Si le capital humain est plus que jamais décisif dans la réussite ou l’échec d’une aventure entrepreneuriale, l’incertitude sur les prélèvements obligatoires afférents aux retours sur investissement des personnes physiques dans les opérations de LBO est de nature à dissocier les intérêts des entrepreneurs et des sponsors financiers ; voire à affaiblir considérablement le private equity en France.
Une nouvelle grille de lecture de l’administration fiscale
Sans conteste, la nouvelle grille de lecture du Conseil d’Etat n’étonne que ceux qui n’avaient pas encore pris conscience des risques grandissants d’établissement d’un lien entre l’activité salariée du manager et son statut d’actionnaire prenant part au capital d’une société dans laquelle il croit et qu’il souhaite voir progresser.
En effet, depuis l’arrêt Gaillochet rendu par le Conseil d’Etat en 2014, nombreuses sont les juridictions civiles et administratives à avoir suivi les arguments de l’administration fiscale pour requalifier des gains de cessions de titres en gains d’activité, au prétexte notamment que l’investisseur était salarié ou dirigeant de la société dont il cédait les titres. Ce marqueur de « salarié » n’était fort heureusement pas suffisant à lui seul pour justifier ces redressements. Certaines juridictions considéraient parfois comme déterminant le fait que l’investissement initial était suffisant pour qualifier le retour sur investissement de revenus de capitaux mobiliers ou de plus-values ; d’autres dénonçaient l’absence de prise de risque capitalistique : l’investisseur risquait-il vraiment de perdre son investissement ?
La variété et la multiplication des solutions fiscales jurisprudentielles confirmant ou infirmant les requalifications de gains de cession en salaires n’ont eu pour autre conséquence que d’augmenter l’insécurité juridique des investisseurs.
Sans aucun doute, les trois arrêts rendus par le Conseil d’Etat le 13 juillet 2021 ne sont pas passés inaperçus. Faisant table rase du passé, n’en déplaise à certains commentateurs, le Conseil a présenté sa nouvelle grille d’analyse des management packages, désormais adoptée dans plusieurs arrêts récents (CE 17 novembre 2021 n° 439609, CE 28 janvier 2022 n° 433965).
L’objet de la présente chronique n’est pas de produire un énième commentaire sur ces arrêts mais de mettre en lumière certains de leurs enseignements.
Le premier enseignement que l’on peut tirer de cette grille d’analyse est l’utilisation de la méthode du faisceau d’indices pour caractériser le gain réalisé en revenu d’investissement ou en gain d’activité. Il nous semble particulièrement incertain à ce stade que cette méthode apporte de la sécurité juridique et permette aux personnes physiques de connaître ab initio le régime fiscal s’appliquant à leur investissement. Selon nous, elle ne devrait pas permettre à l’administration fiscale de multiplier les redressements sans discernement, sauf à considérer que ces arrêts constitueraient une présomption irréfragable de qualification des revenus d’investissement en gain d’activité. Ce qui, convenons-en, irait au-delà de la méthode présentée par le Conseil d’Etat en assemblée plénière fiscale. La haute juridiction a pris soin de placer les juridictions du fond au centre du débat, les conduisant ainsi à définir les indices qui permettent de qualifier le gain d’entrée et/ou de sortie en revenu d’investissement ou en gain d’activité.
Le second enseignement correspond à la distinction par le Conseil d’Etat de deux gains (gain à l’entrée et gain à la sortie) analysés de manière distincte. Cela met fin à toute tentative de l’administration fiscale de redresser partiellement un gain en rémunération à la sortie au prétexte que l’investissement à l’entrée a été réalisé à une « valeur modique » ou en raison d’un multiple trop élevé. Il est à souhaiter que les juridictions veillent au respect du contradictoire et ne prononcent, à l’occasion du contrôle juridictionnel des procédures fiscales, un second redressement sans respect des droits de la défense.
Par ailleurs, les juridictions du fond auront certainement à préciser dans quelles mesures des indicateurs purement financiers, tels que le retour sur investissement d’un actionnaire (TRI), constituent ou non des éléments en faveur de la requalification d’un revenu d’investissement en revenu d’activité.
Le troisième enseignement que l’on peut tirer est qu’à ce stade, les éléments retenus par le Conseil d’Etat à charge sont majoritairement des indices illustrant « la main de l’employeur », sans prise en compte des nombreux indices liés à la réalité juridique qui sont à la main de l’actionnaire majoritaire. Par exemple, il est courant pour les investisseurs minoritaires de structures non cotées de ne pas pouvoir disposer de leurs titres sans accord préalable de l’actionnaire majoritaire, quelle que soit la technique juridique utilisée, sans pour autant que cela ait un lien quelconque avec leur activité salariale.
Sans prétendre à l’exhaustivité, on doit sans doute dégager deux moyens d’actions juridiques sans présager de ce que fera ou non le législateur et de ce que commentera ou non l’administration fiscale.
Face aux incertitudes de marché, l’actionnariat salarié reste la clé de voûte
L’accélération du recours aux différents outils d’actionnariat salarié ne fait plus de doute.
On observe ainsi une accélération de ce changement de paradigme, avec notamment la mise en place de schémas d’actionnariat salariés encadrés.
