Les récentes décisions sur le traitement fiscal des gains de package conduisent à dresser un état des lieux inquiet et à s’interroger sur le devenir de ces instruments pourtant consubstantiels aux opérations de buy-outs qui constituent désormais une voie privilégiée à la transmission des entreprises, synonyme de pérennité de l’emploi, de transfert des savoir-faire et de vitalité du tissu économique.
Un environnement économique qui impose le recours aux titres ratchet dans les buy-outs (1)
Un premier constat s’impose tenant au fait que les BSPCE et le contrat de partage de plus-value institué par la loi Pacte sont inadaptés aux opérations de buy-outs ; quant aux actions gratuites, même structurées sous forme d’AGADP (d’actions de préférence), elles sont tout au plus un outil dédié aux managers de cercle 2, outre que les restrictions légales à leur volume global (10 % ou 15 % du capital, le volume de 30 % demeurant tout théorique compte tenu de la règle d’écart d’allocation de 1 à 5 pour tous les salariés) restreignent leur champ d’utilisation.
A certains égards, on peut considérer que l’arsenal juridique existant est relativement bien adapté à la structuration de plans d’actionnariat salarié traditionnels conçus comme un complément salarial, mais non aux opérations de buy-outs.
Seuls les titres ratchet (sous forme de BSA ou d’ADP), souvent combinés à des ADP miroirs et à des procédés de sweet equity financés par les sponsors et (parfois) les cédants, permettent véritablement d’aligner les intérêts entre des managers et les autres associés, et de tenir compte de la spécificité des LBO nécessitant le recours au levier bancaire et associant des investisseurs professionnels dotés de moyens conséquents à des dirigeants et salariés opérationnels sans la présence active desquels ce type de transmission ne peut prospérer.
Un traitement fiscal incertain
Les décisions du Conseil d’Etat rendues en formation plénière le 13 juillet 2021 ont suscité beaucoup de commentaires. Ce n’est pas le lieu ici d’en faire la synthèse, mais force est de constater que si une prise de risque actionnarial reste exigée des managers (ce qui est au demeurant légitime et impose une évaluation financière robuste des divers outils à l’émission), la requalification fiscale des gains de package en traitements et salaires est hélas facilitée par les exigences (elles aussi pourtant légitimes) des établissements de crédit et des sponsors financiers reportées dans la documentation juridique imposée à des managers minoritaires (consistant en des règles de vesting, des clauses de leaver en cas de départ de managers ou de sortie forcée imposant une discipline actionnariale pour permettre une cession de 100 % du capital de sociétés non cotées…) : la bonne fin d’un buy-out repose sur cette dialectique incitations/contraintes proposée aux managers, c’est une vision caricaturale que de résumer les LBO à des opérations de pure spéculation financière pour cadres dirigeants.
Et il est pour le moins regrettable de relever sous la plume de certains rapporteurs publics une réelle méconnaissance de la réalité financière du partage de la valeur actionnariale (confondue avec de simples mécanismes de rétrocession) : les instruments de package sont des produits dérivés, au profil de gain convexe, qui ne délivrent de valeur à leurs porteurs qu’une fois satisfaits les impératifs de remboursement des tranches de dettes (senior, junior) et de rendement prioritaire de titres juniors (actions ordinaires, ADP à taux) détenus par les sponsors… Ce qui signifie qu’en dessous de certains seuils de performance (exprimée en TRI et/ou en multiple) les titres de ratchet sont dénués de valeur et se traduisent par une perte actionnariale pour les managers. Réalité trop souvent méconnue : si les gens heureux n’ont pas d’histoire pour Tolstoï, il n’en va pas de même en matière de management packages où seuls les dénouements heureux donnent lieu à une histoire fiscale ou sociale, occultant les très nombreux management packages dénués de valeur finale dont la littérature sur les buy-outs ne dit mot.
Une piste de mise en cohérence – L’alignement du régime des titres ratchet de droit commun avec celui des parts ou actions de carried interest (2)
Au fil du temps, un hiatus incompréhensible s’est installé entre deux mécanismes rigoureusement analogues quoique dotés de régimes fiscaux et sociaux respectifs bien distincts.
