Alors que la crise sanitaire a rebattu les cartes du commerce international, la gestion du risque client s’est, depuis un an, complexifiée. A l’heure de la reprise, les entreprises vont devoir jongler entre la nécessité de relancer leur activité et l’augmentation du risque client qui, dans les mois qui viennent, pourrait se développer. Il leur faudra à cet effet mettre en œuvre de bonnes pratiques pour prévenir les impayés et limiter les délais de paiement, mais également financer la reprise de leur activité tout en préservant leur taux d’endettement.
Eric Latreuille, chargé de mission à l’international AFDCC : L’environnement international, beaucoup plus que le domestique, a fortement été impacté par le contexte de crise sanitaire. Une nouvelle donne que le credit manager a bien entendu dû prendre en considération. Il a notamment été beaucoup plus compliqué d’aller chercher de l’information financière pour apprécier le risque et la solvabilité des clients. Nous avons également assisté à une soudaineté du risque du fait de la mise en place très rapide des confinements dans de nombreux pays. Aujourd’hui, nous avons peu de visibilité sur la suspension des soutiens aux entreprises mis en place par les différents gouvernements. Certes, en Union européenne, les dispositifs tels que le PGE devraient prendre fin en juin. En revanche, pour le grand export, cela dépend de la solidité des économies à maintenir les dispositifs de soutiens aux entreprises. Dès lors que ces soutiens se réduiront, le niveau de risque pour les entreprises pourrait s’intensifier. Enfin, la logistique internationale et tout ce qui est lié au trafic maritime et à la perturbation du trafic aérien créent une pression sur les prix et, en termes de délais, un manque de visibilité au niveau des livraisons sur des zones assez éloignées. Le credit manager doit donc jouer avec ces différents éléments.
Benoît Carteron, directeur credit management, direction affaires juridiques groupe Lactalis, adhérent de l’AFDCC : Depuis le début de la crise, nous n’avons aucune visibilité sur l’évolution de la situation. Nous nous attendions à des vagues massives de défaillances d’entreprises en septembre puis en janvier, suite au deuxième confinement. Or, grâce aux différentes mesures de soutiens aux entreprises mises en place, nous n’enregistrons pas, à ce jour, d’augmentation de la sinistralité. Chez Lactalis, le principal enjeu de 2020 était de s’assurer du règlement de nos clients sans dérive sur les délais de paiement. Nos performances d’encaissement ne se sont pas dégradées en 2020. Comme nous avions déjà une proximité importante avec nos filiales, nous avons pu mettre en place dès la deuxième semaine du confinement un reporting hebdomadaire sur les encaissements par canal de distribution sur l’ensemble du périmètre du groupe Lactalis. Les équipes locales de credit management ont été très réactives et impliquées dans ce suivi, ce qui nous a permis de traverser sereinement cette crise sanitaire. Le secteur le plus impacté a été celui du foodservice sur lequel nous avons enregistré une baisse d’activité, les autres secteurs n’ont pas été touchés.
Le contexte économique : risques et opportunités
Alice de Brem, directeur commercial et marketing et membre du comité exécutif d’Euler Hermes France : L’année 2021 devrait être celle du rebond des exportations françaises. Nous estimons, chez Euler Hermes, que la demande adressée à la France augmentera de 68 milliards en 2021 par rapport à 2020. Il faudra à cet effet que la campagne de vaccination s’accélère pour que ce regain d’optimisme se manifeste sensiblement et permette aux échanges commerciaux de repartir avec une croissance que nous estimons à + 7,5 % sur 2021. En termes de débouchés commerciaux, la demande viendra surtout de l’Union européenne (Allemagne, Belgique, Espagne et Italie), des Etats-Unis (notamment portée par l’assouplissement du protectionnisme américain et l’adoption du stimulus Biden), mais aussi de la Chine et du Royaume-Uni. Ces opportunités n’iront pas sans risques. L’année 2020 a été assez surprenante : nous attendions une vague de défaillances mais le soutien de l’Etat a permis de préserver temporairement les trésoreries et de maintenir en vie certaines entreprises pourtant très fragiles. Néanmoins, le contexte sanitaire a tout de même pesé sur la trésorerie en affectant les marges, l’endettement et la structure de coût des entreprises. Ainsi, à mesure que le soutien étatique s’estompera, la pression sur les trésoreries grandira, et le risque d’impayés se renforcera. Le nombre de défaillances devrait donc croître de + 25 % en 2021 et de + 13 % en 2022. Nous nous inscrivons dans un schéma plus long que ce que nous avions anticipé, mais qui aboutit au même résultat, à savoir une dégradation de la solvabilité de nombreuses entreprises.
