Après avoir occupé des postes à responsabilité au sein de grandes entreprises, banques, sociétés de gestion ou institutions, de plus en plus de financiers décident de rejoindre des fintechs. Cette transition les conduit le plus souvent à changer en profondeur leurs méthodes de travail et à réaliser des missions au périmètre très étendu, tout en adoptant une «culture de start-up».
«Après plus de trente ans de carrière au sein de grandes banques internationales, rejoindre une fintech a représenté pour moi un véritable saut dans l’inconnu… et l’une des meilleures décisions de ma vie.» A l’instar de Grégoire de Lestapis, directeur général du bureau espagnol de la plateforme de crowdfunding Lendix, de plus en plus de financiers expérimentés (directeurs financiers, banquiers, etc.) choisissent de se détourner des grandes entreprises et institutions financières pour intégrer des start-up de technologies financières. «J’aurais pu continuer de suivre une voie “traditionnelle” qui m’aurait amené à occuper d’ici quelques années des postes de direction au sein de grandes banques, mais j’ai préféré me lancer dans une aventure entrepreneuriale, plus excitante», indique Alexis Naacke, gérant de portefeuille au sein du robo-advisor Yomoni.
Des fonctions plus opérationnelles
Plusieurs raisons peuvent pousser les professionnels expérimentés à rejoindre des fintechs. Certains profils cherchent avant tout à exercer des fonctions plus opérationnelles qu’auparavant et à participer au lancement, ainsi qu’au pilotage de projets concrets. «Dans le cadre de mes fonctions au Trésor, j’ai beaucoup travaillé sur les évolutions réglementaires et technologiques dans les domaines des infrastructures de marché et des produits financiers, explique Pierre Davoust, directeur général du bureau français de la fintech britannique spécialisée dans la technologie blockchain SETL. Or plus j’acquérais de connaissances sur ces sujets, plus je souhaitais m’impliquer directement dans le développement de solutions innovantes pour la Place de Paris, ce que j’ai désormais l’occasion de faire dans le cadre de mes nouvelles fonctions.»
Pour d’autres financiers, l’un des principaux intérêts de rejoindre une fintech représente le périmètre étendu des missions qu’ils sont appelés à y mener.«Je traite aujourd’hui de thématiques bien plus transversales que lorsque j’étais directeur financier d’Euronext, illustre Amaury Dauge, directeur financier de la fintech new-yorkaise Axioma, spécialisée dans les solutions innovantes de gestion des risques et de construction de portefeuille pour les institutions financières. Outre les missions “classiques” de mon poste (stratégie financière, pilotage de la trésorerie, relations investisseurs, etc.), je travaille également quotidiennement avec les équipes commerciales, sur des projets tels que la mise en place d’indicateurs de performance ou du lancement de recrutements à l’international. Je suis aussi fortement impliqué aux côtés de la direction générale dans la définition des orientations stratégiques et de la politique d’investissement de la société.»
Des cultures d’entreprise différentes
Autre facteur déterminant, les financiers expérimentés choisissent aussi souvent d’intégrer une fintech parce qu’ils souhaitent y trouver une culture d’entreprise différente de celle des grands établissements. «J’apprécie particulièrement de travailler en open space avec de jeunes collaborateurs très dynamiques et innovants dans un environnement moins hiérarchisé et laissant davantage de place aux initiatives individuelles», confie Xavier Pierart, directeur financier de la plateforme de crédit à la consommation Younited Credit. En outre, les fintechs présentent pour certains professionnels l’avantage de leur offrir des possibilités d’évolution de carrière plus rapides que les sociétés déjà bien établies.«Il m’aurait probablement fallu encore au moins dix ans pour devenir directeur d’une équipe de gestion conséquente chez Barclays, confie Alexis Naacke. Or compte tenu de la forte croissance de Yomoni, je pourrais être appelé à y exercer de telles fonctions d’ici quelques années seulement.»
Des process plus souples
Le passage d’une grande institution à une start-up nécessite toutefois une forte capacité d’adaptation des profils financiers. D’abord, ces derniers renoncent généralement au confort lié, entre autres, à la notoriété et à l’historique des structures de taille importante. «Après avoir été habitué à recevoir quotidiennement des centaines d’e-mails au Trésor, j’ai été déstabilisé de ne pas en obtenir un seul durant mes premiers jours au sein du bureau français de SETL, dont j’étais alors le seul représentant, reconnaît Pierre Davoust. Ce n’est qu’après avoir initié des prises de contacts avec des partenaires et des clients potentiels que cette situation a évolué.»
