Malgré l’impact de la crise sanitaire sur la trésorerie de nombreuses entreprises, la distribution de la « prime Macron » a battu tous les records l’année dernière, avec 2,3 milliards d’euros versés. Alors que le dispositif vient d’être prolongé, beaucoup de sociétés qui l’ont déjà utilisé comptent le pérenniser.
La « prime Macron » sera bien de retour cette année ! A l’issue de la troisième conférence du dialogue social qui s’est tenue le 15 mars dernier, le Premier ministre, Jean Castex, a en effet annoncé sa reconduction, pour la troisième année consécutive. Cette prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (PEPA), ouverte à toutes les entreprises et instaurée par le président de la République en décembre 2018 pour tenter d’apaiser la crise des Gilets jaunes, permet aux dirigeants qui le souhaitent de remercier leurs salariés pour leur engagement. Double intérêt de cette gratification : elle est non seulement défiscalisée – c’est-à-dire qu’elle n’entre pas dans le calcul de l’impôt sur le revenu du bénéficiaire – mais aussi désocialisée – elle est exonérée de charges sociales pour l’entreprise.
Près de 5 millions de salariés ont reçu la prime Macron l’année dernière, pour un montant moyen de 458 euros.
Une incitation à lutter contre l’absentéisme
Dès son instauration, le dispositif avait rencontré un franc succès : 4,8 millions de salariés en avaient bénéficié en 2019 pour un montant moyen de 400 euros, selon l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss). Et force est de constater qu’il a séduit encore plus les entreprises l’année dernière ! Alors que ces dernières subissaient l’une des plus violentes récessions de l’histoire moderne, près de 5 millions de salariés ont reçu une PEPA toujours d’après l’Acoss, pour un montant moyen de 458 euros. Soit une enveloppe globale record de 2,3 milliards d’euros ! « Associer les collaborateurs à la profitabilité a toujours été une des valeurs historiques du groupe, rappelle Dimitri Dewavrin, directeur général de Dewavrin Cosmetics, groupe spécialisé dans la fabrication de soins dermatologiques et de produits cosmétiques (55 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020). Les salariés peuvent déjà bénéficier de l’intéressement et de la participation, et depuis la création de la prime Macron, nous avons joué le jeu chaque année. »
Très vite après le début de la crise sanitaire de la Covid-19, en mars 2020, le gouvernement d’Edouard Philippe avait compris que le premier confinement risquait de perturber l’activité des entreprises. Aussi la prime Macron avait-elle été renouvelée une première fois dans le cadre d’une ordonnance présentée en Conseil des ministres le 1er avril 2020. Une initiative gouvernementale qui n’avait pas, à l’époque, échappé aux entreprises des secteurs particulièrement sollicités par les Français (dits de « première ligne ») et qui redoutaient un pic d’absentéisme du fait des craintes de contamination au virus. « Nous travaillons dans le secteur de l’agroalimentaire. Présent à 75 % dans les grandes et moyennes surfaces, notre groupe a connu une activité très soutenue dès les premières semaines du premier confinement de mars 2020 pour faire face à une demande beaucoup plus importante qu’habituellement de la part des consommateurs, souligne Vincent Raoul, directeur financier de la Laiterie Saint-Denis de l’Hôtel (LSDH), ETI spécialisée dans le conditionnement de liquides alimentaires et dans la production de crudités (900 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2019). Ces derniers, par peur de pénuries, se sont rués sur des produits tels que le lait, la crème, les jus de fruits… En conséquence, deux semaines après le début du premier confinement, nos stocks étaient pratiquement tombés à zéro et nous avons dû les reconstituer rapidement. » Pour mobiliser ses équipes de production, le groupe LSDH n’a donc pas hésité à saisir l’opportunité de la PEPA. Il a versé à la moitié de ses 2 000 collaborateurs présents sur site 1 000 euros chacun, pour un total d’environ 1 million d’euros au total. « Malgré l’inquiétude que pouvait susciter le virus de la Covid-19, les salariés ont fait l’effort de venir travailler et il nous semblait normal de les remercier », ajoute Vincent Raoul.
Une récompense pour des salariés privés de télétravail
Mais en 2020, le gouvernement ne s’était pas contenté de réactiver la prime Macron, il l’avait aussi rendue plus généreuse. Ainsi, l’ordonnance du 1er avril 2020 prévoyait de doubler le montant maximal de la prime à 2 000 euros si l’entreprise disposait en interne d’un accord d’intéressement mis en place au plus tard au 31 août 2020 pour une durée d’un an ou de moins de trois ans – celles n’en disposant pas restaient plafonnées à 1 000 euros. Ensuite, le texte réglementaire permettait à l’employeur de moduler cette gratification en fonction des conditions de travail des bénéficiaires liées à l’épidémie de la Covid-19, ce qui était impossible auparavant. Les dirigeants ont donc été incités à privilégier les collaborateurs dont la mission les exposait davantage au risque de contamination. A ce titre, à la prime de 1 000 euros déjà versée à un salarié présent sur site, l’employeur était tout à fait libre de lui accorder un complément pouvant atteindre jusqu’à 1 000 euros supplémentaires (soit 2 000 euros au total) dès lors que l’entreprise possédait un accord d’intéressement d’entreprise.
