Si le contexte économique et financier est devenu difficile pour le private equity, dont l’activité diminue désormais partout dans le monde, l’écosystème français fait preuve de résistance. Cela tient à la présence d’un acteur public qui a pris une place importante (Bpifrance) et à celle d’un leader de taille mondiale (Ardian), mais aussi à des sociétés de gestion aux stratégies bien ciblées, comme par exemple Siparex au niveau régional, Andera Partners, qui joue la carte de l’internationalisation, ou encore Abenex, qui s’engage fortement dans l’ESG.
Bpifrance : vers une année record pour l’investissement direct
Acteur à part, puisqu’il s’agit d’une banque publique, Bpifrance a pris une part croissante dans l’écosystème français du private equity. Alors que la plupart des gérants voient leur activité fléchir, Bpifrance se dirige vers un nouveau record cette année, s’agissant de l’investissement direct dans les entreprises, tout au moins en nombre de dossiers. « Bpifrance joue son rôle contracyclique, en investissant plus qu’à son habitude pour maintenir l’activité quand le reste du marché ralentit, souligne José Gonzalo, directeur exécutif au sein de la direction Capital Développement de l’institution. Nous pouvons le faire notamment parce que l’augmentation du coût de la dette nous touche beaucoup moins que les autres acteurs du private equity : nous avons toujours cherché à réaliser des montages avec peu d’effet de levier. » En conséquence, le nombre de dossiers d’investissement et de cession devrait atteindre un niveau inégalé cette année. « Nous nous dirigeons très probablement vers une année 2023 record, après plus d’une centaine de dossiers d’investissements et près de 60 cessions au premier semestre, relève José Gonzalo. Cela nous place au premier rang en France, et au troisième mondial, après deux fonds américains, alors que nous n’investissons qu’en France. » Toutefois, le montant moyen des opérations tend à diminuer, « le marché se concentrant de plus en plus sur les small caps », admet José Gonzalo.
Un rôle majeur dans l’activité fonds de fonds
La banque investit également dans des fonds de fonds, activité dans laquelle elle joue aussi un rôle majeur. « Bpifrance a investi dans près de 30 fonds au premier semestre 2023, contre 70 sur l’ensemble de 2022, note Adeline Lemaire, directrice exécutive au sein de la direction fonds de fonds de Bpifrance. L’investissement global a atteint 1,6 milliard d’euros en 2022. » Le montant pourrait être proche en 2023. « L’objectif de maintenir un niveau similaire en 2023 constitue un défi dans l’environnement actuel », souligne Adeline Lemaire.
«Bpifrance a investi dans près de 30 fonds au premier semestre 2023, contre 70 sur l’ensemble de 2022.»
Ardian : la prime au leader
Quand Axa Private Equity est devenu Ardian, en 2013, l’assureur décidant de se séparer de cette activité, les actifs sous gestion étaient évalués à 36 milliards de dollars. Dix années plus tard, Ardian communique sur un montant de 156 milliards de dollars, ce qui place cet acteur très loin devant les autres sociétés de gestion d’origine française. Ardian s’est depuis internationalisé et diversifié, dans le financement des infrastructures ou la dette privée, notamment, mais le private equity compte pour 115 milliards de dollars, soit presque les trois quarts des actifs sous gestion. En Europe, notamment, dans un marché en baisse, son activité dans le private equity ne ralentit pas, au contraire. « Nous avons réalisé quatre opérations au premier semestre 2023, contre deux en 2022, et nous allons continuer à examiner des opportunités », souligne François Jerphagnon, membre du directoire d’Ardian France et responsable d’Ardian Expansion. Il s’agit de trouver des acteurs de niche (principalement dans les services BtoB, la tech et l’industrie à forte valeur ajoutée), en forte croissance, avec le bon positionnement. Le fonds cible les entreprises réalisant entre 50 et 300 millions d’euros de chiffre d’affaires. Des cibles moins nombreuses qu’auparavant, François Jerphagnon visant les entreprises réalisant des croissances « à deux chiffres », gage de rentabilité future de l’investissement. « Les multiples de valorisations lors des sorties vont, au mieux, rester au même niveau qu’à l’entrée, et plus probablement baisser, explique-t-il. Pour obtenir des performances satisfaisantes, il faudra donc miser sur une forte croissance des sociétés, à la fois organique et externe et apporter une valeur ajoutée à ces dernières. » Le nombre d’entreprises visées par les fonds diminuant, la concurrence devient âpre entre les financiers. Ardian mise sur sa capacité à agir dans la durée, accompagnant les sociétés, et sur sa notoriété. « Nous avons une connaissance du management des entreprises cibles très en amont, relève François Jerphagnon. « Nous connaissons les équipes souvent trois ans avant d’investir. C’est d’autant plus important dans le contexte actuel, où nous renforçons notre rôle de soutien de ces équipes managériales, tant pour leur croissance organique, en les accompagnant notamment dans la digitalisation, que pour le “build up” via la croissance externe, sur des durées de cinq ans en moyenne. »
L’environnement est beaucoup plus compliqué qu’il y a dix-huit mois, « et il risque de le devenir de plus en plus, souligne François Jerphagnon. Pour autant, cela ne nous empêche pas de trouver de belles sociétés, d’autant que le nouveau contexte donne une prime aux acteurs présents depuis longtemps : en période d’incertitude, l’écosystème privilégie les acteurs rassurants. Si un dirigeant d’entreprise cède sa société à un acteur de premier plan du private equity, c’est un non-sujet, à la fois pour ses salariés et ses clients, qui sont rassurés, alors qu’un acteur moins reconnu peut susciter de l’inquiétude. »
«Le nouveau contexte donne une prime aux acteurs présents depuis longtemps : en période d’incertitude, l’écosystème privilégie les acteurs rassurants.»