Les régimes d’actionnariat salarié dits « qualifiés » (parce qu’ils respectent certaines conditions du Code de commerce) impliquent l’application d’un régime fiscal clair, qui fait la distinction entre, d’une part, les gains d’acquisition des titres, et d’autre part, les plus-values de cession. On entend ici les régimes d’attributions gratuites d’actions et de stock-options qualifiés. La qualité de salarié est d’ailleurs l’une des conditions essentielles permettant de bénéficier de ce régime. Outre son régime fiscal de faveur, l’actionnariat salarié « qualifié » permet, contrairement à la majorité des régimes similaires étrangers, un différé d’imposition des gains à la cession (et non en partie à l’acquisition/l’exercice).
Il ne serait donc pas étonnant de voir se redévelopper dans les prochaines années la pratique des stock-options qui avait quasiment disparu depuis la mise en place de la loi Macron relative aux attributions gratuites d’actions en 2015.
En revanche, nous sommes plus circonspects sur l’utilité d’engager des procédures de rescrits en matière de management packages. Sur la base des arrêts du Conseil d’Etat, l’administration fiscale disposera d’éléments à charges en faveur d’une qualification en gain d’activité qu’elle retiendra certainement. En revanche, il n’est pas certain qu’elle aille jusqu’à valider les éléments à décharge, favorables à la qualification en revenu d’investissement, avant que les juridictions se soient saisies de la question. Sauf, à ce que les précisions tant attendues depuis l’arrêt Gaillochet de 2014 ne soient enfin données au contribuable.
Ces arrêts rendent plus délicat la recherche de convergence entre l’intérêt des investisseurs minoritaires et des investisseurs majoritaires vers un même objectif : prendre part à la croissance d’une société tout en sécurisant le dispositif d’investissement mis en place.
Plus que jamais, les investisseurs individuels et financiers doivent comprendre que leurs intérêts ne sont pas opposés, et qu’ils doivent travailler de concert dans la mise en place de ces dispositifs utilisés dans tous les Etats comparables par nos concurrents et partenaires commerciaux.
Peser et interpréter les éléments du faisceau d’indices : du régime fiscal au régime social
Le Conseil d’Etat invite les contribuables à peser les différents éléments du faisceau d’indice pour considérer si le gain réalisé est un revenu d’investissement ou un gain d’activité, alors que la Cour de cassation semble ignorer pour le moment qu’il puisse y avoir un revenu d’investissement. On peut se demander quelles seraient les caractéristiques d’un revenu sans lien avec l’activité salariée dans le cadre de la jurisprudence de la Cour de cassation.
A l’instar des juridictions administratives en matière fiscale, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rendu, le 4 avril 2019, un arrêt important en matière d’assujettissement aux cotisations sociales de l’avantage issu de bons de souscription d’actions (BSA) souscrits par des salariés de la société.
Nous pouvons légitimement avoir des doutes sur la compatibilité des moyens juridiques retenus par la Cour de cassation d’une part et par le Conseil d’Etat d’autre part, qui constituent une source indéniable d’insécurité juridique pour le contribuable.
Si le Conseil d’Etat invite les contribuables à peser les différents éléments du faisceau d’indice pour considérer si le gain réalisé est un revenu d’investissement ou un gain d’activité, la Cour de cassation semble ignorer, pour le moment, qu’il puisse y avoir un revenu d’investissement. En présence d’un faisceau d’indices favorables à une imposition en revenu d’investissement, on s’interroge sur la possibilité d’un redressement social du même revenu.
Là où la Cour de cassation se refuse, à ce jour, de valider qu’il puisse y avoir un revenu d’investissement, le Conseil d’Etat distingue en réalité deux gains : un gain à l’entrée et un gain à la sortie, et s’en remet au faisceau d’indices pour déterminer si les gains à l’entrée et/ou à la sortie constituent un revenu d’investissement ou un gain d’activité. Cette double analyse gain par gain menée par le Conseil pour déterminer les régimes fiscaux applicables se confronte à l’analyse de la Cour de cassation, qui en l’état, semble indiquer que le lien avec l’employeur serait suffisant pour assujettir les gains d’actionnariat à charges sociales. Nous avons pu constater que ces enjeux sont connus de la majorité des acteurs du private equity, qu’il s’agisse de fonds d’investissement, de sociétés ou encore des investisseurs individuels.
Souhaitons donc que les régulateurs fassent preuve de pragmatisme et prennent soin d’encourager fiscalement et socialement les investisseurs personnes physiques à investir et à participer en France à ces opérations nécessaires et indispensables au tissu économique national.
Questions à…Nicolas Meurant
Comment définiriez-vous la signature de votre cabinet ?
Un cabinet pluridisciplinaire disposant d’une forte dimension internationale grâce au réseau Deloitte.
Quelles sont les particularités de votre département et quelles sont
vos gammes de service ?
Nous accompagnons les entreprises et leurs dirigeants dans la définition, la mise en place et l’optimisation de mécanismes de rémunération, de prise de participation et d’intéressement des dirigeants et top managers.
Nous avons trois principaux domaines d’expertises : l’actionnariat salarié, le management package et la stratégie patrimoniale des dirigeants d’entreprises.
Quelles sont les évolutions notables en matière de management package ?
Nous constatons deux évolutions notables :
– l’attention grandissante des autorités sociales sur les managements packages.
– la nouvelle grille de lecture établie par le Conseil d’Etat pour qualifier des gains issus de dispositifs de management package.
Comment accompagnez-vous vos clients ?
Aussi bien sur le design de management package que sur de la revue et de la sécurisation de packages existants, et le cas échéant, sur de l’assistance au contrôle fiscal et Urssaf, ainsi que sur les contentieux juridictionnels.