Dans la dimension réglementaire et statutaire des opérations de la direction financière, l’heure est maintenant venue pour les directions financières de placer au second plan les sujets transactionnels pour se concentrer sur le pilotage et les activités à valeur ajoutée. Les technologies pour digitaliser et automatiser ces processus transactionnels sont désormais arrivées à maturité. Il est maintenant urgent de mettre en place la gouvernance, les budgets, la vision qui vont permettre à la direction financière de devenir une direction de la décision, de se concentrer sur des sujets de valeur et de pilotage par la data. Le point sur ces technologies.
La transformation digitale de la fonction finance s’est considérablement accélérée depuis la crise Covid. « Le cloud, la dématérialisation des processus et la digitalisation des documents, qui étaient déjà une tendance de fond, continuent de se renforcer au sein des directions financières, constate Christophe Adam, product marketing manager chez Sage. Elle est en effet portée par le développement du télétravail et du travail à distance, et donc du besoin d’accéder à sa solution de gestion au quotidien pour l’ensemble des collaborateurs mais également d’avoir des outils de collaboration ; la cybersécurité et le besoin de disposer d’une solution qui soit toujours à jour ; la réglementation qui pousse à la dématérialisation, telle que le passage à la facturation électronique, etc. » « Parallèlement, la direction financière se positionne de plus en plus comme une direction transverse sur des sujets de pilotage financier et extra-financier pour faire le lien entre le pilotage financier et le pilotage des opérations, ajoute pour sa part Xavier Gardies, associé June Partners. A ce titre, elle devient une direction de la décision qui devra gérer des données allant au-delà de la finance. »
Le cloud, garant de l’agilité des directions financières
La migration vers le cloud s’est ainsi largement accélérée ces dernières années. Il s’agit avant tout d’un modèle d’accès à distance à des ressources informatiques qui repose sur le principe de l’économie de la fonctionnalité. Ses apports sont nombreux, aussi bien pour les directions de systèmes d’information que pour les métiers : hyper-mutualisation des ressources, consommation à l’usage, capacité à tenir les montées en charge, scalabilité, résilience, agilité… Un logiciel en cloud public est facile à utiliser et offre de très nombreuses fonctionnalités. « Le cloud public permet de mettre en place des fonctions très rapidement, répondant ainsi aux besoins de réactivité et d’agilité des entreprises face aux évolutions du marché, précise Pierre Gueguen, CEO d’Ubister. Une solution en cloud public est également “scalable” : elle est capable de répondre à l’évolution des besoins fonctionnels de l’entreprise (vente ou achat de filiale, lancement de gammes…). Enfin, le coût total de possession d’une solution dans le cloud est particulièrement intéressant. » « Lorsque nous avons basculé vers un ERP cloud, nous avions pour attente la disponibilité, l’accessibilité, la redondance, la sécurité des données, et nous voulions qu’elles soient hébergées sur des serveurs en Europe, témoigne ainsi Benoît Sauvage, head of finance, Enterome. Autant de défis auxquels répond l’ERP retenu. Ce dernier nous permet de travailler à distance, d’intégrer notre filiale aux Etats-Unis simplement mais également de suivre tous les engagements et projets de l’entreprise. » Avec le cloud, il est ainsi possible de faire des outils plus simples, plus communicants, qui offrent plus de services d’interrogation et de pilotage.
