Métier

Trésorier, une fonction en mutation

Publié le 8 novembre 2023 à 8h00

Anne Del Pozo

Alors que le marché de l’emploi de trésoriers reste tendu, la profession poursuit sa transformation et élargit le champ de ses compétences. Une tendance portée notamment par la digitalisation mais aussi par les tensions que le contexte macro-économique fait peser sur les trésoreries.

Cette année encore, le marché de l’emploi pour des postes de trésoriers reste très favorable aux candidats. Une tendance qui s’est installée depuis quelques années et qui est portée par différents éléments conjoncturels, qui ne tiennent en rien à la traditionnelle pyramide des âges et aux départs en retraite. « Jusqu’à récemment, les trésoriers étaient essentiellement recrutés par des grands groupes, constate Emmanuel Rapin, vice-président de l’Association française des trésoriers d’entreprise et référent formation. Aujourd’hui, ils sont également plébiscités par des ETI voire par des PME qui ont besoin de leur expertise pour gérer leurs problématiques de liquidité, leurs besoins de financement, ou encore la volatilité actuelle des risques de change et de taux. » Parallèlement, la montée en puissance dans les entreprises des stratégies RSE peut également requérir le soutien des équipes de trésorerie. « Il leur revient notamment, dans le cadre de ces stratégies, d’investir dans des produits financiers qui embarquent des notions de RSE, ajoute Emmanuel Rapin. De même, la gestion des relations avec les agences extra-financières est souvent de leur responsabilité. »

«Les évolutions technologiques nécessitent de nouvelles expertises que les entreprises vont notamment chercher chez les plus jeunes candidats à des postes de trésorier»

Emmanuel Rapin vice-président ,  AFTE

Enfin, le métier opère actuellement sa transformation digitale, portée notamment par l’arrivée sur le marché des logiciels de gestion de trésorerie de nouvelle génération mais également de technologies innovantes, notamment autour de l’analyse prédictive ou du paiement. « Par exemple, au sein du groupe Bel, la trésorerie, pilotée en central, est une véritable usine à flux, témoigne Benoît Rousseau, responsable trésorerie financement et assurances groupe Bel et membre de l’AFTE. Nous récupérons les 240 comptes bancaires de toutes nos entités dans le monde, ce qui nous permet une centralisation du cash par la mise en place de cash poolings partout où la réglementation nous l’autorise, et nous gérons tous les flux de paiement tels que les règlements fournisseurs, les salaires, les impôts et taxes… La digitalisation de nos processus est à ce titre indispensable. Elle nous permet notamment de gagner en agilité, ce qui, au regard de la succession de crises que nous traversons depuis la Covid, est devenu indispensable pour préserver notre trésorerie. Elle nécessite néanmoins des expertises humaines très particulières, parfois difficiles à trouver sur un marché de l’emploi déjà en tension. »

Une ouverture à des profils très divers

Si le contexte contribue à accentuer la pénurie actuelle de candidats sur le marché, il impacte également fortement la profession, qui poursuit sa mutation. « Dans les années 1990, les entreprises cherchaient surtout des candidats ayant des compétences sur les instruments financiers et qu’elles trouvaient essentiellement dans les salles de marché, précise Benoît Rousseau. Les équipes de trésorerie travaillaient alors souvent en vase clos et communiquaient peu avec les autres directions de l’entreprise. Désormais, les instruments financiers se sont standardisés. Les échanges entre directions financières et directions de la trésorerie se sont renforcés. Les expertises attendues des trésoriers se sont donc diversifiées, notamment depuis la crise financière de 2008, et la profession s’ouvre à des profils de financiers tels que les contrôleurs de gestion, les consolideurs, des experts en systèmes, etc. »

Aujourd’hui, dans le cadre de leur fonction, les trésoriers recueillent et analysent tous les documents liés à l’activité économique de l’entreprise comme les relevés de compte, les liquidités et les opérations, afin de réaliser un reporting mensuel ou hebdomadaire dans le but d’établir le budget et la trésorerie prévisionnelle. Ils participent par ailleurs à la détermination des besoins en financement, et proposent des solutions de refinancement (prêts, investissements, garanties…). Les trésoriers s’occupent également d’identifier et de quantifier les risques encourus par l’entreprise et d’évaluer l’impact qu’ils peuvent avoir. « Ils ont vu leur zone de responsabilité s’étendre au-delà de la trésorerie, de la finance et du cash management pour couvrir désormais la gestion des assurances (dommages, risques de capitaux, catastrophes naturelles, etc.) et plus récemment encore les sujets de communication financière et les relations avec les assureurs », précise Emmanuel Rapin.