Le carried interest est dédié aux managers et salariés de véhicules professionnels d’investissement (FPCI, SCR, SLP, FCPR, FIP, fonds européens, etc. Voir BOI-RPPM-PVBMI-60-10 du 22 juin 2020) pour lesquels il est l’équivalent des outils de management package des salariés et dirigeants d’entreprises sous LBO ; et au demeurant, ces deux populations investissent in fine dans les mêmes entreprises, les premiers via un véhicule financier dans holdco, les seconds via la même holdco ou indirectement au travers d’une manco de managers.
S’agissant du carried, le principe est qu’une fois remboursé aux sponsors du fonds le nominal de leur souscription augmenté d’un hurdle (rendement prioritaire oscillant entre 5 et 6 %), les titulaires des parts ou actions de carried appréhendent généralement 20 % de la plus-value nette restante. La loi fixe les conditions pour bénéficier de ce carried (dont le fait, pour leurs attributaires, de percevoir une rémunération normale imposée en salaires) ainsi encore que leur prix de souscription (correspondant au maximum à 1 % du total des fonds levés, ramené à 0,5 % pour la fraction des fonds supérieure à 1 milliard, voire même seulement 0,25 % pour les véhicules financiers dédiés à l’investissement dans les PME). Et si l’on ajoute que les attributaires de carried peuvent souscrire ou acquérir leurs titres via une société ad hoc (qui peut recourir à l’endettement), et que les règlements des structures les employant contiennent des clauses de leaver, on comprend que l’analogie avec les titres de package ordinaire est totale.
A ceci près toutefois, et nous l’avons démontré, qu’en premier lieu le prix (légalement fixé à 1 % ou 0,5 % voire 0,25 % des fonds levés) acquitté pour les titres de carried est singulièrement moins élevé que celui supporté par les managers de droit commun pour leurs titres de package (la valorisation des ADP ratchet représentant plutôt 6 à 10 % du sous-jacent selon la volatilité de ce dernier), qu’en second lieu les seuils de déclenchement des titres de carried se situent entre 1,3 et 1,4 contre 2 et plus pour les titres de management package, et qu’en dernier lieu le régime fiscal des gains de carried est clairement plus attractif que celui résultant des récentes positions du Conseil d’Etat : sous réserve de respecter les quelques conditions légales, les gains issus des titres de carried sont imposés comme des plus-values sur cession de valeurs mobilières (au PFU + PLS à 30 % ou, sur option, au barème progressif de l’IR, voir articles 150 0 A II 8° & 9° et 163 quinquies C II du CGI) et non en traitements et salaires.
Une assimilation du régime d’imposition des gains issus des titres de ratchet détenus par les managers de droit commun, à celui des titres de carried, est hautement souhaitable et justifié : cela mettrait fin à l’incertitude fiscale et sociale qui règne et pénalise les transmissions sous LBO, sans bouleverser des régimes fiscaux spécifiques (notamment ceux applicables aux gains en PEA ou PEA PME) dont sont déjà exclus les titres de carried (puisque notamment les ADP et BSA ne peuvent être inscrits en PEA), tout en ayant le mérite d’aligner les deux catégories de titres (carried interest/ratchet des packages ordinaires) souscrits, rappelons-le, par des personnes physiques ayant investi exactement dans les mêmes cibles.
Le cabinet AdWise
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Soucieux d’accompagner nos clients dans tous les moments de la vie des affaires, certains de nos avocats ont une pratique réputée en matière de gestion précontentieuse et contentieuse des différends inhérents aux opérations de transmission, qu’il s’agisse de litiges entre associés, de traitement amiable et judiciaire des difficultés des entreprises, de restructuration d’entreprises en retournement.
1. Voir J.-L. Médus, « LBO, buy-outs et transmission d’entreprises (aspects financiers, juridiques et fiscaux) », Ed. BoD 2021.
2. Voir « Gains de management package : il faut que tout change pour que rien ne change », Rev. Droit Fiscal, janvier 2022 n° 4.