Adoptée en décembre dernier, la loi Rixain crée de nouvelles obligations pour les entreprises en matière de parité. Son objectif est de permettre l’accès des femmes aux postes stratégiques. Les groupes devraient ainsi être fortement incités à nommer plus de femmes à la tête de leur direction financière.
La réglementation sur la parité hommes-femmes au sein des entreprises monte d’un cran. Dix ans après la loi Copé-Zimmermann, qui impose que 40 % des membres des conseils d’administration soient des femmes, la loi Rixain, adoptée en décembre dernier, va désormais contraindre à plus de parité au niveau des entreprises dans leur ensemble. « La progression de la parité dans les conseils d’administration a eu un effet d’entraînement insuffisant sur l’accession des femmes aux postes exécutifs à responsabilité, souligne Axel de Schietere, associé d’Heidrick & Struggles. L’objectif est désormais de favoriser l’accès aux postes stratégiques. Avec la loi Copé-Zimmermann, une même femme pouvait faire partie de plusieurs conseils en même temps, alors qu’avec la loi Rixain, les femmes dirigeantes devront être plus nombreuses. »
Une mise en oeuvre progressive
- 01/03/2022 : Publication chaque année par les entreprises des écarts de représentation entre les femmes et les hommes sur leur site Internet
- 01/03/2023 : Publication des écarts de représentation sur le site du ministère du Travail
- 01/03/2026 : Quota de 30 % de femmes au sein des instances dirigeantes et parmi les cadres dirigeants
- 01/03/2029 : Quota de 40 %
Un quota de 40 % de femmes « cadres dirigeantes »
Concrètement, cette nouvelle loi vise d’abord à renforcer la transparence sur ce sujet. Si les entreprises de plus de 50 salariés devaient déjà afficher, sur leur site Internet, leur index concernant la parité hommes-femmes, elles doivent désormais détailler publiquement sa composition, avec des indicateurs sur les écarts de rémunération, d’augmentation, de promotion ou encore sur le nombre de salariées augmentées après leur retour de congé maternité.
Surtout, les sociétés comptant plus de 1 000 salariés doivent dorénavant publier les écarts de représentation entre les hommes et les femmes au niveau des postes à responsabilité. Ensuite, à partir de 2026, un quota minimum de 30 % de femmes, puis de 40 % à compter de 2029, devra être respecté. « Ces pourcentages s’appliqueront aux “cadres dirigeants” au sens du Code du travail, soit tous les salariés dont cette qualité est indiquée dans leur contrat de travail : il s’agit des personnes exerçant les plus hautes responsabilités, précise Véronique Lavallart, avocate associée chez Barthelemy Avocats. Le quota sera également calculé au niveau des instances dirigeantes, c’est-à-dire des organes assistant la direction dans ses décisions stratégiques, tels que les comex ou les codir par exemple, et inclura les personnes non salariées. »
Sanctions : un risque surtout pour l’image
- Des sanctions sont prévues en cas de non-atteinte des objectifs de 30 % puis 40 % de femmes cadres dirigeantes ou au sein des instances dirigeantes. Les entreprises peuvent se voir appliquer une pénalité allant jusqu’à 1 % de la masse salariale. Toutefois, dans les faits, peu d’entre elles seront sanctionnées. « En effet, si leurs chiffres ne sont pas bons, elles auront deux ans pour se mettre en conformité, explique Véronique Lavallart, avocate associée chez Barthelemy Avocats. Elles devront également publier leurs objectifs de progression et les mesures de correction qu’elles envisagent de mettre en œuvre. Le but pour l’administration n’est pas de sanctionner financièrement les entreprises mais davantage de les sensibiliser à cet objectif de représentation équilibrée, sauf en cas de non-respect réitéré de la loi. »
- Au-delà des sanctions purement pécuniaires en cas de non-respect des quotas, la publication d’une mauvaise parité hommes-femmes pourrait avoir des conséquences en matière d’image.« Certains investisseurs, clients ou partenaires, eux-mêmes soumis à des engagements extra-financiers et notamment en matière de diversité, peuvent en effet choisir de privilégier des entreprises ayant de bons quotas, au détriment d’entreprises ayant des indicateurs trop faibles », estime Myriam Epelbaum, avocate chez Bredin Prat.