Christophe Pennellier, directeur des ventes et du développement chez Atradius : L’appréciation du risque à l’export se fait à l’aune de tous les éléments évoqués sur la crise sanitaire. Elle dépend également de la façon donc chaque pays a géré la crise qui impacte différemment leurs capacités de rebond. L’approche risque de l’export nécessite donc une approche assez fine sur la situation de l’entreprise, de son secteur d’activité et de son pays, ainsi que de l’évolution de la situation sanitaire locale. Chez Atradius, nous suivons donc de près le niveau de diffusion du virus, ainsi que la résilience des économies : certains pays ont pris des mesures assez fortes et ont aujourd’hui des capacités de rebond intéressantes, comme par exemple dans les pays d’Asie. Il convient également de regarder de près les politiques mises en œuvre par les pays pour soutenir l’économie et le matelas social, car tous n’ont pas eu les moyens de faire du « quoi qu’il en coûte ». Enfin, la cadence de vaccination sous-tend aujourd’hui le redémarrage de l’économie et de la consommation. Nous restons également attentifs aux variants du virus. Nous attendons également un redémarrage au niveau du commerce international en 2021 et 2022.
Jean-Christophe Batlle, directeur commercial, Coface Global Solutions pour l’Europe de l’Ouest : Ce qui a été marquant pour l’année 2020, c’est la très forte baisse des volumes de certaines activités comme l’aéronautique ou le duty free (– 80 %), tandis que d’autres secteurs ont été beaucoup moins touchés comme la consommation courante (alimentaire) ou encore la construction. D’autre part, cette période a plutôt amélioré les délais de paiement. En effet, la baisse de la volumétrie et l’effort sur les encaissements ont permis de limiter les retards de paiement. La reprise devrait intervenir au début du second semestre. Thierry Breton a annoncé 90 millions de vaccins à fin mars pour l’Europe et si le plan de fabrication se poursuit à ce rythme, nous pourrions avoir une immunité collective qui permettrait une réouverture partielle de l’Europe, qui représente près de 50 % de nos échanges commerciaux. En revanche, au niveau de la sinistralité, la situation est complètement artificielle et paradoxale. En 2020, la sinistralité en Europe a reculé de 22 % alors que nous traversions la pire récession depuis la Seconde Guerre mondiale. S’il n’y avait pas et les aides de l’Etat, la sinistralité aurait atteint 52 % en 2020. Tout cela a un effet report qui, au moment de la reprise, sera compliqué à gérer car nous aurons un retour à la réalité des entreprises, chargées d’endettement, avec un potentiel redémarrage d’activité. Un double effet ciseau à gérer partout dans le monde !
Laetitia Aparicio, responsable du marché export et du développement des partenariats Factofrance : En matière de tendance, nous sentons une volonté de nos exportateurs de travailler avec les pays du Moyen-Orient, peu touchés par la Covid. Les Etats-Unis commencent également à montrer des signes de détente, notamment en matière de protectionnisme sur certains secteurs comme le viti-vinicole. Tout cela reste à regarder avec une grande prudence car plus la zone est lointaine, plus la perception du risque de l’entreprise peut être difficile à appréhender.