La finance, temple de la data
La valeur ajoutée de la finance va de plus en plus s’articuler autour de sa capacité à tirer toute la quintessence des datas. La qualité de la donnée est alors primordiale. « A partir du moment où l’entreprise porte un risque, nous sommes forcément très attentifs à la qualité de la donnée et à sa mise à jour, précise à ce sujet François Mirroir, directeur services d’information de Coface Europe de l’Ouest. Pour un assureur crédit tel que Coface, cette qualité de la donnée est essentielle pour mesurer le risque des acheteurs de nos clients et le suivre dans le temps. A cet effet, nous nous appuyons sur la collecte automatique d’informations sur les entreprises mais également sur le travail de nos experts chargés, notamment de récupérer de la donnée directement à la source, auprès des entreprises. » Un certain nombre de processus permettent ensuite de traiter la donnée, via des outils tels que les ERP. « Dans l’entreprise, l’ERP est le réceptacle de données issues soit des utilisateurs, via par exemple des outils de mobilité, soit des technologies comme la blockchain, l’IoT, la robotisation de la facture électronique, précise Christophe Adam, product marketing manager chez Sage. L’ERP va ensuite permettre de structurer et exploiter cette donnée. » Pour exploiter cette donnée, il faut également construire des indicateurs pertinents, des reportings, des analyses. « Même si nous sommes pleinement conscients que la data fait partie de notre quotidien, près de trois quarts des managers, des dirigeants d’entreprises ne savent pas comment s’y prendre pour la traiter, constate pour sa part Jean-Baptiste Merel, directeur des offres, Report One. Or, on ne maîtrise que ce que l’on mesure. La business intelligence permet de construire des instruments de mesure et surtout de les partager auprès des collaborateurs. Une fois maîtrisée la mesure de la donnée, il convient également de se créer des limites ou des référentiels. Il s’agit également de l’une des vertus des tableaux de bord. Ils permettent de diffuser de la donnée mais aussi d’alerter. »
L’interopérabilité indispensable pour exploiter les datas
La mise en musique de l’ensemble de ces outils et processus propres à exploiter la donnée nécessite que les systèmes d’information et solutions utilisés par les entreprises soient interopérables. « La digitalisation des processus financiers ne passe pas que par le choix des outils, précise pour sa part Xavier Gardies, associé June Partners Il faut également mettre en place une architecture IT et une architecture data qui permettent de supporter les processus du début à la fin sans discontinuité et d’échanger et piloter les données financières et extra-financières. L’interopérabilité est aujourd’hui indispensable dans le contexte technologique et de gouvernance des systèmes d’information et de la data. »
L’intelligence artificielle reste pragmatique dans les directions financières
L’exploitation des données financières peut également être optimisée par des technologies d’intelligence artificielle. Ces dernières permettent de s’adapter à un environnement et de prendre des décisions, de reproduire des fonctions cognitives humaines. Ce n’est d’ailleurs pas nouveau, mais cela continue de progresser. « Dans la finance, cette technologie facilite par exemple le rapprochement des comptes bancaires, des comptes clients, des comptes fournisseurs, l’analyse des créances clients par le risque avec des systèmes d’IA qui permettent de définir quels sont les clients à relancer en priorité, quels sont ceux qu’il n’est pas nécessaire de relancer au regard de leurs habitudes de paiement », explique Xavier Gardies. « L’utilisation de l’IA dans nos solutions reste pour le moment très pragmatique, souligne néanmoins Christophe Adam. Il s’agit davantage de contrôles intelligents apportés par des algorithmes, de détection d’erreurs de saisie ou d’optimisation en termes par exemple d’approvisionnement de matières premières… »
Facturation électronique : le grand chantier des DAF
