Alors que les cabinets d’audit et de conseil constituent depuis longtemps un vivier de talents pour les directions financières d’entreprises, les mouvements en sens inverse se multiplient. Considérée par les intéressés comme un accélérateur de carrière, cette évolution peut toutefois impliquer quelques sacrifices, notamment sur le plan salarial.
Ne soyez surtout pas surpris si, en sollicitant l’expertise d’un cabinet d’audit ou de conseil, vous tombez nez à nez avec… un ancien confrère ! En effet, alors que l’offre d’emplois au sein des directions financières d’entreprises devrait – comme cette année – rester globalement peu dynamique en 2014, selon plusieurs spécialistes en recrutement, de nombreux cadres financiers n’hésitent plus à franchir le pas en rejoignant un cabinet. Une tendance qui devrait se poursuivre au cours des prochains mois, compte tenu de l’intérêt croissant des structures d’audit et de conseil à l’égard de cette typologie de profils. «Même si ces demandes de recrutement sont encore minoritaires, nous recevons de plus en plus régulièrement des requêtes pour des candidats provenant d’entreprises, confirme Marlène Ribeiro, directrice chez Michael Page. De plus, les cabinets sont actuellement dans une phase de renforcement de leurs équipes, ce qui constitue une véritable opportunité pour les membres de la fonction finance.»
Pour ces derniers, cette situation est d’autant plus favorable qu’elle concerne l’ensemble des matières traitées par les cabinets. Avec quelques réserves, toutefois. «Certes, dans l’audit, les associés préfèrent le plus souvent recruter des personnes en provenance de structures concurrentes, mais la demande existe tout de même», constate Marlène Ribeiro. En revanche, dans l’univers du conseil, l’intérêt est plus grand. «Une expérience en entreprise représente un atout dès qu’il s’agit de délivrer des conseils en matière de financement du besoin en fonds de roulement, de gestion de trésorerie ou encore de mise en place d’un système d’informations, poursuit Marlène Ribeiro. C’est la raison pour laquelle nous sommes très sollicités pour démarcher des candidats dans la sphère corporate.» De plus, compte tenu de la diversité des postes à pourvoir, les profils recherchés sont extrêmement variés. Il peut en effet s’agir aussi bien de contrôleurs de gestion que de comptables ou de trésoriers, voire de responsables financiers. Autre point positif, tous les niveaux d’expérience font l’objet de l’attention des recruteurs, même si certains prérequis sont exigés de la part des cabinets (voir encadré).
Cette motivation à recruter des collaborateurs venant de sociétés s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, pour un grand nombre de responsables de structures de conseil, le «bagage financier» de ces professionnels est parfois considéré comme meilleur que celui de consultants ayant réalisé l’ensemble de leur parcours en cabinet, en raison de leur expertise très pratique. En outre, la présence d’ex-membres de la fonction finance d’entreprise est perçue par les clients comme une réelle valeur ajoutée.«Mes interlocuteurs apprécient particulièrement le fait que j’ai occupé des fonctions de directeur comptable et de directeur financier – au sein des groupes Autogrill, Mona Lisa et Genoyer –, témoigne Pascale Avargues, associée du cabinet d’expertise comptable et d’audit Exco Omniconseils. Lorsqu’ils sont confrontés à une difficulté de gestion, ils savent que je comprends leur situation, ayant moi-même vécu des expériences similaires, et que je suis à même de trouver une solution.»
Enfin, un certain phénomène de cooptation commence également à se développer.«Depuis mon retour chez KPMG en 2011, j’ai recruté deux collaborateurs qui, comme moi, ont exercé en entreprise, explique Nicolas Richard, associé KPMG et ancien directeur financier d’Europcar International. Selon moi, c’est un enrichissement tant pour les collaborateurs que pour le cabinet. Toutefois, cette nouvelle orientation peut nécessiter une adaptation pour intégrer la démarche de conseil.»
