Sous l’effet du développement de la robotisation des processus financiers, les contrôleurs de gestion sont amenés à être déchargés des tâches de collecte et d’agrégation de données au profit des missions d’analyse et de conseil auprès des instances dirigeantes. Si cette évolution reste très progressive, elle n’en implique pas moins une montée en compétences rapide des professionnels concernés.
Depuis le début de l’année, les offres d’emploi à destination des contrôleurs de gestion se sont multipliées. Fait original : dans plusieurs d’entre elles, l’intitulé du poste a été modifié, devenant « contrôleur de gestion, pilote de la performance ». Une formulation qui préfigure peut-être l’évolution du métier. En effet, tous les spécialistes s’accordent à dire que les contrôleurs de gestion, débarrassés des tâches les plus répétitives grâce notamment à une robotisation accrue des outils, évolueront à l’avenir vers des missions à forte valeur ajoutée. Pour autant, leur quotidien est encore très ancré dans l’accomplissement de tâches opérationnelles.
Des outils peu adaptés au télétravail
Ainsi, selon l’enquête « Quel avenir pour le contrôle de gestion ? » récemment publiée par Grant Thornton et Micropole, 63 % des contrôleurs de gestion sondés disent se positionner actuellement comme des professionnels de la finance, dont la principale mission est d’agréger la donnée. « J’observe ce métier depuis deux décennies et je constate que, aujourd’hui encore, beaucoup de contrôleurs de gestion se consacrent à la donnée pour la production d’informations, explique Olivier Rihouet, partner Digital Performance Management chez Grant Thornton. Le temps d’analyse est réduit à sa portion congrue. » Un propos largement confirmé par l’étude de PwC sur les « Priorités 2021 du directeur financier », réalisée en partenariat avec la DFCG. Les répondants y déplorent le temps passé par leurs équipes sur la compilation des données, jugé trop important.
En cause, notamment : les outils informatiques en place. Selon l’étude de PwC, plus de 70 % des directeurs financiers de grands groupes déclarent en effet que l’outillage est le principal axe d’amélioration du processus prévisionnel. Il faut dire que, dans la plupart des entreprises, Excel demeure la solution de prédilection des contrôleurs de gestion. Or ses inconvénients sont réels : perte de temps dans l’intégration de données, risque d’erreurs de saisie... Autant de limites qui sont devenues criantes l’an dernier, lorsque les équipes ont brusquement basculé dans un mode tout-télétravail (voir encadré)…
De nouvelles qualités ciblées
Pour y remédier, de nombreux groupes ont donc choisi de miser sur des outils plus sophistiqués, comme avaient pu le faire de grandes entreprises avant eux. Or ces solutions laissent, pour certaines d’entre elles, peu de place aux contrôleurs de gestion dont la fonction se limiterait à l’agrégation de données. « Toutes les solutions embarquent désormais de l’analyse de données et du reporting, observe Olivier Rihouet. La donnée et l’analyse sont donc déportées au plus près des opérationnels. Ce qu’il reste au contrôleur de gestion, c’est sa capacité à se situer au carrefour de toutes les données de l’entreprise pour adresser la stratégie. »
Dans ce contexte, les qualités recherchées au sein des directions financières ont commencé à évoluer. « Il est certain que les experts de demain devront avoir une forte appétence pour les outils paramétrables, insiste Laurent Morel, associé, PwC. Les profils de contrôleurs de gestion accumulant des données sont en train de disparaître au profit d’analystes. » Face à cette perspective, le décalage entre les profils les plus seniors et ceux les plus juniors peut sembler immense. « Nous sommes aujourd’hui à un tournant générationnel, poursuit Olivier Rihouet. Il y a les contrôleurs de gestion expérimentés et issus de formations comptables qui restent dans un rôle comptable. Quant aux nouvelles générations, elles sont beaucoup plus alertes aux nouveaux outils digitaux et ne souhaitent pas consacrer l’entièreté de leur temps à faire de l’agrégation de données. »
Une quête de complémentarité
Or, comme l’affirme dans l’étude de Grant Thornton Frédéric Vole, le directeur du contrôle de gestion de Technip France, « l’avenir appartiendra aux profils qui seront passionnés par les outils ». Pourrait-on, dans ce contexte, imaginer une « prime au jeunisme », avec un tropisme pour les profils « digital native » ? Beaucoup d’experts n’y croient pas. « Les directions financières ont, certes, besoin de profils rompus aux outils digitaux, mais également de profils expérimentés, maîtrisant les spécificités du secteur dans lequel opère l’entreprise », insiste Laurent Morel. Elément d’optimisme pour l’ensemble des contrôleurs de gestion : s’agissant des profils actuellement ciblés par les recruteurs, il y en a pour les différents niveaux d’expérience.
Le recours à Excel reste la norme
l L’enquête récemment menée par Grant Thornton sur l’avenir des contrôleurs de gestion révèle que 42 % des répondants déclarent utiliser Excel à des fins de pilotage de la performance. La crise n’aura pas infléchi cette tendance, tant s’en faut ! « Pour identifier les impacts de la pandémie, différentes projections ont dû être réalisées par les directions financières, notamment celles de grands groupes, rappelle Laurent Morel, associé PwC, responsable des activités de conseil pour les directions financières. Pour répondre à ces besoins d’agilité, certaines ont travaillé directement sur Excel, laissant de côté leurs outils habituels de prévisionnel. »
l Une situation qui n’apparaît toutefois pas totalement satisfaisante. D’après l’étude de Grant Thornton, 65 % des répondants admettent en effet que cet outil ne permet pas de répondre à leurs besoins. Un constat qui concerne une grande variété d’entreprises, quelle que soit leur taille.
l Ce faisant, la donne pourrait changer. « En 2020, les mesures mises en place afin de lutter contre la propagation du virus de la Covid-19 ont amené à un déploiement massif du télétravail, témoigne Olivier Rihouet, chez Grant Thornton. Dans ce contexte, les directions financières de très grandes entreprises ont rapidement appris les limites du tout Excel ! Il est en effet impossible de s’échanger par email des fichiers Excel de plusieurs méga octets. » Or il ne s’agit que d’un écueil parmi d’autres. « On estime que 80 % des tableurs Excel comportent des erreurs du fait de la saisie manuelle », ajoute par exemple Olivier Rihouet.