MÉTIER

L’expertise comptable, une nouvelle piste d’évolution pour les directeurs financiers

Publié le 9 janvier 2015 à 16h20    Mis à jour le 19 janvier 2015 à 14h51

Pierre Havez

Peu de directeurs financiers se réorientent aujourd’hui vers l’expertise comptable, en raison du niveau d’exigence de cette reconversion. Mais avec la création d’un dispositif d’accompagnement des candidats, l’Ordre des experts-comptables d’Ile-de-France espère développer ces mouvements.

Malgré une ordonnance de 1945 prévoyant une voie d’accès à la profession d’expert-comptable (sans toutefois délivrer le diplôme d’expertise comptable) pour les cadres financiers souhaitant s’orienter vers le conseil, ce type de reconversion demeure rare. Cette passerelle reste en effet réservée aux collaborateurs ayant exercé d’importantes responsabilités financières et managériales pendant au moins quinze ans. Afin d’aider les candidats à constituer des dossiers respectant ces critères de sélection exigeants (voir encadré), l’Ordre des experts-comptables d’Ile-de-France a lancé au mois de décembre dernier une cellule nationale gratuite de coaching et de conseil. Un dispositif qui monte rapidement en puissance. «Alors que nous validions entre six et sept dossiers par an en Ile-de-France, nous avons déjà reçu huit demandes, rien que pour la première journée d’existence de ce dispositif», se félicite Stéphane Cohen, président de l’Ordre des experts-comptables région Paris Ile-de-France.

Des besoins croissants de conseil à forte valeur ajoutée

Cette piste de reconversion pourrait séduire nombre de directeurs financiers, étant donné la conjoncture défavorable et les perspectives d’évolution interne et de rémunération décevantes que certains connaissent. «J’ai exercé pendant 25 ans au sein de directions financières de filiales de groupes américains dans le secteur de la santé – dont 13 en tant que directeur financier –, jusqu’à ce que la dernière société pour laquelle je travaille soit rachetée en 2011 par un groupe plus important, témoigne Philippe Pizzaferri, qui vient de bénéficier du dispositif de l’Ordre des experts-comptables. Suite à une réorganisation des fonctions Support , j’ai donc quitté le poste que j’occupais et décidé de m’orienter vers la profession d’ expert-comptable en statut libéral.»

Un exemple représentatif de la stratégie actuelle des grands groupes visant à externaliser une part croissante de leurs compétences financières au sein de centres de services partagés, et à réduire un certain nombre de postes de directeurs financiers intermédiaires. «La volonté de réduire les coûts des structures administratives n’épargne plus certaines entreprises, mêmes de taille significative, telles des filiales de groupes internationaux ou des ETI. Les plus petites d’entre elles, n’ont d’ailleurs pas les moyens d’avoir à temps plein un responsable financier senior observe Philippe Pizzaferri. Pourtant, ces entités sont confrontées à des problématiques locales de plus en plus complexes. Elles auront donc davantage besoin de conseils à forte valeur ajoutée.»

Afin d’épauler ces structures, l’Ordre des experts-comptables cible en priorité des profils expérimentés et susceptibles d’apporter de nouvelles compétences à la profession. Outre une certaine maîtrise des missions financières traditionnelles, comme la gestion de la croissance et de la trésorerie ou l’optimisation du BFR, les candidats devront de préférence avoir piloté dans leur carrière des opérations spécifiques (LBO, fusion, etc.). «L’Ordre s’intéresse à des profils techniquement très pointus et spécialisés en recherche de financement, ou dans des problématiques de restructuration, d’achat, de transmission d’entreprises ou encore d’introduction en bourse, précise Stéphane Cohen. Autant d’expertises qui manquent parfois aujourd’hui dans certains cabinets traditionnels.»

Un sens certain de l’entrepreneuriat

Sur le plan des qualités individuelles, les candidats devront surtout faire preuve d’un réel goût pour l’entrepreneuriat. Le métier d’expert-comptable se révèle en effet très différent de celui de directeur financier. «Cette reconversion implique de sortir de sa zone de confort professionnel : le candidat doit quitter le statut de cadre dirigeant salarié afin de créer son activité, de prospecter et de se confronter à des clients», raconte Philippe Pizzaferri. Ce changement de statut demande donc de développer de solides aptitudes commerciales, afin d’être capable de constituer une clientèle propre, et de valoriser son travail à sa juste valeur.

Mais ce nouveau positionnement impose également d’excellentes qualités relationnelles et de pédagogie. «La situation de conseil implique une communication constante, d’abord vis-à-vis du dirigeant pour qui on intervient directement, mais aussi en interne, auprès des responsables comptables et financiers», précise Philippe Pizzaferri. Enfin, le métier d’expert-comptable suppose de respecter une déontologie stricte. Le temps nécessaire à la prise de connaissance de l’ensemble des règles et du code de déontologie de l’Ordre des experts-comptables ne doit donc pas être sous-estimé.«L’expert-comptable est davantage exposé que le directeur financier car une erreur significative sur les comptes peut engager sa responsabilité civile», prévient ainsi Philippe Pizzaferri. La constitution d’une candidature et le recueil des divers témoignages nécessaires pour étayer le dossier durent ainsi entre six mois et un an.

Une baisse de rémunération possible à court terme

Au niveau financier, le passage d’une direction financière à un cabinet peut également s’avérer délicat. Un directeur financier d’ETI ou de grosse filiale, dont le salaire peut atteindre jusqu’à 120 000 euros, voire 200 000 euros par an, hors avantages (véhicule de fonction, stock-options et bonus éventuels), doit en effet se préparer à une baisse de sa rémunération, au moins dans un premier temps. «Aujourd’hui, pour ma première année, mon business plan prévoit un montant de facturation d’honoraires de l’ordre de 100 000 euros, indique Philippe Pizzaferri, qui a choisi de se lancer de manière individuelle plutôt que de devenir salarié d’un cabinet existant d’experts-comptables. Un montant sur lequel il faut encore soustraire diverses cotisations et frais de structure.»

Mais au-delà de la rémunération, cette reconversion offre d’autres avantages. Elle permet notamment à certains directeurs financiers de donner un nouveau sens à leur carrière professionnelle. «L’expert-comptable intervient vis-à-vis de problématiques plus variées, et auprès de clients et d’environnements divers, ce qui est intellectuellement très stimulant, avance Philippe Pizzaferri, qui prépare actuellement une offre de mission pour une start-up d’origine anglo-saxonne du secteur de la santé souhaitant s’introduire en bourse au mois d’avril en France. En outre, le positionnement de conseil indépendant permet de se libérer de la bureaucratie interne, des reportings constants ou bien des réunions à rallonge !» Des gains de temps utiles pour se concentrer sur de nouvelles missions à forte valeur ajoutée.

Une passerelle soumise à plusieurs critères stricts

Le dispositif de passerelle mis en place par l’Ordre des experts-comptables n’est pas ouvert à tous les profils. Pour en bénéficier, il faut en effet cumuler les conditions suivantes :

  • avoir 40 ans révolus ;
  • justifier d’au moins 15 années d’activité dans l’exécution de travaux d’organisation ou de révision de comptabilité au sein d’une entreprise, les expériences en cabinet n’étant pas prises en compte ;
  • avoir exercé pendant cinq ans minimum des fonctions ou des missions comportant l’exercice de responsabilités importantes d’ordre administratif, financier et comptable.

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