Surtout, l’ordonnance autorisait le dirigeant à limiter la distribution de la PEPA à ce type de salariés ou à leur en verser une part plus importante qu’à ceux placés en télétravail. C’est le choix qu’a notamment retenu la société Dewavrin Cosmetics. « Nous avons tenu à encourager spécifiquement notre personnel de production (150 salariés), les 120 autres collaborateurs ayant été placés en télétravail, précise Dimitri Dewavrin. Nous leur avons annoncé, dès le mois de mars 2020, que nous envisagions de leur distribuer une prime exceptionnelle de 1 000 euros, modulée selon la présence dans les usines. Au total, cette prime nous a coûté environ 100 000 euros, mais sans cela, les pertes de recettes pour l’entreprise auraient pu être considérables. ».
Les règles pour définir le montant de la prime
- Depuis son instauration en 2018, le versement de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (PEPA) est au bon vouloir du chef d’entreprise. Si la décision peut faire l’objet d’un accord d’entreprise, elle peut surtout provenir d’une décision unilatérale de l’employeur. Ce dernier fixe d’ailleurs librement le montant de l’enveloppe dans la limite de 1 000 euros par bénéficiaire, ou de 2 000 euros depuis 2020 si un plan d’intéressement est mis en place dans l’année du versement de la prime.Toutefois, la prime Macron n’étant pas obligatoire, son montant peut être inférieur à 1 000 euros. Si la prime dépasse ce seuil, la fraction excédentaire sera soumise à cotisations et contributions sociales (CSG-CRDS). Tous les collaborateurs peuvent la recevoir, y compris les apprentis, les intérimaires, etc.
- La prime ne peut pas en revanche se substituer à une augmentation de rémunération ou à une autre prime prévue dans un contrat de travail.
Un dispositif 2021 toujours attrayant
Aussi, fort du succès rencontré par le dispositif l’année dernière et conscient que les entreprises ne sont pas encore tout à fait libérées de la pandémie, le gouvernement, par le biais de sa ministre du Travail, Elisabeth Borne, a précisé le 28 avril dernier les modalités de la prime Macron pour cette année. Les conditions restent globalement les mêmes que précédemment : la prime, d’un montant maximum de 1 000 euros, pourra être versée à tous les collaborateurs dont le salaire est inférieur à trois SMIC. De plus, son montant pourra encore une fois être porté à 2 000 euros si l’employeur a mis en œuvre un accord d’intéressement. La PEPA 2021 reste également totalement exonérée de charges sociales pour l’entreprise et n’est pas soumise à l’impôt pour son bénéficiaire.
Elle contient toutefois quelques nouveautés. Alors que le chef du gouvernement avait, en mars dernier, formulé le souhait de voir récompenser cette fois-ci les métiers dits de « deuxième ligne » qui ont contribué à faire tourner le pays au plus fort de la crise sanitaire (chauffeurs routiers, employés de caisse des magasins, employés des pompes funèbres…), cette catégorie de salariés pourra se voir attribuer directement un montant de 2 000 euros dans le cas où l’entreprise s’engagerait formellement (c’est-à-dire par la signature d’un accord au niveau de la branche ou de la société) à des actions de valorisation de cette catégorie de salarié. De plus, si la prime version 2020 pouvait être versée jusqu’au 31 décembre de l’année dernière, le gouvernement autorise désormais les dirigeants à distribuer la PEPA 2021 jusqu’au début de l’année 2022, sans toutefois en avoir encore déterminé la date butoir. Une bonne nouvelle pour les entreprises dont beaucoup (voir encadré) attendaient le feu vert du gouvernement pour en distribuer de nouvelles.
Trois questions à… Yves Benchimol, co-fondateur, WeWard
Quel a été l’impact de la crise sanitaire sur vos activités ?
En tant qu’entreprise digitale, le télétravail recommandé dans le cadre du premier confinement ne nous faisait pas peur. Avant la crise, 90 % de notre effectif (15 salariés) le pratiquait déjà. En revanche, nous avions des craintes quant à la pérennité de notre business model ! En effet, notre application récompense les marcheurs. En fonction des kilomètres parcourus, ils peuvent recevoir des bons d’achat de la part de marques avec qui nous avons conclu des partenariats. Or, qui dit confinement, dit arrêt (ou presque) des activités physiques ! Nos abonnés n’avaient donc plus de raison d’utiliser notre application.
Dans ce contexte, quelle stratégie avez-vous adoptée ?
Les 15 salariés de l’entreprise ont tous été invités à repenser l’application afin de développer de nouvelles fonctionnalités en période de crise sanitaire. Comme les autorités demandaient à la population de rester à la maison, nous avons décidé de récompenser les abonnés qui respectaient ces consignes. De plus, nous avons aussi diversifié nos contenus en proposant par exemple des coachings de sport en live ou des conseils santé. Une évolution qui s’est révélée très bénéfique pour notre entreprise puisque l’application, qui compte désormais 2 millions d’abonnés, a même été lancée en Belgique pendant la crise.
Pourquoi avez-vous décidé de distribuer la prime Macron à vos collaborateurs ?
Le succès rencontré par notre application l’année dernière est le fruit d’un important travail d’équipe qui a nécessité de la créativité et de la réactivité. Distribuer la prime Macron était pour l’équipe dirigeante une façon de montrer à certains de nos collaborateurs que nous étions très satisfaits de leur travail, d’autant qu’il est difficile d’encourager ses équipes à distance, lorsque tout le monde est en télétravail. 3 000 euros ont ainsi été versés en 2020 à trois membres de l’équipe commerciale et deux autres primes de 1 000 euros chacune ont déjà été validés pour deux autres salariés cette année, au titre de la PEPA 2021. Nous faisons en fonction de nos moyens bien sûr et du travail de chacun – beaucoup de nouvelles recrues sont arrivées en fin d’année dernière –, mais il nous semble important de faire part de notre estime et de notre confiance envers nos collaborateurs.