Evolution des indicateurs de risques
Benoît Carteron : Nous n’avons pas mis en place de nouveaux indicateurs de risques, nos procédures de credit management, très strictes au niveau des ventes export ou grand export, ont prouvé leur efficacité même dans un environnement irrationnel : A partir du moment où nous n’avons pas réussi à négocier de garanties auprès de nos partenaires de l’assurance crédit, nous demandons aux clients export, avec l’appui des commerciaux, la mise en place de garanties bancaires, d’outils de sécurisation des transactions, etc. Notre objectif prioritaire est d’aider les commerciaux à développer un chiffre d’affaires sécurisé. Lorsque nous ne pouvons pas sécuriser les transactions commerciales, nous n’accordons pas de délais de paiement. En cas de refus de la part du client, le compte n’est pas ouvert. Durant la crise sanitaire, nous avons monitoré de façon plus précise les retards de paiement avec nos filiales, surtout sur le secteur du foodservice qui, dans l’agroalimentaire, a été particulièrement impacté. Nous avons également surveillé les retards de paiement sur le canal de distribution du retail qui a eu tendance dans certains pays à profiter de la crise pour allonger ses délais de paiement. Au-delà du risque client, nous constatons que cette crise a entraîné un nombre croissant de tentatives de fraudes à l’export, sur des modes opératoires différents de ce que nous avions l’habitude de voir. Avec le confinement, les commerciaux ne pouvant plus rencontrer physiquement leurs clients. Les négociations commerciales se faisaient à distance : il était donc beaucoup plus difficile de détecter les éventuels fraudeurs, dans un environnement où la pression restait forte pour continuer à développer l’activité. Cette crise sanitaire nous aura enseigné que la fraude, telle l’usurpation d’identité, est un virus contagieux et aux multiples variants… Nous travaillons actuellement sur une procédure groupe de sensibilisation pour renforcer la prévention sur ce sujet.
Eric Latreuille : Les commerciaux avaient en effet beaucoup moins de visibilité sur ce qui se passait chez leurs clients car ils ne pouvaient pas se déplacer. En raison du ralentissement des activités, les commerciaux ont eu tendance à saisir toute opportunité de commande et le credit manger devait alors redoubler de vigilance en matière de gestion du risque. D’autre part, nous nous attendions à un allongement des délais de paiement et à une sinistralité beaucoup plus importante, alors que finalement, il ne s’est pas passé grand-chose. Le credit management a été beaucoup plus mobilisé sur le sujet au regard de l’appréhension du risque de sinistralité. Il y a eu une perception du métier de credit manager beaucoup plus importante par la direction financière et la direction générale. Elles mesuraient en effet beaucoup plus les conséquences à venir de la crise en termes de cash et de DSO mais aussi en termes de défaillances. Donc, nous avons une mobilisation plus importante dans les entreprises.
Laetitia Aparicio : De par notre métier de factor et parce que nous finançons l’économie réelle, nous avons été frappés de plein fouet par la crise avec la même intensité que l’ont été nos entreprises. Pour la première fois et c’est historique, nous assistons à une baisse de 7,5 % du volume des factures cédées en 2020. Certes, c’est en ligne avec le PIB mais nous étions plutôt habitués à des croissances à deux chiffres. Malgré cette chute sans précédent, nous constatons un paradoxe qui montre que pour le moment, tout ne va pas si mal au niveau des trésoreries. Nous constatons un assèchement des besoins en financement de nos clients, notamment grâce aux PGE qui ont bien joué leur rôle : aujourd’hui, sur l’ensemble des financements court terme, nous constatons un recul d’environ 12 % des tirages, du jamais vu. Nous avons également une baisse sans précédent des défaillances et des procédures collectives de 40 %, gage une nouvelle fois de l’efficacité des différents dispositifs mis en place par l’Etat.
Face à ce nouveau paradigme, il a quand même fallu se réinventer (un peu) dans la manière de suivre nos clients et de surveiller les indicateurs. A cet effet, nous nous sommes attachés à rester très proches de nos clients. Aussi, dès le début de la crise, nous avons pris contact très rapidement avec eux pour bien comprendre et anticiper leurs besoins en matière de financement mais également pour évaluer la manière dont nous pouvions y répondre.