Siparex : du régional à la plateforme multi-stratégies
Depuis sa création, il y a quarante-six ans, le profil de Siparex, l’un des pionniers du capital-investissement en France, a bien changé ! La société de capital-investissement lyonnaise, à vocation régionale, est devenue une plateforme aux 3,6 milliards d’euros d’actifs sous gestion présente dans six villes de France ainsi qu’en Italie, en Allemagne et en Belgique. Au cœur de l’activité de la société, qui emploie aujourd’hui 140 personnes, figure toujours l’investissement en fonds propres dans les PME et ETI. Le capital-développement et le LBO pèsent désormais plus de 2 milliards d’euros d’actifs sous gestion, se répartissant autour de trois équipes. Une première équipe, baptisée « Entrepreneurs », se concentre sur les petites sociétés de moins de 30 millions d’euros de valorisation, avec un ticket maximal de 7 millions d’euros. L’équipe Mid Cap cible quant à elle les PME dont la valorisation se situe entre 30 et 80 millions d’euros, tandis que son homologue ETI peut miser jusqu’à 50 millions d’euros dans des entreprises dont la valeur peut monter jusqu’à 200 millions d’euros. « Nous privilégions les opérations majoritaires, même si nous avons la souplesse d’intervenir aussi comme actionnaire minoritaire, à condition d’avoir une position significative et de siéger au conseil d’administration », précise Nicolas Eschermann, associé de Siparex. S’il reste opportuniste en termes de secteurs d’activité, l’investisseur affiche néanmoins une prédilection pour quatre grandes verticales que sont la santé, l’industrie, la transition énergétique et les ESN.
Un champ d’intervention élargi
La société de gestion a par ailleurs élargi son champ d’intervention en lançant, en 2015, une activité mezzanine qui permet de financer, via différents instruments de dette, la croissance de sociétés. La même année, elle s’est dotée d’une compétence en capital-risque, via la reprise d’XAnge, détenue auparavant par le groupe La Poste. Avec 600 millions d’euros sous gestion, ce pôle soutient des start-up du digital lors de tours d’amorçage et de série A. Enfin, dernier arrivé au sein du groupe, Tilt Capital. Piloté par trois anciens managers d’Engie, ce fonds se dédie aux entreprises apportant une solution en matière de transition énergétique qu’il accompagne, en minoritaire, avec des tickets allant de 5 à 30 millions d’euros. « Au-delà de son activité propre, l’équipe de Tilt Capital apporte son expertise sur les enjeux énergétiques et climatiques à l’ensemble des métiers, ajoute Nicolas Eschermann. Nous sommes particulièrement attentifs à ces sujets lors de l’analyse des opportunités d’investissement, et accompagnons nos participations dans cette transition, en particulier sur les aspects de décarbonation. » D’autres cordes pourraient à l’avenir s’ajouter à l’arc de Siparex qui vise les 5 milliards d’euros sous gestion d’ici trois ans.Coralie Bach
«Nous privilégions les opérations majoritaires, même si nous avons la souplesse d’intervenir aussi comme actionnaire minoritaire.»
