Les directions financières dans la crise

Teleperformance poursuit sa croissance

Publié le 20 novembre 2020 à 14h18

Anaïs Trebaul

Alors qu’elles commençaient, en septembre dernier, à entrevoir des perspectives de relance, les entreprises sont confrontées, avec le second reconfinement, à de nouvelles incertitudes. Les efforts entamés depuis mars dernier, qui avaient été poursuivis à la rentrée, vont devoir être encore renforcés pour leur donner les moyens de tenir dans un environnement particulièrement complexe et mouvant. Chaque semaine, Option Finance donne la parole à leurs directions financières pour qu’elles témoignent des difficultés qu’elles rencontrent, mais aussi et surtout pour qu’elles partagent avec leurs pairs les solutions qu’elles ont mises en place.

Spécialiste de la relation client et des centres d’appels, Teleperformance fait partie des rares groupes qui verront leur chiffre d’affaires progresser en 2020. Malgré la fermeture de certains sites au printemps et un travail à domicile difficile dans certains pays, le groupe a réussi à maintenir un fort niveau d’activité, et même à dépasser ses objectifs pour 2020, grâce notamment à l’essor de l’économie digitale.

La fiche d’identité de Teleperformance

CHIFFRE D’AFFAIRES 2019 : 5,5 milliards d’euros

EFFECTIFS : 330 000 personnes

Comment la crise sanitaire actuelle affecte-t-elle votre activité ?

Olivier Rigaudy, directeur général délégué en charge des finances, Teleperformance : La crise n’a pas eu d’effet négatif durable sur notre activité. En effet, 85 % de notre chiffre d’affaires provient de notre activité core-service et DIBS (digital integrated business services), qui regroupe plusieurs métiers liés à la gestion de la relation client (centres d’appels, communication sur les réseaux sociaux, analyse des données clients, etc.). Or la crise sanitaire a fait exploser l’économie digitale et a accéléré une tendance déjà favorable.Certes, aux mois de mars et avril, la croissance de cette activité est restée limitée par rapport à l’an dernier. Cela s’explique principalement par les fermetures temporaires de certains sites dans plusieurs pays où le travail à domicile est difficile (9 % de notre chiffre d’affaires core-service est réalisé dans la zone Inde-Moyen-Orient). De plus, dans la zone anglophone et Asie-Pacifique (35 % du chiffre d’affaires), le maintien de mesures restrictives de déplacement aux Philippines a également rendu difficile le développement de l’activité dans ce pays. Notre présence sur les secteurs des transports, du voyage et du tourisme aux Etats-Unis a également pesé sur l’activité dans cette zone.

Cependant, les autres zones dans lesquelles nous sommes situés ont continué à voir leur chiffre d’affaires progresser (+ 23,9 % sur les neuf premiers mois de l’année dans la zone Iberico-LatAm [30 % du chiffre d’affaires] et + 13,2 % en Europe continentale [24 % du chiffre d’affaires]). La signature de nouveaux contrats pendant la crise a en effet permis à l’activité de repartir fortement. A fin septembre, notre chiffre d’affaires core-service progressait de + 9,9 % par rapport aux neuf premiers mois de 2019.Notre seconde activité, celle des services spécialisés, qui représente 15 % de notre chiffre d’affaires, est en revanche plus affectée par la crise sanitaire, avec une réduction de 8 % de l’activité à périmètre constant par rapport à 2019. Cette baisse est notamment due à la chute de l’activité TLScontact (gestion des demandes de visa), dont le chiffre d’affaires a reculé selon les mois de 75 % à 90 %.Néanmoins, sur les neuf premiers mois de l’année, notre chiffre d’affaires global a progressé de 7,4 % à périmètre et taux de change constant. En début d’année 2020, nous avions comme objectif d’atteindre 7 % de croissance organique sur l’année. Compte tenu de l’évolution de l’activité au printemps, nous avons d’abord baissé cette guidance à 6 % à fin juillet. Mais début novembre, avec la hausse de la demande pour nos services, nous avons finalement rehaussé notre objectif de croissance de + 6 %.

«Au début de la crise, nous avons établi un plan d’économies de 250 Me d’euros sur l’année 2020, reposant notamment sur la baisse des dépenses de voyage.»

Quelles mesures la direction financière a-t-elle prises dans ce contexte exceptionnel ?

Au début de la crise au printemps, nous avons mis en place différents scénarios d’évolution d’activité. A partir de notre «pire» scénario, nous avons établi un plan d’économies de 250 millions d’euros sur l’année 2020, reposant notamment sur la baisse des dépenses de voyage. Pour cela, nous avons notamment mis en place une grille d’approbation des dépenses plus stricte. Compte tenu de l’évolution de notre activité plus favorable que prévu, nous n’atteindrons pas ce niveau global d’économies, mais relativement au chiffre d’affaires, les réductions de coûts effectuées seront plus importantes qu’attendu.

Par ailleurs, nous avons renforcé nos différents suivis et reportings. Quatre fois par an, nous réalisons des reprévisions budgétaires. Dans ce cadre, jusqu’à présent, nous réalisions une revue mensuelle de notre budget, par pays et par activité. Lors du premier confinement, nous sommes passés à une revue hebdomadaire. Désormais, depuis le mois d’octobre, nous révisons ces chiffres deux fois par mois. De même, nous sommes passés d’un suivi mensuel du cash à un suivi quasi hebdomadaire, rythme que nous avons conservé depuis. Nous avions également renforcé le suivi des délais de paiements de nos clients. Nous craignions d’importants retards avec la crise, mais ceux-ci ont finalement été limités.

