Après avoir dû s’adapter dans l’urgence au confinement, les directions financières doivent maintenant gérer la période de transition avant le retour à la normale. Chaque semaine, Option Finance continue de leur donner la parole afin qu’elles fassent part de leur expérience dans ce contexte de crise totalement inédit. Une façon de partager les problèmes, mais aussi, et surtout, les solutions.
Avec l’instauration du confinement et l’interruption des chantiers, le groupe Loxam (2,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019), spécialisé dans la location de matériels et d’outillages dédiés aux secteurs de la construction, de l’industrie et de l’événementiel, a d’abord vu son activité se contracter très fortement en mars, puis reprendre progressivement, sans toutefois retrouver son niveau habituel. Ces derniers mois, la direction financière de l’entreprise s’est employée à sécuriser des liquidités afin de rassurer ses parties prenantes, à réduire ses décaissements et à faire évoluer le pilotage de sa trésorerie. Dans le même temps, le confinement n’a pas été sans poser un certain nombre de défis organisationnels aux collaborateurs du groupe. A l’heure de la reprise, Loxam se prépare à affronter une fin d’année charnière pour les secteurs d’activité sur lesquels il évolue. Patrick Bourmaud, directeur administratif et financier, revient en détail sur cette actualité.
Comment la crise sanitaire a-t-elle affecté votre activité en France ?
Le groupe Loxam est spécialisé dans la location de matériels et d’outillages dédiés aux secteurs de la construction, de l’industrie et de l’événementiel. Le premier compte pour les deux tiers de notre activité, le second et le troisième pour environ un tiers. Conséquence de l’instauration du confinement, ceux-ci se sont brutalement mis en veille mi-mars. Dans la foulée, l’activité de nos 500 agences françaises, qui comptent pour près de 40 % de notre chiffre d’affaires global, a été brutalement suspendue. Durant la deuxième quinzaine de mars, notre volume d’affaires a chuté de près de 80 %. Un repli d’autant plus important que la plupart des contrats que nous signons avec nos clients peuvent être interrompus avant leur échéance prévisionnelle.
Durant les premiers jours du confinement, nous avons dû récupérer rapidement les machines et outillages loués chez nos clients ou assurer leur réception en agence. Notre métier d’exploitant de réseau se prêtant peu au télétravail, beaucoup de nos collaborateurs de terrain ont été placés en chômage partiel. Les managers ou responsables d’agences ont continué, pour leur part, à travailler sur site. La plupart des fonctions support, à l’instar de la direction financière, ont télétravaillé.
Heureusement, le pic de sous-activité enregistré la deuxième quinzaine de mars n’a pas duré. Début avril, nous avons rouvert une cinquantaine d’agences sur tout le territoire hexagonal pour répondre aux sollicitations de certains de nos clients et effectuer des livraisons, par exemple de groupes électrogènes et de modules pour des hôpitaux. Puis, entre la mi-avril et la mi-mai, nous sommes progressivement montés en cadence jusqu’à la réouverture de l’intégralité de notre réseau. Toutefois, l’activité est demeurée plus faible qu’à l’accoutumée et cette reprise graduelle s’est faite en effectif réduit. Aujourd’hui, notre volume d’affaires n’a pas encore retrouvé le niveau qui était le sien avant la crise.
Très exposé aux variations d’activité de secteurs cycliques comme la construction, Loxam est par essence une entreprise dont les opérations connaissent une forte saisonnalité. Nous sommes habitués à encaisser ces fluctuations en réduisant concomitamment nos coûts variables et nos coûts fixes par le biais, par exemple, de fusions d’agences. Cette expérience nous a été utile pour traverser cette période inédite.
Le groupe Loxam est implanté dans une trentaine de pays, notamment en Europe où il réalise 95 % de son chiffre d’affaires. Quelle a été l’incidence de la crise sur vos opérations à l’international ?
Les premiers effets de la crise se sont fait sentir début mars en Italie et en Espagne. Dans ces pays, les chantiers n’ont pas été réellement suspendus, aussi notre activité s’est-elle contractée sans jamais atteindre le point bas atteint en France.
Au Royaume-Uni et en Irlande, nous avons été touchés plus tardivement mais aussi durement qu’en France. Sur ces marchés, nous entrevoyons actuellement le bout du tunnel. En Europe centrale, malgré un ralentissement, l’essentiel de nos opérations a été préservé.
La direction financière a-t-elle dû prendre des mesures particulières dans ce contexte ?
Afin de rassurer nos très nombreuses parties prenantes, fournisseurs bien sûr, mais aussi investisseurs, sur notre capacité à faire face à d’éventuelles tensions au niveau de notre besoin en fonds de roulement, nous nous sommes très vite efforcés d’accroître nos liquidités bilancielles. De 200 millions d’euros à fin 2019, notre trésorerie a été portée à 500 millions d’euros fin mars. Pour ce faire, nous avons réalisé, notamment, plusieurs tirages inauguraux sur des lignes de crédit confirmées.
Afin de diminuer notre cash-out, nous avons suspendu très rapidement la totalité de nos investissements en parc de matériels destinés à la location, qui constituent notre premier poste de dépenses (400 millions d’euros l’an dernier). Les commandes de matériels qui n’étaient pas encore mises en production chez nos fournisseurs ont été provisoirement gelées. Par la suite, celles-ci ont été progressivement relancées.
