Dans un contexte de forte reprise de l’emploi, la guerre des talents s’intensifie au sein des directions financières. Les spécialistes du M&A, du contrôle de performance et de l’audit sont particulièrement recherchés. Les salaires s’inscrivent en hausse sensible.
Des chasseurs de têtes qui refusent des missions, d’autres qui ne prennent que leurs clients historiques et cessent d’accompagner les prospects, telle est actuellement la situation au sein de l’Hexagone. « C’est du jamais vu. Je fais ce métier depuis onze ans et je n’ai jamais assisté à une telle guerre des talents pour les fonctions de cadre », constate Michaël Obadia, fondateur et CEO d’Upward, dont le cabinet traite 200 missions par an et aurait pu doubler son nombre de missions en 2021, tant la demande était importante, assure-t-il. Au sortir de la crise sanitaire, les recrutements repartent vers la hausse. Dans sa dernière note de conjoncture, l’Institut national de la statistique et des études économiques détaille : « Le rythme des créations ralentirait quelque peu d’ici la fin de l’année mais, au total, environ 500 000 créations nettes d’emplois salariés succéderaient aux 300 000 destructions nettes enregistrées en 2020. » Les indicateurs concernant le recrutement vont dans le même sens, notamment pour les cadres. Selon les chiffres livrés par l’Apec, les entreprises devraient recruter 247 000 cadres d’ici la fin de l’année, soit près de la moitié des postes à pourvoir. Pour les seules fonctions comptabilité, finance, contrôle de gestion et audit, l’Apec anticipe 20 900 nouveaux recrutements en 2021.
Les spécialistes du M&A très recherchés
Bien sûr, certains profils sont aujourd’hui plus recherchés que d’autres. « En 2020, les recrutements dans la fonction finance se concentraient largement sur les fonctions trésorerie et gestion de cash. En 2021, c’est davantage sur la partie transactionnelle que se portent les recrutements », constate Sébastien Denis, practice manager chez Michael Page. Signe qu’après avoir dû composer avec un arrêt de l’activité induit par l’épidémie, les entreprises se projettent désormais davantage vers du transactionnel et des opérations de croissance externe. Les financiers à même de mener des opérations de M&A sont donc très recherchés. Autres profils convoités, « les experts du contrôle de la performance avec une vision comptable également à même de maîtriser les normes internationales restent très recherchés par les grands groupes qui possèdent des filiales en France », poursuit Sébastien Denis. Les spécialistes du contrôle interne, et les fonctions d’audit sont également une denrée rare. Enfin, un nouveau paradigme est en train de se dessiner. La crise sanitaire ayant apporté la preuve de l’urgence de la digitalisation des systèmes, les profils contrôleurs de gestion, responsables financiers capables de porter des projets de transformation et d’harmonisation sont aujourd’hui fortement chassés par les entreprises. « Les fiches de poste ont beaucoup évolué depuis la crise sanitaire. Lorsqu’un collaborateur quitte l’entreprise, on le remplace mais pas à l’identique. On en demande davantage aux nouveaux collaborateurs, et la capacité à engager des projets de transformation structurants pour l’entreprise est désormais la norme », constate Jérôme Blanc, senior manager chez Robert Half.
«En 2020, les recrutements dans la fonction finance se concentraient largement sur les fonctions trésorerie et gestion de cash. En 2021, c’est davantage sur la partie transactionnelle qu’ils se portent. »
Effet de rattrapage et nouveaux enjeux
Parmi les raisons qui expliquent cet engouement : un effet de rattrapage. Au cours de l’année 2020, beaucoup d’entreprises ont mis sur pause leurs projets de recherche de nouveaux talents. L’amélioration du contexte sanitaire et la reprise progressive des activités enjoignent aux entreprises d’accélérer leurs projets de recrutement. « Nous assistons en quelque sorte à un jeu de chaises musicales, les collaborateurs qui souhaitaient changer d’entreprise en 2020 ont décalé leurs ambitions, préférant rester à l’abri durant la crise sanitaire. De même, les entreprises ont mis sur pause leurs recrutements durant cette période. Désormais, candidats et recruteurs sont de retour sur le marché de l’emploi », constate Jérôme Blanc. Reste que le marché est aujourd’hui largement en faveur des candidats, beaucoup plus que des entreprises. Du fait notamment d’un afflux de liquidités qui permet aux entreprises d’envisager des opérations de croissance externe. Le retour de la confiance est réel : selon une étude menée par le cabinet Robert Half, 60 % des dirigeants se disent confiants pour l’année 2022 et 55 % d’entre eux envisagent de recruter durablement des cadres, c’est-à-dire sur des contrats en CDI.
La rémunération n’est pas le seul moteur
Il en résulte une tension des talents du côté des recruteurs sur les postes financiers. « Alors qu’il y a quelques années, les meilleurs profils hésitaient entre deux ou trois offres, ils ont aujourd’hui cinq ou six offres en short list », constate Sébastien Denis. Conséquence pour les employeurs, il faut payer un premium et revoir les salaires à la hausse. « Les curseurs évoluent et les niveaux de rémunération repartent à la hausse. Sur les postes traditionnels, les niveaux de salaires progressent de 15 à 20 %. Aussi, ceux qui sont restés sur des niveaux de rémunération d’avant-crise ont peu de chance de voir leurs offres pourvues », analyse Jérôme Blanc. Michaël Obadia anticipe même « une bulle sur les salaires en 2022 ». Cependant, la rémunération n’est plus l’unique moteur. Les candidats n’hésitent plus à formuler leurs requêtes dès l’entretien d’embauche. Ainsi, le nombre de jours télétravaillés est une question qui revient à chaque entretien, tandis que d’autres paramètres sont pris en compte tels que la marque employeur et le degré d’engagement de l’entreprise sur les thématiques inclusion et diversité. « Je connais des entreprises très florissantes qui proposent de bons niveaux de salaires mais qui ne parviennent pas à recruter. A salaire égal, un candidat choisira toujours l’entreprise la plus alignée avec ses valeurs et dans laquelle il aura le sentiment de pouvoir s’épanouir », conclut Sébastien Denis.
Le « ghosting », un phénomène pas si récent
Postuler à une offre, aller jusqu’au bout du process de recrutement, signer une promesse d’embauche et… disparaître. Le phénomène de « ghosting » touche désormais les recruteurs en France. S’il est particulièrement perceptible au sein des jeunes générations, le phénomène n’est pas si récent, comme l’explique Jérôme Blanc. « Cette façon de procéder a toujours existé à la marge. Elle est peut-être plus visible actuellement car le pouvoir est aujourd’hui dans les mains des candidats. Il faut bien avoir à l’esprit qu’une fois qu’un collaborateur a posé sa démission, il n’a plus grand-chose à perdre. Même s’il s’est engagé à rejoindre une entreprise, il reste ouvert aux autres propositions et peut donc très bien choisir, in fine, de rejoindre une autre entreprise dont l’offre lui paraît plus attractive. » Mais pourquoi donc disparaître ? « En disparaissant, les candidats ne font qu’adopter les mêmes procédés que les recruteurs qui ne répondent pas à l’ensemble des candidatures. Avec la nouvelle génération – et la crise de la Covid-19 qui a amené a davantage d’autonomie dans le travail des salariés – le pouvoir a un peu changé de camp », constate une psychologue spécialiste des questions du travail.