En outre, avant la crise sanitaire, S&P avait prévu de relever notre notation de crédit, ce qui devait nous permettre de nous refinancer à des conditions plus favorables. Mais finalement, la crise a stoppé le processus. Par conséquent, pour faire face à la conjoncture, nous avons souhaité compléter notre facilité de crédit de 300 millions d’euros en faisant appel à des NEU CP (ex-billets de trésorerie), mais ce marché s’est retrouvé fermé quelques semaines, faute d’investisseurs. Nous avons donc souscrit à des lignes de crédit supplémentaires pour un montant de 700 millions d’euros, de maturité de deux ans. Nous n’avons finalement pas utilisé cette ligne de crédit.

Avez-vous eu tout de même recours à des dispositifs publics ?

Nous n’avons pas sollicité de reports de charge, ni de prêt garanti par l’Etat (PGE) car notre situation financière ne le nécessitait pas. Nous avons uniquement eu recours au chômage partiel, de façon très marginale. Sur 2 500 salariés en France, environ 300 ont bénéficié de ce dispositif au plus fort de la crise au mois d’avril. Nous avons également eu recours au chômage partiel aux Etats-Unis, mais de façon très modeste également.

«Nous travaillons sur le développement d’un nouvel ERP mondial pour la fonction finance, qui nous permettra d’avoir le même outil comptable dans tous les pays.»

Comment votre direction financière s’est-elle organisée ces derniers mois et comment travaille-t-elle aujourd’hui ?

La direction financière de Teleperformance est composée d’environ 1 700 personnes dans le monde, dont 50 au niveau du siège du groupe en France. 100 % de nos équipes, moi compris, ont été placées en télétravail. Cela s’est fait facilement. En effet, nous avions déjà la possibilité de télétravailler deux jours par semaine, chacun disposait ainsi déjà d’ordinateurs pour travailler depuis chez soi. De plus, le confinement de la Chine où nous sommes présents nous a permis, dès le mois de janvier, de nous organiser en amont et d’être prêts au mois de mars lors du confinement en Europe. En France, nous sommes revenus physiquement au bureau à partir du mois de juin, au rythme de trois jours par semaine. Depuis l’annonce du second confinement, nous sommes de nouveau tous en télétravail 100 % du temps.

Quels sont vos principaux chantiers désormais ?

Ce second confinement freine-t-il vos projets ?Ce nouveau confinement ne freine pas nos projets. Au contraire, la crise a plutôt accéléré la demande pour nos solutions de gestion clients. De plus, nous sommes présents dans 80 pays dans le monde, et la plupart d’entre eux ne sont actuellement pas confinés.

Dans ce contexte, nous avons confirmé notre ambition de poursuivre à moyen terme une croissance soutenue et rentable de nos activités. Nous avons pour objectif d’atteindre un chiffre d’affaires d’environ 7 milliards d’euros en 2022. Pour cela, nous prévoyons une croissance moyenne à données comparables supérieure ou égale à 6 % par an sur la période 2020-2022.Concernant les projets de la direction financière, nous venons de finaliser notre budget 2021. La crise n’a pas eu d’impact significatif sur sa construction cette année, en revanche, nous sommes passés d’une organisation purement géographique à une organisation mixte : géographique et fonctionnelle. Ce changement était prévu avant la crise.

En outre, Teleperformance vient de conclure un accord pour l’acquisition de Health Advocate (140 millions de dollars de chiffre d’affaires), une société américaine spécialisée dans l’assistance et le conseil santé. Pour financer cette opération et dans l’attente de sa finalisation (obtention d’autorisations aux Etats-Unis), nous avons souscrit à un bridge loan. Cependant, nous réfléchissons à une solution de financement plus durable, réflexion qui devrait aboutir d’ici quelques semaines.

Nous souhaitons également modifier notre trajectoire de refinancement globale (en allongeant la maturité de notre dette qui est aujourd’hui inférieure à cinq ans) et nos conditions d’emprunt, et équilibrer nos devises d’emprunt (dollar et euro) et de génération de liquidités. De même, nous proposons également de mettre en place des outils de gestion de dette plus processés qui nous permettront de solliciter le marché plus rapidement sur différentes souches de financement (obligations sèches, programme EMTN, etc.), en simplifiant notamment les démarches auprès de l’AMF.

Par ailleurs, pour l’instant, nous disposons de systèmes comptables différents du fait notamment de nos diverses acquisitions. En revanche, notre système de reporting digital d’activité est unifié au sein du groupe depuis plusieurs années et nous souhaitons reproduire ce même schéma pour les outils comptables. Nous sommes donc en train de travailler sur le développement d’un nouvel ERP mondial pour la fonction finance, qui nous permettra d’avoir le même outil comptable dans tous les pays dans lesquels nous sommes présents. L’Europe et l’Inde sont déjà harmonisées, l’Amérique latine le sera en 2021 et les Etats-Unis en 2022. La mise en place d’un ERP commun à l’ensemble du groupe va en parallèle faciliter la tenue de nos audits internes à distance. Le suivi des risques pourra également être renforcé.

Enfin, nous continuons également nos investissements dans la cybersécurité, afin de mieux détecter les risques, les isoler, les réparer et informer encore davantage nos salariés sur ce sujet et sur les bonnes pratiques à adopter. 

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