Métier

Traders, l’âge de raison

Publié le 26 avril 2019 à 17h42

Anaïs Trebaul

Après avoir longtemps été un métier vedette dans les banques d’investissement, les traders ont vu leur rôle sensiblement évoluer ces dernières années, sous l’effet de la réglementation, mais aussi des avancées technologiques. Un contexte qui offre de nouvelles opportunités en termes de parcours, mais qui modifie également le profil des candidats.

Salles de marché surpeuplées remplies de rangées d’écrans Bloomberg, individus survoltés hurlant un casque de téléphone vissé aux oreilles et prenant des positions spéculatives, bonus faramineux octroyés… Popularisé dans plusieurs films, comme «Wall Street», «Le bûcher des vanités» ou encore «Le Loup de Wall Street», le métier de trader suscite depuis des décennies à la fois fascination et détestation. Mais l’image que l’on se fait de ces professionnels est devenue pour le moins obsolète. «Historiquement, les “sales” étaient en contact avec leurs clients et consultaient les traders qui proposaient des prix et traitaient sur le marché, relate Bruno de Saint Florent, partner Financial Services chez Oliver Wyman. Cette situation n’existe quasiment plus dans de nombreux segments de marché.» 

En conséquence, le nombre de traders en activité a été fortement réduit ces dernières années. «Alors qu’au début des années 2010 il y avait encore une quinzaine de traders à Londres chez Deutsche Bank, maintenant il n’y en a plus que cinq, souligne François-Xavier Gorioux, sales trader chez Deutsche Bank depuis 2002. Il n’y a plus de traders à Paris depuis dix ans.»

La fin du trading pour compte propre

Une situation qui s’explique par deux principaux phénomènes. D’une part, la réglementation est venue restreindre fortement l’activité des traders. Et pour cause : les traders ont vu leurs marges de manœuvre en termes de prise de risque largement contrainte. «Avant, la couverture des pertes était calculée via des modèles statistiques de type Value at Risk journalière (VAR), moins consommateursen fonds propres, explique Hugues Delepau, responsable des solutions d’investissement chez Aurel BCG et ancien trader de 1993 à 2008. Aujourd’hui, les calculs sont beaucoup plus contraignants, notamment en ce qui concerne l’utilisation de produits dérivés (utilisation de modèles Monte carlo sur des événements extrêmes), et les fonds propres exigés sont nettement plus importants pour effectuer les mêmes opérations. Cette situation a donc largement restreint le nombre des positions spéculatives prisent par les banques.»En parallèle, l’activité de trading pour compte propre, qui a fait les plus belles heures des salles de marché dans les années 1990 et 2000, a presque disparu. «Depuis la loi de régulation et de séparation des activités bancaires de 2013 qui a restreint le trading pour compte propre, c’est-à-dire la prise de positions pour la banque elle-même et non pour ses clients, le métier de trader a fortement évolué, observe François-Xavier Gorioux. Il n’y a plus de traders stars, qui prenaient des positions énormes, le monitoring est désormais trop strict pour cela. Les affaires Kerviel et Adoboli ont marqué les esprits.» Cette loi s’est en effet traduite par une réduction drastique de cette activité. «Avant la crise, le trading pour compte propre pouvait représenter jusqu’à 50 % du profit global d’une banque d’investissement, rappelle Hugues Delepau. Ces dernières années, certaines banques françaises ont créé des cellules spécialisées pour réaliser des opérations en compte propre (du type Descartes pour Société Générale ou Opera Trading Capital pour BNP Paribas). Les conditions de marché actuelles rendant les opportunités de plus en plus faibles, ces entités auront complètement fermé en juin prochain. En effet, ces activités demandent beaucoup de fonds propres et ne sont plus rentables économiquement. De plus, avec l’essor des fonds indiciels et la baisse des volumes d’échanges, il y a moins de liquidité sur le marché. Nous ne pouvons donc plus prendre autant de positions qu’avant et le modèle n’est plus rentable.»

D’autre part, l’évolution technologique a largement fait évoluer la profession. Plusieurs dispositifs d’automatisation répètent en effet désormais les actions que faisaient jusqu’alors les traders.

