Interview - Bertrand Rambaud, président de France Invest

« Les négociations avec les fonds sont un peu moins favorables aux dirigeants qu’il y a un an »

Publié le 23 octobre 2023 à 8h30

Coralie Bach    Temps de lecture 6 minutes

Ralentissement des investissements et des levées, opportunités et risques liés à l’ouverture du capital-investissement aux particuliers, ou encore concentration des opérations sur certains secteurs, le président de France Invest, Bertrand Rambaud, revient sur les grands enjeux du private equity français.

Après plusieurs années d’euphorie, le marché du capital-investissement connaît un changement de cycle. Quelles évolutions constatez-vous depuis le début d’année ?

Bertrand Rambaud, président de France Invest : La période est plus contrastée que ce que nous avons connu ces dix dernières années. Nous assistons à un ralentissement du marché, mais pas à un arrêt. Le bilan d’activité du premier semestre 2023, publié par France Invest, montre des investissements qui résistent dans les small et mid markets, en particulier dans les territoires, malgré le ralentissement des opérations de grande taille, et qui demeurent même très dynamiques par rapport à des moyennes de plus long terme. Les levées de fonds reviennent à leur niveau d’avant-Covid (8,1 milliards d’euros au premier semestre 2023 contre 8,7 milliards d’euros en moyenne entre le premier semestre 2016 et le premier semestre 2020), avec l’absence de véhicules ayant collecté plus de 1 milliard d’euros. La comparaison avec l’année 2022, qui a bénéficié d’un effet rattrapage de la période Covid, accentue le retrait ressenti sur le semestre.

Pensez-vous que ce ralentissement va se poursuivre ces prochains mois ?

S’il est évidemment difficile de faire des projections, plusieurs points me semblent positifs. Tout d’abord, le dry powder, autrement dit l’argent déjà collecté par les fonds et donc disponible pour les investissements, est important : nous avons les moyens de continuer à soutenir l’économie. Ensuite, même si l’absence de visibilité sur la hausse des taux d’intérêt et l’effet dénominateur (la baisse des valeurs cotées augmentant mécaniquement le poids du private equity dans les portefeuilles) freine leurs allocations, nous continuons de percevoir un appétit des investisseurs institutionnels pour le capital-investissement. La dynamique de souscription redeviendra probablement plus forte lorsque les taux se seront stabilisés. Par ailleurs, l’étude montre que les souscriptions des clients particuliers fortunés et family offices, qui n’ont pas les mêmes contraintes que les investisseurs institutionnels, se stabilisent à un niveau très élevé, ce qui témoigne d’une confiance pour le potentiel de la classe d’actifs.

Les fonds d’investissement sont en effet de plus en plus nombreux à cibler les épargnants individuels, via l’assurance-vie notamment. Mais l’investissement en capital-investissement, qui reste risqué et volatil, est-il réellement adapté aux particuliers ?

Initialement, seuls les institutionnels et les family offices investissaient dans le capital-investissement. Ils ont ensuite été rejoints par les entrepreneurs et, désormais, par des personnes au patrimoine moins élevé. Les particuliers ont aujourd’hui de plus en plus accès, via les unités de comptes des assurances-vie ou des fonds nourriciers, à des fonds de qualité institutionnelle. Aux Etats-Unis, plus en avance sur ce sujet, la classe d’actifs représente une partie substantielle du patrimoine des épargnants individuels. C’est un phénomène mondial lié à la maturité du secteur, qui va se poursuivre.

Cela étant dit, nous avons une très grande responsabilité à l’égard des clients privés. Il est primordial d’expliquer que le capital-investissement s’inscrit sur un temps long, avec des caractéristiques particulières. France Invest travaille beaucoup sur ce sujet. Nous proposons par exemple une formation digitale à destination des CGP, et avons publié avec Bpifrance un site pédagogique pour présenter le capital-investissement au grand public.

L’écosystème du capital-investissement s’est fortement développé ces dix dernières années avec une multiplication du nombre de sociétés de gestion. Pour autant, ces fonds sont-ils réellement accessibles à toutes les entreprises, quels que soient leur secteur ou leur niveau de rentabilité ? Un rapport de l’AMF, publié en septembre dernier, relève ainsi qu’au niveau européen 67 % des investissements se concentrent sur trois secteurs : les technologies de l’information, la santé, et les services et biens de consommation.

Moins de 10 000 entreprises françaises ont actuellement un fonds de capital-investissement à leur capital. Or, en nous concentrant sur celles employant plus de dix salariés, nous estimons que près de 100 000 sociétés pourraient y prétendre. Nous avons donc une importante marge de progression. Il est vrai que certains secteurs sont mieux représentés, souvent ceux où nous avons naturellement des capacités à accompagner la création de valeur. Les opérations dans l’industrie, par exemple, pèsent encore seulement pour un quart des investissements. Nous voulons faire davantage pour accompagner la réindustrialisation.

Les fonds ont bien sûr des attentes, notamment en termes de rentabilité, mais ils recherchent avant tout des managers désireux de faire bouger les lignes de leur entreprise et de grandir. Un dirigeant souhaitant un accompagnement pour un développement à l’international, une stratégie de croissance externe, ou encore la mise en œuvre d’un plan de transition énergétique peut trouver un partenaire et un accompagnement qui lui correspondent. C’est d’autant plus vrai aujourd’hui que les solutions proposées se sont diversifiées avec des investisseurs spécialisés sur certains secteurs, qui interviennent en majoritaires ou minoritaires, via des interventions en fonds propres ou quasi-fonds propres.

Les conditions de négociation se sont-elles durcies pour les managers ?

Cela varie beaucoup selon le secteur et la qualité de l’entreprise, il n’y a pas de règle. Mais, globalement, les négociations sont un peu moins favorables aux dirigeants qu’il y a un an. Les valorisations baissent légèrement, s’ajustent, mais il n’y a pas d’effondrement. La situation est différente sur le segment du capital-innovation où une correction a commencé en novembre 2021 lors du retrait des capitaux américains du marché européen.

La crise de 2008 avait été marquée par les difficultés de refinancement des entreprises sous LBO. Faut-il craindre un nouveau mur de la dette ?

Je ne pense pas. Il me semble que tous les acteurs ont appris du passé : les montages sont globalement faits sur un niveau de levier raisonnable depuis longtemps, avec un équilibre entre les dettes amortissables et in fine. La santé des entreprises est par ailleurs encore assez robuste pour l’instant, et les dirigeants se montrent également plus agiles que par le passé. Ils ont appris des crises de ces dernières années, même s’il y aura peut-être, comme pour l’ensemble de l’économie, une augmentation du nombre de restructurations financières. Sur l’accès au financement, les difficultés concernent essentiellement les grosses opérations nécessitant des dettes de plus de 500 millions d’euros. En revanche, les transactions moyennes continuent de trouver des prêteurs en dépit du coût qui a évidemment augmenté.

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