Souvent sous-estimé, le pilier social a pourtant un rôle majeur à jouer dans l’analyse d’une entreprise : il garantit une transition environnementale « juste » et peut aussi s’avérer facteur de performance financière.
Alors que l’investissement responsable se généralise en Europe, le triptyque sur lequel il repose s’avère bancal : si les aspects environnementaux – le « E » de l’ESG – sont devenus centraux dans les décisions de gestion, le pilier « S », qui couvre à la fois les dimensions sociales et sociétales de l’activité d’une entreprise, demeure assez discret. « Le “S” reste le parent pauvre, regrette ainsi Michel Escalera, directeur général de Palatine Asset Management. Très peu de fonds sont fléchés vers le social. »
Il existe pourtant bien des véhicules sur des thématiques d’impact social. « Ces fonds à impact s’appuient sur des critères sociaux et font référence aux Objectifs de développement durable (ODD), les thématiques les plus utilisées étant la santé, l’éducation, la réduction des inégalités, le travail et l’emploi », relève Laure Delahousse, directrice générale de l’AFG, tout en reconnaissant que ces supports ne représentent qu’une petite partie des 2 000 milliards d’euros d’investissements responsables en France. La dimension sociale des fonds est ainsi moins souvent mise en avant par les gérants. « L’environnement prend le pas dans la communication », concède-t-elle.
Un focus historique
Ce net focus sur les enjeux environnementaux, et notamment climatiques, est toutefois relativement récent. Une mutuelle d’assurance comme la Macif fait ainsi état d’un biais social marqué à l’origine. « Il y a plus de vingt-cinq ans, nous avions essayé de mettre nos investissements en cohérence avec nos valeurs mutualistes, ce qui nous avait amenés à surpondérer le critère “S” dans les analyses de nos portefeuilles, souligne Sabine Castellan-Poquet, directrice des investissements de la Macif. Avec la COP de 2015, nous nous sommes davantage tournés vers le climat, les politiques d’exclusion et les trajectoires carbone. »
La conscience que la dimension sociale et sociétale ne doit pas être négligée est néanmoins bien présente à l’esprit des investisseurs. « On aura du mal à faire la transition écologique si on laisse de côté les salariés et les publics fragiles, qui sont les principales victimes du réchauffement climatique », insiste Sabine Castellan-Poquet. Pas question ainsi d’opposer les deux dimensions environnementale et sociale. « Pour faire face à l’urgence climatique, le chef d’entreprise a besoin d’embarquer ses salariés et sa gouvernance, donc de les former aux enjeux et qu’ils deviennent une force de transformation, abonde Laure Delahousse. Un des moyens, pour les investisseurs, de jauger la solidité du plan de transition d’une entreprise, c’est de regarder les moyens humains qu’elle met derrière. »
Une confusion à lever
Au-delà de cet enjeu de la transition « juste », c’est tout le pilier « S » qui doit être remis sur le devant de la scène. Mais pour mobiliser les investisseurs, la question financière ne devra pas être occultée. « On ne pense pas immédiatement au social pour créer de la performance, regrette Michel Escalera. Il existe une forme de confusion entre social et solidaire, même si les choses sont en train d’évoluer. » Pour le dirigeant de Palatine AM, les choses sont ainsi claires : « Le capital humain est un levier de performance financière au cœur de la stratégie de l’entreprise. Il est assez intuitif de se dire que, dans un monde où il existe des tensions sur l’emploi, la marque employeur devient un sujet central. »
Reste à le prouver par des chiffres, ce qui demeure à ce stade compliqué. Une étude basée sur les notes attribuées par les salariés à leur employeur via la plateforme Glassdoor parvient tout de même à montrer que les entreprises les plus attractives en matière de gestion du capital humain ont réalisé une performance deux fois et demie supérieure à celles du S&P 500 qui n’avaient pas le label « best place to work ». « McKinsey a également montré qu’une entreprise ‘“à double focale”, c’est-à-dire qui prend en compte le capital humain dans la gestion de ses objectifs financiers, a 3,6 fois plus de chances de devenir un champion mondial », cite Michel Escalera. Des arguments sonnants et trébuchants qui devraient contribuer à renforcer le poids du « S » de l’ESG dans les gestions.