Table ronde

Les nouvelles voies de l’exportation

Publié le 10 juin 2016 à 15h52    Mis à jour le 8 juillet 2021 à 19h38

Propos recueillis par Anne del Pozo

Sur fond de croissance mondiale peu dynamique, l’export représente plus que jamais l’une des principales opportunités de développement pour les entreprises françaises. Ces dernières devront néanmoins bien connaître et analyser les différents risques pays, sectoriels, clients et fournisseurs auxquels elles s’exposent, afin de les prévenir et les gérer durablement.

Diversité des risques à l’export

Julien Marcilly, économiste en chef chez Coface : L’économie mondiale a tendance à se «japoniser» avec une croissance et une inflation durablement plus faibles. Pour les entreprises françaises, cet environnement économique plus difficile se traduit par une moindre demande et un pouvoir en matière de fixation des prix également plus faible au regard de l’inflation. En revanche, les politiques monétaires sont durablement plus expansionnistes, avec des taux d’intérêt plus bas et des conditions de crédit plus favorables pour les entreprises, limitant ainsi la sinistralité dans certains pays. Il y a cependant beaucoup de différences région par région. En ce moment, les principaux problèmes viennent des pays émergents tandis que la situation a plutôt tendance à s’améliorer dans les économies avancées et en particulier en Europe. Les entreprises françaises exportatrices devraient par ailleurs bénéficier de la croissance mondiale, attendue à 2,5 % cette année, alors qu’en France, elle ne devrait pas dépasser 1,6 %.

Agnès Joly, directeur adjoint commerce international à la Société Générale : Le frémissement de cette croissance en France est notamment porté par une reprise de la consommation des ménages qui entraîne une plus forte demande en matière d’importations. Nous constatons ainsi un regain des opérations d’importation dans les biens de consommation.

Guilherme Spadinger, directeur général Euler Hermes SFAC Direct : Les exportateurs français doivent faire face à trois grands risques majeurs. Selon notre baromètre export 2016, le risque d’impayé est le premier frein à l’export pour plus d’une entreprise exportatrice française sur deux. Cette crainte est totalement

justifiée : pour la première fois depuis 2009, les défaillances d’entreprises devraient augmenter à l’échelle mondiale en 2016 et en 2017 (+ 2 %), avec notamment une forte augmentation des défaillances en Chine (+ 20 %) et au Brésil (+ 22 %).Par ailleurs, le risque de change se renforce. La faiblesse durable du prix des matières premières accentue la volatilité financière, entraînant ainsi la dépréciation massive de certaines devises émergentes. Pour finir, le risque politique semble faire son retour : en 2015, près de 700 nouvelles mesures protectionnistes ont été mises en place dans le monde.

Stephen Lord, head of international department chez Ellisphere : Une entreprise, quelle que soit sa nationalité, est, dans le cadre de la conquête de marchés extérieurs, aussi confrontée aux barrières de langue, de culture, d’économie ou encore de monnaie. Les risques sont donc diffus et difficiles à appréhender par l’entreprise candidate à l’export.

Les risques pays

Julien Marcilly : En ce début d’année et depuis la crise de 2009, nous n’avons jamais procédé à autant de déclassements. Cela reflète tous les problèmes grandissants que nous observons notamment dans les pays émergents où les entreprises sont confrontées à un ralentissement de l’économie. Par ailleurs, avec la crise de Lehmann, nous avons beaucoup parlé de la dette des ménages aux Etats-Unis, puis de la dette souveraine dans la zone euro. Désormais, le problème s’articule autour de la dette des entreprises dans les pays émergents et notamment dans les plus grands comme la Chine, le Brésil ou encore la Turquie. Cependant, les principaux pays partenaires de la France restent nos pays voisins et leur situation tend plutôt à s’améliorer au regard du dynamisme de la consommation des ménages qui profite aussi aux exportateurs français.

Agnès Joly : En Russie, la situation reste difficile. Les sanctions ne sont toujours pas levées et ont ralenti de manière drastique les courants d’affaires vers ce pays. Elles ont également précipité ses difficultés économiques. Autant d’éléments qui ne vont pas dans le sens d’un développement des relations commerciales avec la

Russie. Certaines entreprises françaises poursuivent néanmoins leurs exportations vers ce pays. La Société Générale et sa filiale Rosbank continuent de les accompagner en les alertant sur quelques sujets sensibles : le droit de la propriété, la gouvernance et la transparence de certains partenaires, ou encore la fragilisation de son secteur bancaire.

Julien Marcilly : L’an passé, l’économie russe était en récession profonde en raison des effets de la baisse des cours du pétrole et des sanctions internationales. Nous anticipons qu’elle le sera toujours cette année.