En termes d’indicateurs, nous nous sommes particulièrement focalisés sur le niveau des garanties délivrées par les assureurs crédit, le financement des factors y étant étroitement lié. Or, compte tenu de la période et du contexte économique, certaines lignes ont pu faire l’objet de restrictions. Tout l’enjeu pour nous a alors consisté à continuer d’accompagner le BFR des entreprises clientes, en France comme à l’international, et ce malgré cette baisse des lignes de garanties. Il a fallu trouver des moyens pour financer au-delà de ces lignes. Il a également fallu bien s’articuler avec les dispositifs de l’Etat mis en place et relayés par les assureurs comme les CAP et les CAP+. Les retards de paiement représentent un autre indicateur de risques. Les factors suivent tout particulièrement les retards de plus de 30 jours après la date d’échéance des factures. Sachant que nous ne sommes pas réglementés par une LME à l’international, nous pouvons avoir des délais de paiement particulièrement longs à la base. Dès le début du confinement, nous nous sommes retrouvés très vite avec des retards importants, avec un pic historique de + 18 % en juin dernier à l’export (contre 6 % à 7 % en temps normal) et principalement imputables aux Etats-Unis, à l’Espagne, à l’Italie et à la Grande-Bretagne. Puis, petit à petit, ces retards ont diminué pour attendre un plus bas à 2,5 % de retard à plus de 30 jours, au 1er janvier 2021, du jamais vu au niveau de notre portefeuille acheteurs ; une nouvelle preuve que les dispositifs de l’Etat ont bien fonctionné et qu’une certaine solidarité, sans frontières, s’est installée entre les acteurs. Il convient néanmoins de rester attentif car les mesures d’accompagnement mises en place dans les différents pays vont prendre fin ou diminuer. Nous sommes donc très vigilants à la manière dont vont se passer les remboursements des aides, le financement du redémarrage, à comment le privé va prendre le relais du public et comment cela va influencer les positions des assureurs crédit.
Jean-Christophe Batlle : Nous n’avons pas particulièrement mis en place de nouveaux indicateurs de risques pendant la période 2020. Nous avons plutôt suivi les entreprises zombies, à savoir les entreprises qui, avant la crise, étaient déjà endettées. D’ailleurs, les principales défaillances que nous avons rencontrées sont celles d’entreprises de taille moyenne ou de grande taille, déjà fragiles en 2019. En revanche, nous avons intégré dans nos modèles les risques politiques et sociaux et les déséquilibres que pourrait entraîner la crise Covid. La question aujourd’hui consiste à savoir comment nous accompagnons la reprise avec une évaluation juste des clients de nos clients, dans une période qui suit 18 mois d’arrêt d’activité et avec des bilans et des comptes de résultat très moyens voire catastrophiques et, finalement, un besoin d’accompagner la relance. Aujourd’hui, nous privilégions une approche sur mesure de nos clients en sélectionnant les meilleurs indicateurs. Ils nous conduisent, avec nos équipes d’analystes, à avoir une vision plutôt prospective que rétroactive. Par exemple, dans l’aérien, nous observons les taux de maintenance des compagnies. Dès lors qu’ils augmentent, cela indique que l’activité de fret ou de transports de voyageurs a repris. Cela nous permet de compenser des analyses qui, en regardant vers le passé, nous amèneraient à des conclusions incomplètes.
Christophe Pennellier : Aujourd’hui, nous cherchons plus des informations additionnelles pour compléter nos indicateurs de risque. Les entreprises entrées dans la crise avec des problématiques structurelles sont évidemment celles qui ont le plus souffert de la conjoncture. Dès lors qu’elles ont largement été portées par les soutiens de l’Etat, leurs perspectives restent fragiles et l’horizon de risque se rapproche avec la fin des aides gouvernementales. L’analyse des bilans 2020 sera faite en tenant compte d’éléments complémentaires. L’historique reste un indicateur important pour juger des capacités de l’entreprise à passer le cap. Néanmoins, il est indispensable au regard du contexte de se tourner vers l’avenir et de prendre également en considération des éléments extra-financiers. Notre approche est différente selon les secteurs d’activité. Par exemple, nous n’aurons pas les mêmes analyses pour des entreprises du secteur du textile, de l’événementiel ou du tourisme qui souffrent encore de la crise, que par exemple pour celles du secteur manufacturier qui, à l’inverse, ont réussi à maintenir un certain niveau d’activité. D’autre part, la capacité à obtenir de la part de nos clients des expériences de paiements, notamment à l’export, est également un élément important pour estimer la solvabilité des entreprises. Nos implantations locales nous mettent en capacité d’aller chercher sur le marché de l’acheteur des informations fiables sur la qualité de ses paiements. Enfin et surtout, nous multiplions les contacts directs avec les acheteurs afin de faire des points sur leur situation et leurs perspectives (trésorerie, carnet de commandes, capacité à rebondir, à s’autofinancer, etc.). Ces éléments, remis en perspective avec l’analyse de la situation de l’entreprise sur les années passées, viennent compléter la vision des bilans 2020, que nous commençons à recevoir.