Les réglementations contribuent également à la digitalisation de la fonction financière. C’est notamment le cas de la réforme sur la facturation électronique. « La facturation électronique est un processus de dématérialisation totale des factures avec des cycles de vie existants, des partages de datas entre les acteurs, les entreprises, les fournisseurs, les clients, l’Etat, qui auront vocation à faire fonctionner en synergie un système d’applications pour lutter contre la fraude, et notamment la fraude à la TVA, précise néanmoins Guillaume Rejou, directeur marketing produit-BU finance de Cegid. Compte tenu du nombre d’entreprises concernées par ce processus, un calendrier de mise en place de la facturation électronique a été créé. » Aujourd’hui, le calendrier de passage à la facturation électronique est connu de la plupart des entreprises. Sur la réception des factures, en entrée dans les systèmes, toutes les entreprises assujetties à la TVA vont être concernées à partir du 1er juillet 2024. Ensuite, les entreprises, en fonction de leur taille, devront progressivement mettre en place, sur la partie émission de facture, un dispositif de transfert vers la plateforme publique de l’Etat ou via des plateformes privées de dématérialisation partenaires (PDP), toute la documentation qui aura vocation à transiter dans les systèmes, à être modifiée, à avoir des statuts différents, etc. « La mise en place de cette réforme va nécessiter pour les entreprises qu’elles connaissent parfaitement leurs métiers, leurs activités, leurs flux de factures et qu’elles mettent en place le dispositif réglementaire pour passer les échéances qui sont dictées, ajoute Guillaume Rejou. A cela s’ajoute une obligation d’archivage à valeur probante de la facture. D’autre part, plusieurs statuts de la facture devront obligatoirement également être renseignés : facture déposée, rejetée, refusée et encaissée. Enfin, cette réforme comprend la transmission à l’administration fiscale de données d’e-reporting. »
De la contrainte aux opportunités
Si cette nouvelle réglementation va impacter les structures des entreprises, elle présente également des opportunités. « Elle va contribuer à la réduction de la charge administrative, à avoir un meilleur suivi des délais des paiements, à l’automatisation et l’optimisation des processus de facturation, à l’archivage légal, etc. précise Grégory Mignon, senior product evangelist chez Yooz. Elle permettra une meilleure traçabilité de la facture ainsi qu’un meilleur accès et suivi des processus de facturation améliorant la relation commerciale. Elle facilitera également la collaboration entre les différentes parties prenantes de la chaîne de facturation. » En fonction de la plateforme de dématérialisation retenue (PDP, OD), l’entreprise pourra également bénéficier de services additionnels, tels que relance client, contrôle de pérennité, scoring fournisseurs, coffre-fort légal, documentaire contrôle de solvabilité des clients, etc.
Comment se mettre en ordre de marche ?
Pour se mettre en ordre de marche, les entreprises doivent réaliser un état des lieux de leurs processus actuels de facturation et de gestion de la TVA, déterminer un cahier des charges de la solution envisagée, réaliser un benchmark des solutions du marché, en choisir une en fonction des besoins et démarrer une phase de test, avant 2024. Ensuite, il faut faire une revue des résultats du test, corriger et mettre en production la solution qui s’interopérera avec l’administration. Au milieu de toutes ces phases de test, il y a un enjeu de données. Cette donnée doit être contrôlée avant son enregistrement sur la plateforme publique. « A cet effet, il va falloir que les entreprises regardent leurs bases de données clients et fournisseurs, vérifient qu’elles disposent de toutes les données légales obligatoires, qu’elles se mettent en conformité avec cette réforme, indique de son côté Vanina Chevallier, responsable de marché SY by Cegedim. C’est également l’occasion d’identifier les données métiers qui ne sont pas prévues dans les données obligatoires nécessaires au portail de l’Etat. Les entreprises peuvent également capitaliser sur cette réforme pour globaliser leur projet, à savoir mener un projet unique pour la facturation entrante et la facturation sortante, afin d’optimiser notamment la phase d’interface, d’IT, etc. Enfin, mieux vaut une personne qui, en interne, porte le projet. »
La digitalisation des paiements
Si elle peut être un sous-jacent de la facturation électronique la digitalisation des paiements est également un enjeu à part entière pour la finance d’entreprise.