Andera Partners veut doubler de taille tous les cinq ans
Alors que les levées de fonds deviennent plus compliquées, Andera Partners a récemment réussi à boucler son cinquième véhicule mid cap à 750 millions d’euros, dépassant ainsi largement son objectif initial fixé à 600 millions d’euros. Une performance qui illustre le développement de la société de gestion dont les actifs sont passés en cinq ans de 2 à 4 milliards d’euros. « Nous avons l’ambition d’à nouveau doubler de taille dans les cinq ans, dans nos trois thématiques transmission, développement des PME/ETI, santé et infrastructure, en accentuant notamment notre présence à l’international », affirme Laurent Tourtois, associé. Basée à Paris, l’équipe, composée de 110 personnes, est déjà présente en Belgique, en Allemagne ainsi qu’en Italie où un bureau a été ouvert l’année dernière. « Cette expansion est essentielle pour nous tant pour accéder à plus de souscripteurs internationaux que pour accompagner nos participations dans leur développement, ajoute l’investisseur. Sur notre fonds mid cap par exemple, qui cible des entreprises réalisant entre 50 et 500 millions d’euros de chiffre d’affaires, 40 % des opérations de croissance externe sont menées à l’étranger. »
Un profil multi-stratégies
L’ex-Edmond de Rothschild Investment Partners, né en 2002 au sein de la célèbre maison financière et devenu indépendant en 2018, ne se limite toutefois pas aux sociétés de taille intermédiaire. Deux autres fonds, baptisés « Croissance » et « Expansion », permettent de couvrir les segments inférieurs avec des tickets pouvant aller de 5 à 25 millions d’euros, tandis que leur homologue pour les ETI peut monter jusqu’à 100 millions d’euros par opération. Dans tous les cas, la stratégie demeure la même : soutenir un dirigeant, qui souvent réalise une première ouverture de capital, dans le changement d’échelle de son entreprise. « Nous l’accompagnons dans la structuration de la société en l’aidant, par exemple, à recruter un directeur général, et lui apportons notre savoir-faire en matière de croissance externe, poursuit Laurent Tourtois. Identifier une cible, l’évaluer et financer son rachat constitue l’essence même de notre métier. » La société de gestion s’est d’ailleurs elle-même prêtée à l’exercice en reprenant en 2016 ActoMezz, un spécialiste du financement mezzanine, affirmant ainsi son profil multi-stratégies. L’investisseur est en effet depuis sa création actif sur le capital-développement, le capital-transmission et le capital-risque avec une équipe spécialisée sur les biotechs qui peut apporter entre 5 et 35 millions d’euros de fonds propres. Enfin, un fonds infrastructure dédié à la transition énergétique est venu compléter la palette d’offres, avec le recrutement en 2021 de deux nouveaux associés.
«Sur notre fonds mid cap, 40 % des opérations de croissance externe sont menées à l’étranger.»
Abenex : un engagement extra-financier labellisé B Corp
Tous les fonds d’investissement, ou presque, présentent aujourd’hui leurs engagements ESG dans leur stratégie. Mais en adoptant le statut d’entreprise à mission et en obtenant, l’année dernière, la certification B Corp, Abenex a placé le curseur un cran plus loin. « Nous nous devons d’être à la pointe en matière de développement durable afin de montrer l’exemple à nos participations, déclare le managing partner de la société de gestion Patrice Verrier. Aucune entreprise ne peut faire l’impasse sur ces sujets au risque, à terme, de perdre des clients. Nous aidons d’ailleurs celles qui le souhaitent à obtenir la labellisation. » Un accompagnement mené avec l’appui de sept experts opérationnels, intégrés à temps plein à l’équipe, qui conseillent également les 17 sociétés du portefeuille sur des opérations de croissance externe, la digitalisation et plus globalement leurs projets de développement.
Trois grandes thématiques
Positionné initialement sur le mid cap, l’ex-ABN Amro Capital France, qui a coupé le cordon avec la banque néerlandaise en 2008, couvre désormais tout le spectre des PME et ETI rentables. Le fonds Croissance, lancé en 2018, intervient auprès de sociétés dont la valorisation est inférieure à 60 millions d’euros, tandis que le fonds historique peut monter jusqu’à 300 millions d’euros de valorisation. « Seule la taille des opérations diffère, les stratégies sont identiques », précise Patrice Verrier.
L’investisseur prend des participations majoritaires ou minoritaires, dans le cadre d’opérations structurées avec ou sans effet de levier, en se concentrant sur trois grandes thématiques : la sécurité des biens, des personnes et des données ; la santé et le bien-être ; ainsi que les services à valeur ajoutée comme l’éducation ou le conseil. Une stratégie qui, avec le pôle immobilier structuré en 2018, représente 1,5 milliard d’euros d’actifs sous gestion. Aujourd’hui, une cinquantaine de professionnels pilotent ces actifs, depuis Paris, Lyon, mais aussi Milan et Amsterdam où des bureaux ont respectivement été ouverts en 2021 et 2023. Un début d’internationalisation qu’Abenex entend poursuivre.
«Nous devons être à la pointe en matière de développement durable afin de montrer l’exemple à nos participations.»