Conséquence de la crise sanitaire, nous avons modifié, de surcroît, notre méthodologie de prévision de trésorerie. Nos anticipations mensuelles habituelles, établies sur un horizon de 30 jours et six mois, ont été complétées par des simulations portant sur différents scénarios de dégradation de nos encaissements. Dans le même temps, nous avons introduit une comparaison quotidienne de nos cash-flows entrants effectifs avec nos encaissements théoriques sur l’ensemble de nos trente business units. Cette opération a été rendue possible par le fait que nous connaissons les comportements de paiement de chacun des clients de nos différentes sociétés. Pour affiner ces prévisions, nous avons eu de nombreux échanges avec les directions financières de nos donneurs d’ordres. A l’échelle de tout le groupe, les délais de paiement de ces clients se sont finalement peu allongés durant la crise, d’une dizaine de jours en moyenne, soit beaucoup moins que ce que nous avions craint initialement.
Avez-vous eu recours aux dispositifs exceptionnels mis en place par les pouvoirs publics ou négocié certains aménagements avec vos partenaires financiers ?
Nous avons contracté un prêt garanti par l’Etat (PGE) de 230 millions d’euros en avril, toujours dans le but de sécuriser des liquidités disponibles. Nous avons obtenu ce financement très rapidement auprès de cinq groupes bancaires – BNP Paribas, BPCE, Crédit Mutuel-CIC, Crédit Agricole et Société Générale – partenaires historiques de l’entreprise.
Dans le même temps, nous avons obtenu la suspension des échéances dues au titre de nos contrats de crédit-bail pour la période courant du 1er avril au 30 septembre 2020.
Aucune disposition particulièrement n’a été prise, en revanche, en ce qui concerne notre endettement obligataire net de 3,5 milliards d’euros. Cela pour une raison simple : notre prochaine échéance de remboursement, de 250 millions d’euros, n’est pas attendue avant 2022.
Comment la direction financière de Loxam s’est-elle organisée ces derniers mois et comment travaille-t-elle aujourd’hui ?
En mars et dans les mois qui ont suivi, la plupart des membres de notre direction financière, soit 150 personnes, ont été placés en télétravail, à l’exception du département audit interne, contraint par les événements d’interrompre ses missions. Beaucoup de nos collaborateurs étaient équipés d’ordinateurs portables, aussi la transition vers le confinement s’est-elle déroulée sans encombre alors même que nous n’avions pas mis en place de télétravail jusqu’alors. J’ai moi-même travaillé depuis mon domicile.
La distanciation nous a contraints à procéder à des aménagements techniques. Par exemple, nous avons mis en place un dispositif de signature électronique dès le mois de mars pour sécuriser nos processus décisionnels. Nous avons également accéléré le chantier de la dématérialisation de nos factures clients et fournisseurs.
Surtout, en pleine phase de reprise, nous avons mis en place, en quelques semaines seulement, un système de paiement sur smartphone dans toutes nos agences afin d’offrir à nos clients une protection sanitaire optimale. Ce chantier a été supervisé à distance par la direction financière, la direction des services informatiques et la direction commerciale.
L’un des grands défis posés par l’éloignement a été de garantir la bonne circulation des informations. Pour ce faire, les responsables des différents départements financiers –comptabilité, contrôle interne, juridique, M&A, contrôle de gestion, fiscalité et DSI – se sont réunis chaque jour une heure sous ma supervision. Pour ma part, j’ai participé aux réunions du comité exécutif qui se sont tenues sept jours sur sept durant cette période troublée.
En définitive, il est difficile de résumer le confinement à une simple épreuve organisationnelle pour le groupe et, notamment, pour sa direction financière. Car cet événement nous a aussi permis de lancer des chantiers bénéfiques sur le plan opérationnel dont nous n’avions pas mesuré la valeur de prime abord.
Quelles sont les perspectives de Loxam pour les prochains mois ?
Nonobstant les effets de la crise sanitaire, l’année 2020 devait marquer la fin d’un cycle haussier pour la construction, du fait, notamment, de la récente période électorale. Aussi, nous nous attendions à ce que notre activité marque le pas avant même que survienne l’épidémie. La suspension puis la reprise progressive de nos opérations auront sans conteste une incidence sur nos résultats, sans que nous puissions, pour l’heure, la quantifier formellement. Alors qu’un risque de deuxième vague ne peut être écarté, nous allons guetter le moindre signal d’alerte sur chacun de nos marchés. Heureusement, notre diversification géographique peut nous permettre d’atténuer les effets de ce genre d’événement. A condition, toutefois, que la pandémie ne frappe pas uniformément tous les pays dans lesquels nous sommes présents…
La fiche d’identité de Loxam
Activités
Location de matériels et d’outillages dédiés aux secteurs de la construction, de l’industrie et de l’événementiel
Chiffre d’affaires en 2019
2,2 milliards d’euros, dont 40 % sont réalisés en France
et 60 % à l’international
Actionnariat
Le capital du groupe est contrôlé par son président, Gérard Déprez, et sa famille. Le fonds Sparring Capital est également actionnaire, ainsi que les salariés via un fonds commun de placement d’entreprise (FCPE).
Principaux marchés
- France : 40 %
- Scandinavie : 35 %
- reste de l’Europe : 20 %