Alice de Brem : Même en période de non-crise, il est difficile pour une entreprise de trouver de l’information qui soit fraîche, fiable, pertinente et facile à analyser ou compréhensible. C’est encore plus vrai à l’export et à l’aune de cette crise de 2020. D’où la pertinence de solliciter un tiers qui a un réseau local et international d’informations. Or, l’information propriétaire et l’une des principales forces de l’assureur crédit. Chez Euler Hermes, ces données, nous allons les chercher directement sur le terrain grâce à nos 1 200 experts du risque répartis dans 50 pays, qui sont en contact régulier avec plus de 80 millions d’entreprises. Nous n’avons pas révolutionné notre analyse des risques, et nous suivons les mêmes indicateurs qu’avant la crise pour évaluer la santé financière des entreprises : le BFR, le comportement de paiement, le chiffre d’affaires, le bilan, mais également les perspectives commerciales. Mais le spectre d’analyse a quelque peu évolué, et la façon que nous avons aujourd’hui d’apprécier ces éléments se fait avec de nouveaux éclairages. Par exemple, lorsque nous lisons un bilan, nous allons être plus attentifs à la date d’arrêté des comptes. L’impact de la crise sur les éléments que nous lisons sera différent entre un arrêté des comptes au 31 mars 2020 (où l’impact sera faible) et un arrêté des comptes au 31 décembre 2020. Il convient également d’intégrer la saisonnalité pour savoir de quelle façon l’activité de l’entreprise a été impactée par le premier confinement puis par le second. Par ailleurs, les comptes 2020 doivent être considérés de manière dynamique et non pas comme une photo figée, particulièrement concernant la rentabilité de l’entreprise, son endettement et ses liquidités. Nous devons également avoir une analyse plus prospective de la solvabilité des entreprises. Il est indéniable que les bilans 2020 des entreprises seront inévitablement affectés par la crise. Aussi, il est primordial de s’attacher à analyser les perspectives et performances futures des entreprises, afin de se positionner dans une évaluation dynamique du risque d’impayés. Nous allons à cet effet encore plus à la rencontre des dirigeants d’entreprises, car ce sont eux qui nous apporteront des éléments concrets en matière de prévisionnels, de carnet de commandes, mais aussi de mesures appliquées pour faire évoluer leur modèle et ainsi renforcer leur résilience face à cette crise… Enfin, nous avions déjà commencé avant la crise à ajouter à notre analyse du risque des données qui ne sont pas forcément financières ou liées au contexte économique. Par exemple, chez Euler Hermes, nous commençons à intégrer des critères ESG dans notre évaluation de la situation financière des entreprises. Cela nous donne une vision plus précise et fine de la façon dont l’entreprise s’inscrit dans son environnement et dans son marché.
Gagner en agilité pour le recouvrement de créances
Laetitia Aparicio : L’agilité a été le maître mot de l’année 2020, et ce en particulier pour le recouvrement de créances. Dans ce processus, le factor, lorsqu’il a en charge le recouvrement de créances, intervient en amont de la date d’échéance des factures, sur une phase amiable qui est préventive par rapport à ce que pourra faire l’assurance crédit ensuite. Cela a fait l’objet de toute notre attention, car nos clients en France et leurs acheteurs à l’international ont été confinés, de même que nous. Il nous a donc fallu trouver une manière d’opérer et de nous préserver des risques des uns et des autres le mieux possible. Nous avons beaucoup travaillé sur le fait de maintenir la communication avec les acheteurs de nos clients, d’être présents à leurs côtés pour suivre au plus près les réouvertures des sociétés à l’étranger quand elles ont eu lieu, car cela s’est fait de manière décalée selon les pays et les mesures gouvernementales mises en œuvre. Cette présence à leurs côtés au moment des réouvertures nous a permis de beaucoup mieux les accompagner. Nous nous sommes également intégrés dans les allongements des durées de crédit consentis par les assureurs crédit, qui nous ont laissé plus de temps pour réaliser les relances et le recouvrement amiable. Ainsi, nous avons pu mettre en place des plans de paiement adaptés avec le consentement des assureurs crédit, et assurer un bon suivi et un bon bouclage des règlements en suspens à l’export. Le taux de réussite a été assez remarquable avec seulement deux dossiers déclarés aux assureurs crédit.