A l’inverse, d’autres professionnels ont dû adapter leurs méthodes de travail pour répondre aux nombreuses sollicitations qu’ils reçoivent, en interne comme en externe. «Je suis souvent amené à répondre à des demandes concernant, entre autres, les caractéristiques techniques de nos solutions d’investissement, en provenance tant de nos équipes marketing ou conformité que de clients, illustre Alexis Naacke. Pour rester efficace dans un tel environnement, j’ai notamment donné accès à mon agenda sur Internet à nos clients afin qu’ils puissent prendre rendez-vous avec moi de manière autonome, ce qui m’a permis de simplifier la gestion de mon planning.»
Mais lorsqu’ils rejoignent une fintech, l’un des défis les plus importants pour les financiers expérimentés consiste à s’adapter à des processus très différents de ceux des grandes sociétés. «D’une part, les circuits décisionnels sont beaucoup plus courts au sein des start-up, ce qui nécessite par exemple d’être capable de réagir rapidement à des changements de priorités stratégiques, poursuit Alexis Naacke. D’autre part, les processus évoluent très rapidement compte tenu de la croissance de notre société, tant en termes de volume d’affaires que de salariés, contrairement à ceux des grandes banques, plus lourds et plus rigides.» De fait, l’un des principaux chantiers de nombreux financiers qui rejoignent des fintechs consiste précisément à y mettre en place et à y faire évoluer des process, par exemple en matière de contrôle de gestion et de conformité réglementaire.
Des salaires moins attractifs
Outre ces aspects, les profils financiers expérimentés qui rejoignent des fintechs doivent souvent adapter leurs exigences en matière de rémunération aux moyens de leur nouvel employeur. «J’ai consenti à diviser mon salaire par quatre par rapport à mes fonctions précédentes», confirme un ex-banquier d’affaires. Si ce différentiel varie fortement d’un profil à l’autre, en fonction principalement des postes qu’ils occupaient jusqu’alors et de la maturité des fintechs qu’ils intègrent, la plupart voient généralement leur salaire diminuer ou rester relativement stable. En contrepartie, la quasi-totalité des start-up leur proposent tout de même des programmes d’intéressement, des bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (BSPCE), des stock-options, voire une prise de participation immédiate au capital. De quoi leur offrir des perspectives de rémunération complémentaire attractives… pour autant que l’entreprise réussisse à transformer son projet en «success story» !
Des nouvelles opportunités à saisir
Les financiers sont en effet conscients qu’ils rejoignent des structures dont la pérennité est loin d’être garantie, et qu’ils pourraient potentiellement se retrouver sans emploi quelques années après leur arrivée. Pour tenter de limiter ce risque, nombre d’entre eux réalisent en amont des «due diligences» poussées sur ces sociétés (voir encadré)… et réfléchissent déjà à de possibles reconversions.«Je sais pertinemment qu’en rejoignant une fintech, je prends davantage de risques qu’en poursuivant ma carrière au sein de grandes sociétés établies, reconnaît Amaury Dauge. Mais non seulement il s’agit d’un défi très stimulant, mais le fait de s’être investi dans une aventure entrepreneuriale, même si elle venait à prendre fin, représente en outre de plus en plus un atout aux yeux des recruteurs plutôt qu’un échec.»
Pour preuve, le regard que porte la communauté financière sur les professionnels qui ont quitté de grandes institutions pour des fintechs a déjà commencé à évoluer. «Lorsque j’ai pris cette décision l’été dernier, de nombreux collègues et confrères ont été très surpris et n’ont pas hésité à me faire part de leur scepticisme, confie Grégoire de Lestapis. Or, au fil de nos conversations ces derniers mois, ils se montrent de plus en plus convaincus par la pertinence de mon choix… au point que certains d’entre eux envisagent même désormais également de rejoindre une start-up financière à leur tour !» Compte tenu de la demande croissante des fintechs pour des profils expérimentés capables d’accompagner leur développement, les financiers devraient continuer de bénéficier de nouvelles opportunités de carrière au sein de ces jeunes pousses.
Des due diligences réalisées en amont
- Avant de quitter une grande société pour rejoindre une fintech, les financiers expérimentés mènent généralement des due dilingences poussées sur ces dernières. «Je me suis notamment renseigné sur le business model de Yomoni, sur le parcours et le track-record de ses fondateurs, sur le profil de ses actionnaires ou encore sur la qualité de leurs produits, en utilisant à la fois des informations disponibles publiquement et mon réseau», détaille Alexis Naacke, gérant de portefeuille chez Yomoni.
- Surtout, la plupart des candidats accordent une importance fondamentale à la prise de contact avec les dirigeants. «C’est véritablement durant mes entretiens avec ces derniers, ainsi qu’avec les membres du conseil d’administration, que j’ai été convaincu de la qualité de leurs produits et de la viabilité de leur business model, et que j’ai donc décidé de les rejoindre plutôt que d’intégrer l’une des grandes sociétés financières que m’avaient proposées en parallèle des cabinets de recrutement», confie Amaury Dauge, directeur financier d’Axioma.
Comment les candidats sont-ils recrutés ?