Jean-Paul Colombel, directeur général de TECOFI : Chez TECOFI, nous exportons surtout vers l’Asie, l’Afrique, le Maghreb, le Moyen-Orient, Cuba mais aussi la Russie où nous disposons d’une filiale. Lorsque nous avons racheté la société en 2013, la Russie représentait 50 % du chiffre d’affaires. Nous connaissions alors très bien les risques que présentait ce pays. Nous avons décidé malgré tout de continuer à travailler avec ce pays où, à l’époque, nous n’avions qu’un bureau. Au regard de l’évolution de la réglementation, il nous fallait cependant avoir une société qui maîtrise les certificats GOST (ndlr : certificats de conformité aux standards de qualité et de sécurité russes, pour les biens et services), raison pour laquelle nous avons créé une filiale. Depuis, si nous continuons à avoir un volant d’affaires avec ce pays, nous y avons limité le nombre de nos clients et divisé par trois notre chiffre d’affaires, notamment en raison de la moindre activité économique du pays.

Les opportunités pays en 2016

Julien Marcilly : Les pays proches de la France représentent à l’inverse de belles opportunités pour nos exportateurs. En Espagne, Allemagne et même en Italie, la situation économique tend à s’améliorer. Parmi les pays émergents, l’Europe centrale tire bien son épingle du jeu. Cette région est en effet peu exposée au ralentissement chinois. Elle exporte beaucoup vers nos économies qui se portent beaucoup mieux, et peu vers la Russie. Enfin, la consommation des ménages y est assez dynamique et, d’ailleurs, la croissance économique de cette région sera supérieure à 3 % cette année.

Guilherme Spadinger : En 2016, la demande supplémentaire adressée à la France ne devrait pas dépasser les 10 milliards d’euros, contre 27 milliards d’euros en 2015, un trou d’air essentiellement dû à un effet prix. Néanmoins, ce surplus de demande retrouvera un niveau normal en 2017, à 34 milliards d’euros, avec la reprise du commerce mondial. Nous estimons qu’en 2016, les difficultés économiques rencontrées par les émergents inciteront les exportateurs français à se recentrer sur l’Europe : plus de 65 % de la demande additionnelle adressée à la France proviendra de zone euro, et notamment d’Allemagne (+ 2,7 milliards), d’Espagne (+ 1,5 milliard), et de Belgique (+ 0,9 milliard).Des marchés que les exportateurs français connaissent déjà bien.

Julien Marcilly : Ensuite, sur le grand export, malgré les risques importants de certaines zones géographiques telles que le Moyen-Orient, l’Amérique latine, l’Asie ou l’Afrique, il existe quelques opportunités pays. C’est notamment le cas du Vietnam ou des Philippines en Asie, qui sont relativement peu touchés par le ralentissement chinois, mais aussi de la Côte d’Ivoire, de l’Ethiopie ou du Kenya qui, en Afrique, sont relativement peu concernés par la baisse des prix des matières premières et présentent quelques belles opportunités pour nos exportateurs.

Agnès Joly : A la Société Générale, nous sommes également assez confiants sur le développement du Maroc qui est le pays du Maghreb où la croissance semble relativement saine et relativement immunisée aux troubles qu’il peut y avoir aujourd’hui, par exemple, en Algérie. Le Maroc est ainsi un pays dont les exportations de produits agroalimentaires vers la Russie ont relayé celles des entreprises européennes frappées par les sanctions ; à ce titre, c’est un secteur qui peut présenter des opportunités pour les entreprises françaises de l’agro-industrie. D’autre part, nous continuons également à avoir de l’espoir sur la Tunisie. En Afrique noire, nous encourageons nos clients à se développer en Côte d’Ivoire, qui vient notamment de faire une production record en cacao qui dynamise son économie, d’autant que le pays dépend peu de ses exportations d’hydrocarbures.

Julien Marcilly : L’économie ivoirienne s’est en effet beaucoup diversifiée ces dernières années. Auparavant elle dépendait quasi exclusivement de ses exportations de cacao ce qui, en soi, n’est pas une mauvaise nouvelle car il s’agit de l’une des matières premières dont le prix a le moins baissé ces dernières années. Au-delà de ça, les découvertes d’hydrocarbures de ce pays ainsi que l’apaisement du climat politique lui ont permis d’investir davantage notamment dans les infrastructures et de favoriser le retour des investisseurs étrangers. Même si le risque politique n’a pas complètement disparu, la tendance est, sur ce pays, clairement positive pour nos exportateurs.