Aujourd’hui, la situation est globalement revenue à la normale, notamment en Europe. Nous observons cela au travers de notre observatoire des délais de paiement à l’export. Lorsque nous regardons ce que sont les délais de règlement par rapport à des pays avec lesquels nous commerçons beaucoup, nous voyons bien que nous avons retrouvé des délais de paiement comparables à ceux de décembre 2019 avec 75 jours pour l’Italie et 48 jours pour l’Allemagne (contre 51 jours en décembre 2019). A contrario, avec les pays historiquement difficiles et éloignés comme la Chine et les Etats-Unis, les relances et le recouvrement restent complexes.
Christophe Pennellier : Le recouvrement de créances fait partie intégrante de l’accompagnement des assureurs crédit à l’export. Les entreprises voient bien l’attrait de l’export et les potentialités qu’il offre en termes de relais de croissance et d’ouverture à de nouveaux marchés. Cependant, ce qui inquiète le plus nos clients à l’export, c’est l’impayé et le recouvrement. Le coût du recouvrement à l’export est en effet bien plus élevé qu’en France. La difficulté tient également aux législations locales, en matière de gestion des impayés, de délais de paiement et de procédures de recouvrement. La démarche nécessite donc des relais sur place et une rapidité d’exécution pour avoir les meilleures chances de récupération et éviter tout impact sur la trésorerie. La rapidité d’intervention est un facteur clé de réussite du recouvrement de créances, notamment en s’appuyant sur les moyens et filiales locales des assureurs crédit.
Pour les exportateurs, les actions de recouvrement ont été d’autant plus difficiles à mettre en place pendant les périodes de confinement. Face à cette situation exceptionnelle, Atradius a assoupli ses conditions contractuelles et proposé des délais aménagés afin de permettre à nos clients de recouvrer leurs créances tout en préservant au maximum leurs relations commerciales avec leurs débiteurs.
Notre rôle est d’accompagner les entreprises dans cette démarche de recouvrement qui, si elles agissent seules, peut se trouver confrontée non seulement à des difficultés mais aussi à des coûts induits importants. Or, le contrat d’assurance crédit, au-delà de la prévention et de l’indemnisation, intègre également le recouvrement. Chez Atradius, nos actions sont concertées avec notre client et nous nous appuyons sur la connaissance du marché local et du débiteur dans son environnement pour définir les actions à mener.
Alice de Brem : Chez Euler Hermes, 75 % des récupérations se font en moins de six mois. En allant vite, l’entreprise préserve sa trésorerie et se concentre sur les missions commerciales et financières, indispensables à son activité. Recouvrer seule ses créances à l’international sans maîtriser tous les rouages techniques et les spécificités locales, c’est utiliser du temps que l’entreprise pourrait passer sur son cœur de métier, à la recherche d’opportunités pour développer son chiffre d’affaires, son activité et sa rentabilité. Confier son recouvrement à un assureur crédit comme Euler Hermes, qui dispose des relais et compétences nécessaires dans tous les pays, c’est optimiser ses chances de récupération tout en se donnant la possibilité de se concentrer sur le développement commercial.
Le succès du recouvrement passe également prioritairement par du recouvrement amiable, pour préserver la relation commerciale. 90 % des récupérations réalisées par Euler Hermes sont faites à l’amiable grâce à nos négociateurs qui prennent le temps d’assimiler et maîtriser les aspects de chaque dossier et d’échanger individuellement avec les débiteurs. Enfin, comme pour l’analyse financière, nous avons ajusté nos processus de recouvrement de créances au contexte de la crise. Nous analysons les capacités de paiement de l’entreprise, nous établissons un plan d’actions en fonction de la solvabilité du débiteur, de son marché et de ses perspectives d’évolution. Suivant cette analyse, nous ajustons notre plan d’action et statuons sur les démarches à entreprendre afin de maximiser les chances de récupération pour le compte de notre assuré. En ce sens, l’apport de l’intelligence prédictive a été essentiel. Avec l’aide la data science et du machine learning, nous avons décuplé notre rapidité d’intervention en termes de recouvrement. Quel levier actionner ? A quel moment ? Quelle action prioriser ? Pour quelle typologie de client ? En résulte une très belle amélioration de notre efficacité en matière de récupération des créances impayées (+ 7 %) que nous mettons au service de nos clients, que leur créance soit garantie ou non.