- Les fintechs utilisent plusieurs méthodes pour attirer les profils financiers expérimentés. D’abord, elles postent des offres d’emplois sur leur site Internet et sur les réseaux sociaux professionnels, comme LinkedIn. «C’est par ce biais que j’ai appris que Yomoni recherchait un gérant de portefeuille et que je leur ai envoyé ma candidature», indique Alexis Naacke, gérant de portefeuille chez Yomoni.
- Ensuite, certaines d’entre elles nouent des contacts avec leurs futures recrues dans des contextes non liés à un processus de recrutement. «J’ai été contacté par les dirigeants de Lendix via LinkedIn lorsque j’étais directeur général France de BBVA car ils souhaitaient me présenter leurs activités en vue de nouer potentiellement un partenariat entre nos deux établissements, illustre Grégoire de Lestapis, directeur général pour l’Espagne chez Lendix. Quelques mois plus tard, ils m’ont recontacté pour me proposer d’intégrer leur équipe.»
- Enfin, certaines fintechs recourent occasionnellement à des cabinets de recrutement. «J’étais en contact régulier avec plusieurs chasseurs de têtes lorsque l’un d’entre eux m’a proposé, parmi plusieurs offres émanant de grandes sociétés financières, un poste au sein d’une fintech», confirme Amaury Dauge, directeur financier d’Axioma.
Les parcours de…
Amaury Dauge, directeur financier d’Axioma
Titulaire d’un bachelor of business administration de l’Inseec et d’un MBA de l’Insead, Amaury Dauge a débuté sa carrière en 1997 en tant qu’analyste crédit pour BNP Paribas au sein de Bank of Sharjah. Après avoir ensuite successivement été auditeur chez PwC et consultant chez Atos Consulting, il a été recruté en 2001 par Euronext au poste de senior analyst. Il y a été promu trois ans plus tard director au sein du département corporate finance, avant de devenir en parallèle chief of staff du bureau du CEO en 2006, juste avant la fusion entre NYSE et Euronext. Entre 2008 et 2014, il a occupé successivement les postes de chief operating officer pour le marché des actions européennes et de senior vice president de NYSE Euronext, avant d’être promu ensuite directeur financier d’Euronext. Depuis juin 2016, il occupe cette fonction chez Axioma, à New York.
Grégoire de Lestapis, directeur général Espagne de Lendix
La carrière de Grégoire de Lestapis a commencé 1985 lorsqu’il a pris le poste de représentant adjoint de la Société Générale en Indonésie. Deux ans plus tard, ce titulaire d’un DESS en finance de l’université Paris-Dauphine a rejoint le groupe Crédit Agricole, où il a exercé diverses fonctions à Chicago, Londres et Madrid. Il a ensuite intégré en 2002 le groupe BBVA comme responsable des ventes Europe/Etats-Unis au sein du département global markets, dont il est devenu six ans plus tard responsable Asie, basé à Hong Kong. Entre 2011 et fin 2014, il a été responsable de la division de corporate & investment banking de BBVA en Amérique latine, avant d’être promu directeur général de BBVA en France. Il a pris la direction générale du bureau espagnol de Lendix en septembre 2016.
Xavier Pierart, directeur financier de Younited Credit
Diplômé de l’ESCP Europe, Xavier Pierart a tout d’abord été analyste en fusions-acquisitions chez JP Morgan en 2001. Trois ans plus tard, il a rejoint RBS, où il a travaillé pendant douze ans sur les financements de projets et les opérations à effet de levier à Paris, Londres, puis en Irlande. Entre 2016 et mars 2017, il a été responsable des ventes stratégiques, en charge de la restructuration du bilan d’Ulster Bank, filiale de RBS. Il a rejoint le mois dernier Younited Credit en tant que directeur financier.
Alexis Naacke, gérant de portefeuille chez Yomoni
Après des études à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne et à l’université Paris 10 Nanterre, Alexis Naacke a commencé en 2002 comme consultant financier pour IEM Finance. Trois ans plus tard, il a intégré Barclays en tant que risk advisor au sein de la branche Wealth and Investment Management de la banque. En 2010, il y a été promu gérant de portefeuille. Cinq ans plus tard, il a pris cette fonction chez Yomoni.
Pierre Davoust, directeur général France de SETL
Polytechnicien et diplômé de l’Ecole nationale des ponts et chaussées, ainsi que de l’Ecole d’économie de Paris, Pierre Davoust a débuté sa carrière en 2010 comme analyste au sein du Cube Infrastructure Fund. En 2012, il a intégré la Direction générale du Trésor en tant que chargé de mission au sein du bureau Economie des réseaux, avant d’être promu quatre mois plus tard adjoint au chef de bureau Financement du logement social. En 2014, il devient adjoint au chef de bureau Epargne et marchés financiers. Il a occupé ce poste jusqu’en janvier 2017, date à laquelle il a rejoint SETL en tant que directeur général pour la France.