«Si les postes des traders qui travaillent sur des produits complexes (produits structurés) sont peu menacés par l’avancée technologique, ceux qui travaillent sur des produits simples (actions, obligations, etc.), par nature moins techniques, sont peu à peu remplacés par des outils qui prennent des positions à leur place, souligne Gaëlle Le Fol, directrice du master marchés financiers de Paris-Dauphine. De même, les traders market maker ou «teneurs de marché», qui n’ont pas vocation à spéculer – leur rôle consistant à proposer le prix existant sur le marché –, pourraient eux aussi voir leurs postes être remplacés par des outils technologiques.» Cette vague de dématérialisation est d’autant plus forte que certains clients ne passent plus par les banques pour acheter ou vendre des titres. «Désormais, avec le déploiement de plateformes de trading basées sur des algorithmes, les clients peuvent directement passer leurs ordres, ajoute François-Xavier Gorioux. Le trader est surtout là pour répondre à des situations complexes ou particulières (pour prendre une position significative qui ferait bouger le marché par exemple)».

Une plus grande technicité

De quoi sonner la fin de cette profession ? Loin s’en faut ! Face aux développements récents, de nouveaux types de postes ont été créés, par exemple en gestion des risques. «Pour répondre efficacement à la montée en puissance de l’automatisation des flux et de l’analyse quantitative, nous avons chez Deutsche Bank un trader responsable de la gestion des risques au sein d’un book centralisé de trading (Centralized Risk Book ou CRB), indique François-Xavier Gorioux. Il est chargé d’analyser l’ensemble des positions prises par les autres traders au sein du groupe.»

Certains voient même à travers ces changements un essor par le haut de la profession. «Les traders peuvent moins faire de paris directionnels qu’avant, constate François-Xavier Gorioux. De ce fait, ils doivent maintenant avoir une très bonne maîtrise des secteurs et produits sur lesquels ils interviennent. Ils ont désormais une technicité plus forte.» Par ailleurs, les traders sont sollicités pour concevoir les outils d’automatisation. «Nous développons en interne des algorithmes de trading qui servent à exécuter automatiquement certains ordres, explique François-Xavier Gorioux. Nous utilisons ces outils au sein de la banque, et nous les vendons aussi à d’autres opérateurs, tels que les sociétés de gestion. Nous sommes d’ailleurs en train de recruter une quatrième personne qui sera dédiée à cette activité.»

Des évolutions d’autant plus positives que de nouvelles activités s’ouvrent actuellement au trading. «Quand on fait référence aux traders, on pense souvent uniquement aux salles des marchés bancaires, alors qu’il y a de plus en plus de sociétés de gestion qui recrutent des étudiants en finance de marché, observe Alfonso Lopez de Castro, directeur de Financia Business School. De même, de nouveaux métiers apparaissent, notamment dans la blockchain. Plusieurs sociétés de gestion créent par exemple des fonds en cryptomonnaies, et recherchent des traders pour investir sur des crypto-actifs. En réalité, ils investissent sur des actifs digitalisés qu’il faut décortiquer afin de mettre en perspective leur valeur ajoutée. Il y a un savoir-faire à maîtriser. C’est un marché très volatil avec de gros volumes.»

Une maîtrise des systèmes d’information

Dans ce contexte, les banques qui restent en quête de traders ont fait évoluer leurs critères de recrutement. «Alors qu’avant nous ciblions surtout les candidats en provenance d’école de commerce ou ayant fait des études en finance de marché, nous recherchons maintenant des profils plus atypiques, relève François-Xavier Gorioux. Le machine learning et l’intelligence artificielle vont continuer à influencer le trading ces prochaines années, nous avons donc besoin de candidats flexibles, avec de très bonnes connaissances en informatique. En conséquence, nous recrutons des profils plus variés, notamment en provenance d’école d’ingénieur.»