Des comex à féminiser
Ces mesures ne seront pas sans conséquences sur les directions financières. Certes, au sein des directions financières, seuls les directeurs financiers groupe ou filiale devraient être concernés par ce nouveau quota. Mais c’est justement à ce niveau que les femmes manquent. Selon une étude d’Heidrick & Struggles, aujourd’hui, au sein du SBF 120, la part de femmes membres des comex atteint 24 %, et non 30 %. Si cet écart peut paraître a priori peu important, pour respecter la loi Rixain, ces sociétés devront tout de même de nommer 78 femmes. Des recrutements auxquels les financiers ne devraient pas échapper, d’autant qu’ils sont les plus mauvais élèves en matière de parité. En effet, parmi les professionnels de la fonction finance présents aux comex de ces groupes, seuls 17 % sont des femmes, la plus faible part tous métiers confondus. « Plus les niveaux de responsabilités sont élevés, plus la part de femmes recule, et les directions financières n’échappent pas à cette tendance », confirme Axel de Schietere.
«Depuis septembre dernier, le recrutement de femmes est une préoccupation forte dans nos mandats de directeur financier. »
Des plans de succession à instaurer
Les groupes ont conscience de ces enjeux. Les recruteurs observent, à ce titre, depuis quelques mois déjà de fortes tensions s’agissant du recrutement de DAF femmes. « Depuis septembre dernier, le recrutement d’une femme est une préoccupation forte de nos clients dans une part importante de nos mandats de directeur financier, remarque Axel de Schietere. Car l’obligation de quota ne sera certes effective que dans quatre ans, mais la plupart des DAF recrutés en ce moment seront toujours à leur poste en 2026. »
Ainsi, pour attirer les talents féminins, les groupes commencent à faire évoluer leurs critères de recrutement. « Les entreprises doivent être plus flexibles, insiste Axel de Schietere. Combiner leurs critères de recrutement habituels (niveau de séniorité élevé, en provenance du même secteur, etc.) avec la recherche d’une femme est une équation impossible à résoudre. Ainsi, par exemple, une directrice financière venant de la grande distribution a été recrutée récemment pour prendre un poste dans l’automobile, alors qu’il y a un certain temps, cela n’aurait pas été possible. »
«Un des enjeux des groupes consistera à l’avenir à faire évoluer leur politique RH pour favoriser la progression des femmes en interne. »
Mais si elles veulent respecter les quotas de la loi Rixain, les entreprises vont également devoir accroître la parité à tous niveaux, afin de rendre possible le recrutement d’une future directrice financière en interne. « La logique de la loi Rixain est de promouvoir activement la présence de femmes aux postes à responsabilité, observe Myriam Epelbaum, avocate chez Bredin Prat. Un des enjeux pour les groupes consistera à faire évoluer leur politique RH pour favoriser la progression des femmes en interne. »
Dans ce contexte, plusieurs entreprises préparent déjà des plans de succession. « Les groupes commencent à s’assurer de la parité hommes-femmes deux à trois niveaux en dessous du directeur financier groupe, afin d’avoir la possibilité de faire progresser une femme au poste de DAF », indique Axel de Schietere.
Un champ d’application limité ?
- Si la publication de l’index sur les écarts hommes-femmes concerne toutes les entreprises de plus de 50 salariés, filiales incluses, le calcul des quotas, tel que prévu par la loi, aurait lieu au niveau de chaque société et non du groupe dans son ensemble. « Chaque entité (filiale ou société mère) de moins de 1 000 salariés sera exclue du champ du quota, même si elle fait partie d’un groupe de plus de 1 000 salariés, prévient Myriam Epelbaum, avocate chez Bredin Prat. De ce fait, plusieurs établissements bancaires ou financiers par exemple pourraient ne pas entrer dans le champ d’application de la loi. »
Selon les recruteurs, la loi Rixain sera aussi l’occasion de faire évoluer les financiers vers d’autres métiers au sein de leur groupe. « Les groupes ont l’opportunité d’être plus créatifs dans la gestion de leurs talents, souligne Axel de Schietere. Cela va permettre aux financiers d’avoir un parcours plus diversifié, en proposant par exemple un poste de directrice générale d’une filiale à une responsable financière si celui du directeur financier n’est pas disponible, pour s’assurer qu’elle reste dans l’entreprise, et d’accélérer leur carrière. » De quoi, peut-être, permettre à la profession financière, et qui plus est à des femmes, d’accéder (enfin) au poste de CEO.