Des profils aux compétences étendues

Face à l’évolution de la profession, les compétences attendues des trésoriers dépendent néanmoins des missions qui leur seront confiées. « Par exemple, les trésoriers en back-office, qui travaillent plutôt sur la gestion des flux, des encaissements et des décaissements, doivent surtout avoir une expertise sur les outils de gestion du cash management mais aussi et de plus en plus sur les nouveaux moyens de paiement, précise Emmanuel Rapin. Ceux qui sont ou seront amenés à travailler sur les emprunts et les placements doivent pour leur part parler le même langage que les investisseurs. S’ils sont sollicités sur la partie RSE/ESG, ils doivent alors aussi connaître les critères de notation extra-financière, le cadre juridique ou encore les référentiels. »

Dès lors que leur fonction intègre aussi la partie assurantielle, il leur faut également, comme pour les opérations de financement, bien comprendre l’activité de l’entreprise et son fonctionnement, les risques qui y sont associés et la capacité de l’entreprise à les absorber ou à les transférer. La direction de la trésorerie du groupe Bel a ainsi récupéré la gestion des assurances. « Nous avons d’ailleurs dans notre équipe de trésorerie un expert en assurance qui a pour mission de gérer et suivre les contrats d’assurance groupe, aussi bien en central qu’en local, et d’animer la relation avec les assureurs et courtiers, précise Benoît Rousseau. Afin d’en assurer un meilleur pilotage, j’ai de mon côté renforcé mes compétences sur le sujet en me formant notamment sur la gestion des risques opérationnels – dommages, responsabilité vis-à-vis de tiers, transports, assurance-crédit. » Les sujets de compliance occupent également beaucoup les trésoriers. Ils en sont d’ailleurs les garants avec le service juridique.

«L’excellence dans l’exécution, la rigueur, la méthodologie et l’agilité sont indispensables aux trésoriers, d’autant que nous manipulons souvent de très gros montants, ce qui contribue par ailleurs à nous responsabiliser»

Jiaxuan Xu contrôleur de gestion financement et trésorerie ,  Danone

Un métier qui fait la part belle aux soft skills

D’autre part, alors que les trésoriers sont de plus en plus amenés à travailler avec d’autres directions de l’entreprise (finance, RSE, compliance, juridique, achats, etc.), ils sont également attendus sur leurs qualités relationnelles, leur capacité d’adaptabilité et leur excellence opérationnelle. « Même si, à la trésorerie centrale de Danone, nous avons chacun des périmètres définis, notre sens de la collaboration est nécessaire car notre travail est indispensable aux autres équipes de trésorerie réparties dans le monde, témoigne Jiaxuan Xu, contrôleur de gestion financement et trésorerie chez Danone. Par ailleurs, dès lors que nous intervenons dans le pilotage des frais financiers, de l’exposition aux devises étrangères ou encore du financement du groupe, nous devons accorder autant d’importance à la préparation des projets qu’à leur exécution. Par exemple, un projet de flux interco nécessite en amont de dessiner les différents schémas de flux de façon à en faciliter le monitoring le jour J et d’éviter les mauvaises surprises. L’excellence dans l’exécution, la rigueur, la méthodologie mais aussi l’agilité sont indispensables. D’autant que nous manipulons souvent de très gros montants, ce qui contribue par ailleurs à nous responsabiliser. » Sur ce métier en transformation et sous tension, les entreprises misent donc sur les spécificités des missions qu’ils proposent ainsi que sur les niveaux de rémunération élevés pour attirer ces profils. Selon une enquête réalisée par Mazars et l'AMTSA, les salaires des trésoriers sont en effet compris entre 40 k€ et 70 k€ pour les trésoriers entre un et sept ans d’expérience et de 70 à 140 k€ au-delà de sept ans d’expérience.

Trésorier, un métier à différentes facettes

Alors qu’elle embarque différentes fonctions (cash management, financement, gestion des risques), la trésorerie offre de nombreuses opportunités d’évolution. Elle permet aux collaborateurs d’occuper plusieurs postes avec une progression en fonction des niveaux d’expertise. Une évolution à laquelle s’est essayée Jiaxuan Xu : entrée chez Danone lors de son stage de fin d’étude en master finance à l’Essec, elle a ensuite intégré l’équipe cash management à la trésorerie corporate du groupe, pour ensuite passer au controlling de la trésorerie. « Les missions effectuées au sein de ces postes sont très différentes, témoigne Jiaxuan Xu. Au cash management (back-office), il s’agissait surtout de gérer les opérations de marché et de travailler avec les parties prenantes externes (banques notamment). En revanche, en controlling de trésorerie, il faut prendre de la hauteur et avoir une vision d’ensemble sur les financements du groupe. Notre mission consiste à piloter les frais financiers liés par exemple aux coûts de la dette et à la couverture de l’exposition aux devises étrangères. Ce nouveau poste m’amène également à travailler davantage avec mes homologues dans les différentes filiales ainsi qu’avec les autres directions du groupe. » Ces métiers permettant d’acquérir une culture du risque et de l’opérationnel, les trésoriers les plus expérimentés peuvent ensuite évoluer vers des postes de direction financière de filiales ou de business units.

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