De même, les écoles ont modifié leur programme de formation. Les contraintes réglementaires font désormais partie intégrante des programmes.«Le spectre réglementaire est tellement fort que les étudiants doivent maintenant avoir une parfaite connaissance de ces contraintes liées à la réglementation et la conformité pour pouvoir exercer ce métier», souligne Gaëlle Le Fol. Il en est de même pour la maîtrise de l’informatique. «Nous apprenons à nos étudiants à utiliser certains logiciels de programmation informatique, tels que Python et VBA, précise Alfonso Lopez de Castro. La maîtrise de ces outils fait d’ailleurs souvent partie du processus de recrutement des banques.»

Une adaptation qui permet aux traders de pouvoir toujours prétendre à des rémunérations particulièrement élevées. «A la sortie du master, nos étudiants peuvent espérer un salaire annuel de 48 000-50 000 euros brut annuel à Paris et 72 000-75 000 euros à Londres, sans primes, chiffre Gaëlle Le Fol. Ces montants peuvent ensuite être multipliés par trois en cinq ans.» Les années fastes du trading ne touchent donc pas encore à leur fin.

Qui fait quoi ?

  • Le trader réalise des opérations dites spéculatives, dans la mesure où il achète à un prix et espère revendre à un autre plus élevé, en prenant une position sur un actif. L’écart s’appelle le «bid ask».
  • Le «structurer» construit les produits d’investissement ou de couverture plus ou moins complexes.
  • Le sales commercialise les produits et services fournis par le département trading.
  • Le sales trader est au centre des interactions entre le client, les vendeurs et le trading. Il a pour objectif d’aider le client à obtenir la meilleure exécution possible de ses ordres sur les marchés financiers.
  • Le broker ne prend aucune position, il transmet seulement un prix au client. Il s’agit d’une sorte de courtier.

Que deviennent les anciens traders ?

Le trading a rarement été un métier «pour la vie». «Il y a toujours eu un turn-over important, relève Gaëlle Le Fol, directrice du master marchés financiers de Paris-Dauphine. Généralement, les traders l’exerçent en début de carrière, puis évoluent ensuite vers d’autres professions dans le secteur financier.» Mais, avec la crise, le durcissement de la réglementation et la robotisation de certaines activités, la tendance s’est partiellement inversée. «La moyenne d’âge des traders a augmenté ces dernières années, la plupart ont désormais 40-50 ans, remarque Hugues Delepau, responsable des solutions d’investissement chez Aurel BCG. En effet, les banques ayant moins de postes disponibles, elles recrutent moins de jeunes diplômés.»

Pour autant, ils sont nombreux à avoir été forcés de quitter leur poste. «Si certains ont continué vers d’autres activités bancaires ou de financement, ou sont carrément sortis de ce domaine, plusieurs anciens traders ont monté leur propre hedge fund et mènent des opérations similaires à ce qu’ils faisaient pour compte propre avant la crise, mais cette fois-ci dans le cadre d’un mandat pour des investisseurs et dans le cadre d’un fonds», constate Bruno de Saint Florent, partner Financial Services chez Oliver Wyman.

Que deviennent les anciens traders ?

Le trading a rarement été un métier «pour la vie». «Il y a toujours eu un turn-over important, relève Gaëlle Le Fol, directrice du master marchés financiers de Paris-Dauphine. Généralement, les traders l’exerçent en début de carrière, puis évoluent ensuite vers d’autres professions dans le secteur financier.» Mais, avec la crise, le durcissement de la réglementation et la robotisation de certaines activités, la tendance s’est partiellement inversée. «La moyenne d’âge des traders a augmenté ces dernières années, la plupart ont désormais 40-50 ans, remarque Hugues Delepau, responsable des solutions d’investissement chez Aurel BCG. En effet, les banques ayant moins de postes disponibles, elles recrutent moins de jeunes diplômés.»

Pour autant, ils sont nombreux à avoir été forcés de quitter leur poste. «Si certains ont continué vers d’autres activités bancaires ou de financement, ou sont carrément sortis de ce domaine, plusieurs anciens traders ont monté leur propre hedge fund et mènent des opérations similaires à ce qu’ils faisaient pour compte propre avant la crise, mais cette fois-ci dans le cadre d’un mandat pour des investisseurs et dans le cadre d’un fonds», constate Bruno de Saint Florent, partner Financial Services chez Oliver Wyman.

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