs a baissé, souligne Nicolas Pirat-Delbrayelle. A mon sens, cela s’explique par des stéréotypes qui perdurent. On continue de penser que les femmes sont empathiques et que les hommes sont techniques. »

De nombreux chantiers en cours

Au-delà des femmes, beaucoup d’autres chantiers sont en cours à l’instar notamment de la mixité sociale. Baptisée « favoriser la diversité socioculturelle au sein des entreprises françaises », l’étude McKinsey/Club du 21e siècle livre un constat étonnant : seuls 38 % des dirigeants français ont des parents non issus de CSP +. En comparaison, 72 % de leurs homologues internationaux ont des parents non issus de CSP +. Par ailleurs, seuls 32 % des dirigeants français sont les premiers diplômés de leur famille. Un pourcentage qui atteint 42 % au sein des profils internationaux. A l’instar des femmes, les personnes issues des catégories non CSP + peinent à accéder aux plus hautes fonctions. « Tout l’enjeu de nos campagnes de communication interne est d’incarner la diversité par des témoignages afin d’inciter les managers à faire des pas de côté en recrutant des profils qui ne leur ressemblent pas », détaille Marie Chambon. Néanmoins, si les banques recrutent désormais très largement en dehors des écoles les plus prestigieuses, les parcours atypiques accèdent encore peu aux plus hautes fonctions. « C’est culturel et c’est plombant, se désole Nicolas Pirat-Delbrayelle. Il s’avère que je ne suis pas CSP +. Je n’ai pas eu accès aux très grandes écoles et j’ai dû faire des zigzags pour arriver à un certain niveau hiérarchique dans la banque. » Il ajoute : « L’enjeu désormais est de parvenir à mettre en avant les compétences davantage que le parcours académique dans les processus de recrutements. Les compétences se construisent avec l’expérience et ne se limitent pas à ce que l’on a appris durant les études supérieures. »

Des indicateurs chiffrés

Toutes ces avancées sont accompagnées d’indicateurs qui donnent la mesure de la diversité au sein de l’organisation. Si, en France, les statistiques concernant l’origine ethnique ou la religion sont interdites, des questionnaires anonymisés permettent de croiser les éléments. Ainsi, par exemple, le baromètre Société Générale questionne les collaborateurs pour savoir s’ils appartiennent à une diversité et permet de mesurer le niveau global de satisfaction. « En posant la question sur le ressenti, le sentiment d’appartenance au groupe, nous pouvons avoir un état des lieux clair des points de vigilance à observer, relève Marie Chambon. De cette façon, nous identifions les problèmes et accentuons les sessions d’information et de sensibilisation au sein de ces départements. » Le groupe s’est également doté d’outils tels que la Fresque de la diversité afin de sensibiliser l’ensemble de ses collaborateurs. « Je constate de moins en moins de réticence au sein des managers qui réalisent l’importance d’allouer du temps aux sujets de diversité et d’inclusion », souligne Marie Chambon.

La stratégie D&I des grands groupes bancaires français porte ses fruits. « J’ai connu la fin de la cravate dans le costume du banquier, conclut Nicolas Pirat-Delbrayelle. Aujourd’hui, les banquiers ressemblent à leurs clients, avec beaucoup de responsables de lignes métiers issus de diverses origines socioculturelles et socio-économiques. L’implantation à l’international des banques joue également sur une certaine forme de diversité, avec des échanges France/reste du Monde. » Pour autant, le combat pour la diversité n’est pas encore gagné…

Les équipes diverses sont plus performantes

+ 26 % : une équipe composée de profils divers serait 26 % plus performante qu’une équipe composée de profils similaires. C’est ce que révèle le baromètre Out@Work, réalisé par le cabinet de conseil Boston Consulting Group. « Une équipe plurielle, à l’image de la société, est plus créative qu’une équipe composée de clones, issus des mêmes écoles et des mêmes catégories socioprofessionnelles, constate Nicolas Pirat-Delbrayelle. Une équipe diverse est plus à même d’imaginer des offres de produits et de services en phase avec les attentes des consommateurs. C’est vrai pour le secteur bancaire, comme pour tous les autres secteurs. »

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