Le sujet de la digitalisation des paiements est très vaste et touche un écosystème extrêmement large. Il soulève également différents enjeux. « Du côté des professionnels, nous constatons une volonté d’être en capacité de proposer des paiements qui s’intègrent aux besoins de l’entreprise souligne Julien Lasalle, chef du service de surveillance des moyens de paiement scripturaux de la Banque de France. Le règlement en temps réel via le virement instantané et la sécurité des paiements sont également des tendances de fond sur le sujet de la digitalisation des paiements. » Des tendances qui se sont renforcées depuis la crise Covid, ce qui a obligé les entreprises à s’adapter, notamment au travail nomade et à distance. « Dans ce nouvel environnement de travail, elles ont également dû s’habituer au paiement à distance, précise Corinne Moulin, director senior payment expert Europe de Swift. Nous observons d’ailleurs une augmentation des flux. Au sein de la communauté Swift, les principales préoccupations actuelles portent également sur la sécurité des paiements transfrontières ainsi que sur la nécessité de tracer en temps réel les paiements et d’en avoir la confirmation. Beaucoup d’enjeux rejoignent par ailleurs le paiement instantané et notamment des enjeux de validation. Les sujets d’interopérabilité dans un environnement de développement des infrastructures de marché sont également prépondérants. »
La gestion des risques, sous-jacent de la sécurité
D’autre part, les entreprises aujourd’hui se confrontent à de nouvelles manières de vendre, de nouveaux canaux de distribution, dont la vente en ligne et à distance, qui soulèvent la question du risque client, dès lors qu’elles proposent un paiement différé. « Dans le BtoB, pour permettre à des acheteurs de payer à distance, les entreprises vont se doter de moyens de paiement appropriés avec des solutions qu’elles viennent intégrer dans leurs ERP, dans leurs plateformes de vente en ligne, avec une brique qui leur permet de faire l’acquisition du paiement auprès de leurs acheteurs, souligne Mickaël De Sa, chief digital officer chez Allianz Trade. Au travers des solutions de paiement, elles ont la possibilité de proposer à leurs clients un paiement différé. A cet effet, elles ont néanmoins besoin d’analyser en temps réel le risque. Une démarche dans laquelle Allianz Trade peut les accompagner. Nous travaillons en effet avec des acteurs du paiement pour qu’ils embarquent dans leur système des solutions d’assurance apportant des réponses instantanées sur la partie risque client ». La vente en ligne soulève également la question du risque de fraude. L’évolution de la régulation et les solutions qui sont rapportées aujourd’hui sur le marché par des acteurs spécialisés, notamment dans l’open banking, dans la capacité à lire les comptes bancaires des entreprises pour pouvoir vérifier qui elles sont vraiment, commencent à sécuriser les transactions.
La blockchain arrive à maturité
En matière de sécurité des opérations, la finance peut également recourir aux blockchains. Elles ont pour propriétés la rapidité (instantanéité) des opérations, la traçabilité, la transparence, la non-répudiation, la disponibilité 24/7, leur coût peu élevé en fonction des différentes blockchains et surtout, elles ont un caractère de programmabilité. « Les travaux déjà menés au sein de la Banque de France sur le sujet des blockchains ont permis de démontrer, sur le plan technique, que ces blockchains avaient atteint un niveau de maturité suffisant pour gérer des mécanismes monétaires et opérer un moteur de règlement capable de réaliser des processus de type règlement, livraison ou paiement transfrontière, avec un certain nombre de mécanismes d’optimisation, souligne Frédérique Faure, head of blockchain à la Banque de France. Ils ont également permis de démontrer que les technologies blockchain permettent de réduire de manière drastique les délais d’un certain nombre de processus, notamment celui de règlement livraison. » Les blockchains offrent par ailleurs une importante efficacité opérationnelle. « Par exemple, quand il s’agit d’investir une part de fonds ou de distribuer une part de fonds, la démarche est compliquée pour les sociétés de gestion, notamment lorsqu’il s’agit d’acheter ou d’investir à l’étranger mais aussi parce que les infrastructures techniques sont vieillissantes, précise Christophe Lepitre, CEO d’Iznes. Iznes est né de ce constat. Nous avons bâti grâce à la blockchain, une place de marché pour les parts de fonds au primaire. Nous l’avons fait de manière que les investisseurs aient un canal direct de communication avec la société de gestion. C’est totalement digital et désintermédié : cela permet de directement souscrire au registre de la société de gestion. » A terme, la blockchain pourrait être utilisée pour des opérations liées au cash management, pour la gestion des cash poolings, pour la gestion de la liquidité, etc.