En effet, une telle transition s’accompagne d’une série de changements dans la façon de travailler, dont le cadre financier doit être pleinement conscient. L’un d’entre eux concerne la mobilité géographique. «En intégrant un cabinet, celui-ci doit être prêt à se déplacer pour des missions en province, voire à l’étranger», souligne Marlène Ribeiro. De plus, le rythme professionnel entre les deux univers peut parfois être radicalement différent. «A l’exception de certaines périodes comme la clôture des comptes ou le processus budgétaire, la charge de travail en entreprise est relativement constante, témoigne Sandra Dujardin, associée au sein de Bellot Mullenbach & Associés ayant auparavant exercé chez Rhône-Poulenc et Rhodia. Or en cabinet, le volume horaire varie très souvent car il dépend des missions qui nous sont confiées. En outre, il reste généralement très intense car nous intervenons souvent en situation d’urgence sur certaines problématiques de nos clients, avec un cadencement d’échéances plus fort.»
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Outre l’aspect temps de travail, le fait que l’activité y repose sur une succession de tâches de court ou moyen terme peut également se traduire par un autre inconvénient. «En quittant une entreprise pour un cabinet, un financier passe d’une fonction support à une fonction opérationnelle, explique Sandra Dujardin. Ainsi, l’approche en termes d’obligation de résultat est différente. En outre, dans la mesure où le client change fréquemment, il faut constamment faire ses preuves, ce qui met beaucoup de pression.» En conséquence, il n’est pas rare que certains collaborateurs ayant rejoint un cabinet fassent finalement marche arrière, en raison de conditions de travail considérées comme davantage stressantes. Néanmoins, cette tension permanente s’atténue progressivement avec l’ancienneté. «A mesure que l’on gagne en séniorité, le lien avec les clients se renforce, tant dans la nature de la relation que dans la durée», assure Nicolas Richard.
Mais il reste toutefois un obstacle de taille que le candidat potentiel doit parfois être prêt à surmonter, celui du salaire. Dans les grosses structures de conseil, ce dernier est le plus souvent supérieur à celui perçu en entreprises. Or tel n’est pas toujours le cas dans les cabinets de moindre taille. En effet, la part fixe versée est en général plus faible qu’en entreprise. Même si l’attribution d’une rémunération variable compense souvent – voire fait plus que compenser – le manque à gagner, il arrive parfois que les revenus octroyés par le cabinet restent inférieurs.«En quittant mon ancien poste en direction financière, j’ai dû accepter de réduire ma rémunération d’environ 20 %», signale ainsi Pascale Avargues. Un sacrifice qui peut cependant n’être que temporaire, la progression des salaires dans les domaines de l’audit et du conseil étant plus rapide que celle constatée dans les entreprises.
Des modalités de recrutement relativement strictes
Pour rejoindre un cabinet d’audit ou de conseil, un cadre financier d’entreprise doit, le plus souvent, respecter un certain nombre de critères. Selon les spécialistes en recrutement et les associés de cabinet, le candidat doit ainsi :
- être titulaire d’un master en finances, ou diplômé d’une école de commerce ou d’une école d’ingénieur ;
- bénéficier, pour des postes de consultants, d’une expérience de deux à six ans dans une direction financière, quelle que soit sa taille. «En plus des compétences techniques, il est nécessaire que le candidat ait mené un projet similaire à ceux qu’il présentera aux clients du cabinet, comme, par exemple, la mise en place de financements ou de systèmes d’information», indique Marlène Ribeiro, directrice chez Michael Page ;
- pour des fonctions de manager, avoir déjà exercé au sein d’un cabinet avant de passer en entreprise. Sans cette première expérience, l’adaptation peut se révéler très compliquée. «Après avoir débuté ma carrière chez Rhône-Poulenc dans la direction consolidation et reporting, j’ai intégré Arthur Andersen à un poste senior, précise Sandra Dujardin, aujourd’hui associée chez Bellot Mullenbach & Associés. Mais alors que j’avais une culture financière propre à ma société, je me suis retrouvée à devoir gérer une diversité de dossiers ainsi que des collaborateurs, ce qui réclame des compétences extrêmement variées. L’intégration d’un senior “novice” dans un cabinet est particulièrement difficile. Seules les structures ayant une culture managériale forte parviennent à y arriver.»