Jean-Christophe Batlle : La présence locale est d’autant plus importante dans une période de crise comme celle que nous traversons et qui nous empêche de nous déplacer. En plus des différences culturelles, la distance fait qu’une entreprise peut se retrouver complètement démunie par rapport à quelqu’un qui ne paie pas. Il faut également évaluer la situation très en amont, voir si nous sommes en présence d’un mauvais payeur systématique ou occasionnel, de manière à négocier ensuite avec lui en conséquence, pour entrer dans une phase de reconnaissance de la créance d’une part et dans des protocoles de récupération et d’apurement d’autre part. Paradoxalement, en 2020, le taux de récupération de la créance a été très bon, ce qui rend l’analyse encore plus difficile.
Aujourd’hui, nous ne savons pas ce qui va se passer dans les prochains mois, ni à quel rythme se fera le redémarrage, notamment pour les entreprises qui ont perdu 18 mois d’activité, ni quelles zones géographiques vont redémarrer… Face à ces incertitudes, l’accompagnement d’un partenaire qui a une connaissance historique des clients est un véritable atout. Cela aide à identifier les contreparties appropriées et de modéliser les modes de facturation et de paiement adaptés ainsi que les durées de crédit adéquates. Ensuite, les partenariats entre factors et assureurs permettent de retrouver des liquidités pour améliorer le fonds de roulement si nécessaire.
Laetitia Aparicio : Le recours à une solution d’affacturage, en particulier dans une période compliquée comme celle que nous traversons actuellement, est un signe de bonne gestion pour l’entreprise dans son rapport avec ses partenaires financiers comme commerciaux. En effet, l’affacturage, notamment à l’export, va permettre aux entreprises, via les garanties des assureurs crédit, de sécuriser leur redémarrage. Cette solution leur donne également accès à une gestion de leur poste clients qui va s’adapter aux pays avec lesquels elles travaillent, et contribuer ainsi à minimiser le risque de retard. Enfin, l’affacturage leur offre une source de financement immédiate et illimitée car il se régénère en permanence avec la facturation émise, sans que cela pèse sur leur niveau d’endettement, ce qui représente un certain avantage à l’heure actuelle. Le recours à des financements adaptés va, en effet, être un enjeu majeur pour les entreprises en 2021, avec le poids des dettes qui va apparaître dans les bilans. A tous ces égards, l’affacturage est une solution appropriée à la période.
D’autre part, au moment du redémarrage de l’activité, les carnets de commandes vont se remplir, la production va repartir et des tensions pourraient se faire sentir sur les niveaux de besoin en fonds de roulement. C’est en réponse à cela que le financement du bon de commande a été créé. Il vient compléter le produit d’affacturage traditionnel. Il s’agit d’un dispositif mis en place l’été dernier par les sociétés d’affacturage de la place regroupées au sein de l’Association des sociétés financières. Il a pour vocation de soutenir le redémarrage de l’activité en injectant du cash plus tôt dans le cycle d’exploitation des entreprises. Cela s’est fait avec le soutien de l’Etat, qui apporte sa contre-garantie. Très concrètement, une entreprise va faire prendre en charge par le factor le financement de son bon de commande, clients français ou internationaux. Le financement de cette créance future est pris en charge par le factor auprès de qui elle est cédée. Il est ensuite prolongé par une solution traditionnelle d’affacturage, dès lors que la facture est émise. Cela permet d’avoir un financement du cycle d’exploitation sans rupture, depuis la réception du bon de commande jusqu’au règlement par le client final. Nous voyons la pertinence de ce dispositif notamment dans les cycles de fabrication longs. Ce produit a pour vocation d’être distribué par tous les factors de la place jusqu’au 30 juin 2021, date de l’arrêt des mesures gouvernementales. Ensuite, il n’est pas impossible que certains factors continuent à dispenser ce produit qui fait beaucoup de sens dans le paysage actuel.
Christophe Pennellier : Le commerce international est un levier de croissance avec des risques qu’il convient d’assurer pour un développement serein et maîtrisé. L’export, ce n’est pas que du risque, c’est aussi un projet d’entreprise enthousiasmant. Cependant, il faut être accompagné et l’assurance crédit est le moyen le plus concret et solide pour partir à la conquête de nouveaux marchés. D’autant que l’exportation peut prendre plusieurs formes. Cela peut être aussi bien expédier des marchandises vers l’étranger fabriquées en France, que s’installer à l’étranger via une filiale, acquérir des sociétés étrangères ou nouer des partenariats locaux… A ce titre, il est important que l’assureur crédit adapte ses produits à la stratégie export de l’entreprise, avec une offre aussi bien pour la PME qui exporte vers un pays tiers que pour les grands groupes multinationaux avec de nombreuses filiales à l’étranger. L’affacturage peut également jouer un rôle dans cet accompagnement, notamment dans certains pays où les durées de paiement sont très longues et nécessitent, pour protéger sa trésorerie, de céder ses factures à un factor. Les entreprises peuvent aussi recourir, dans leur développement à l’export, à des aides publiques et parapubliques (Direction générale des douanes, Chambres de commerce internationales, BPI…). Comme toute crise, celle que nous traversons actuellement offre des opportunités notamment à l’international, mais il convient d’être bien accompagné !
Alice de Brem : L’enjeu 2021 des entreprises exportatrices, et de celles qui souhaitent le devenir, consistera à saisir les opportunités qui seront créées par la dynamique de reprise tout en limitant l’exposition de la trésorerie au risque d’impayés. Les débouchés commerciaux en 2021 en Union européenne viendront vraisemblablement d’Allemagne, de Belgique, d’Espagne et d’Italie. Mais parallèlement à cela, on prévoit une hausse des défaillances en 2021 de l’ordre + 5 % en Allemagne, + 73 % en Italie et + 20 % en Espagne. Il va y avoir de la demande et des opportunités mais également une augmentation sensible voire très sensible du risque de défaillance du partenaire commercial, et donc du risque de non-paiement des créances. Un contexte qui rend essentiel le rôle de l’assurance crédit et de ses trois piliers : prévention, recouvrement de créances et indemnisation pour préserver la trésorerie.
Jean-Christophe Batlle : L’important, lorsqu’une vente à l’export est réalisée, c’est sa conversion en cash. Le redémarrage de l’économie que nous attendons ne veut pas dire que les risques s’estompent, bien au contraire. Cela signifie que les 130 000 exportateurs français vont devoir reprendre leur activité export habituelle avec un accompagnement optimal, délivré notamment par des assureurs crédit. Nous porterons également une attention particulière aux primo-exportateurs qui ne pourront pas affronter seuls toutes les difficultés liées au commerce international.
Benoît Carteron : Nous avons une forte pression du service commercial pour repartir sur les mêmes niveaux de volumes que ceux d’avant-crise, ce qui n’est pas toujours envisageable car certains clients ont bénéficié de soutiens financiers tels les PGE qu’ils vont devoir rembourser. D’autres ont eux-mêmes eu des difficultés pour se faire payer ou nous ont demandé des prorogations d’échéances. Il est donc très difficile de repartir sur les mêmes schémas que précédemment. D’une part, nous avons des entreprises qui fonctionnaient bien avant la crise et avec lesquelles nous sommes moins réticents, et d’autre part, des entreprises zombies qui ont survécu à la crise mais avec lesquelles nous devons rester extrêmement vigilants. A cet effet, nous recourons à l’assurance crédit. Si les garanties accordées ne sont pas suffisantes, nous demandons une garantie complémentaire aux clients, ou alors nous modifions les délais de paiement pour obtenir le maximum d’acomptes à la commande afin de rester dans la limite de ce que nous octroie l’assurance crédit. Nous allons également recourir, si c’est nécessaire et de manière un peu plus systématique, à du crédit documentaire, lettre stand-by ou encore garanties bancaires. La sécurisation du poste client à l’export est plus que jamais au cœur de nos préoccupations.