Guilherme Spadinger : De par sa taille et sa puissance au Moyen-Orient, l’Iran représente une opportunité intéressante à moyen terme pour les exportateurs français. Mais il ne faut pas se précipiter. Tout d’abord parce que les sanctions contre l’Iran n’ont pas encore été formellement levées, mais simplement assouplies. Ensuite, parce que l’ajustement économique iranien, après des années de sanctions économiques, risque d’être long et complexe. Enfin, il faut garder en mémoire le risque politique relatif à la région.

Jean-Paul Colombel : Nous travaillions auparavant avec l’Iran. Nous avons donc repris contact avec nos distributeurs dès les annonces d’ouverture du marché. Nous avons réalisé une petite affaire de 50 000 euros avec ce pays, payable à la commande, mais ces 50 000 euros ont été rejetés par notre banque.

Stéphanie Jedrasiak, directeur régional des ventes IDF et Ouest chez Coface : L’Iran représentera de nouvelles opportunités pour nos exportateurs, au même titre que les autres pays de la zone. Le problème demeure aujourd’hui, sur ces pays, de pouvoir se faire payer.

Jean-Paul Colombel : Pour nous forger une opinion sur les différentes opportunités pays, nous lisons les publications de la Coface et de nos banques. Nous participons aussi à des groupes d’échanges tels que le syndicat des PME à Lyon, à travers lesquels nous obtenons des informations de la part d’autres entreprises exportatrices. Les grands groupes avec lesquels nous travaillons comme Veolia, Suez ou Toyo nous informent également sur les contrats qu’ils décrochent et les pays où ils se développent.

Les secteurs d’activité porteurs

Julien Marcilly : Au-delà des opportunités pays, il existe aussi des opportunités sectorielles. Hormis quelques exceptions, les secteurs qui se portent le mieux sont ceux en lien avec la consommation des ménages. C’est notamment le cas du secteur pharmaceutique, qui en plus bénéficie d’une tendance assez structurelle liée au vieillissement de la population et à la fin des politiques de rigueur dans bon nombre de pays. C’est également le cas du secteur automobile. Les secteurs qui se portent moins bien sont ceux liés aux matières premières (énergies, métaux), notamment en raison des exportations massives en provenance de Chine où les surcapacités restent élevées.

Agnès Joly : Les récentes annonces de grands contrats signés par des entreprises françaises dans des secteurs à très forte valeur ajoutée comme l’aéronautique ou la construction navale (des sous-marins vendus à l’Australie aux bateaux de croisière) sont une vitrine exceptionnelle pour toutes les entreprises françaises de haute technologie à l’étranger.

Croiser les informations pour faire les bons choix à l’export

Lionel O’Neill, chargé d’affaires Bureau van Dijk : Il existe différentes typologies de risques : pays (politiques, économiques, d’embargo, de sécurité intérieure, etc.) et sectoriels. Ces deux typologies de risques sont étroitement liées et il convient de les croiser pour détecter les meilleures opportunités à l’export. D’autant plus que le risque sectoriel est également lié à la politique économique du pays : est-elle incitative en termes d’affaires ? Les organes gouvernementaux sont-ils prêts à accompagner les entreprises via, par exemple, des dispositifs de subventions ? Par ailleurs, il faut veiller à la capacité des pays, notamment en termes d’infrastructures, à suivre les évolutions technologiques d’un secteur. Il est donc important d’avoir une vision du pays, de ses infrastructures et de son organisation gouvernementale mais aussi, pour nos entreprises, de savoir s’il y a déjà des acteurs, dans le pays visé, présents dans leur secteur d’activité et dans leurs marchés cibles. Au-delà de ces données macroéconomiques, il convient aussi de se pencher sur les données socio-économiques et réglementaires des pays qui dynamiseront ou pas un secteur d’activité.

Guilherme Spadinger : L’accès à l’information diffère d’un pays à l’autre : s’il est certes plus aisé dans les pays occidentaux que dans des destinations lointaines (Asie, Afrique, Moyen-Orient, Amérique du Sud), un pays comme la Suisse – par exemple – se montre très frileux dans la mise à disposition d’informations financières sur les entreprises. De plus, les bilans ne sont pas forcément certifiés selon les mêmes règles et avec la même rigueur partout… A l’étranger, procéder à l’évaluation du risque client n’est pas toujours évident pour une entreprise seule. Nos clients plébiscitent la fraîcheur de notre information, et le décryptage que nous en faisons pour eux au travers des nombreuses rencontres arbitrages que nous organisons.

Stephen Lord : Si les risques macroéconomiques sont très importants à appréhender, il est également important de se pencher sur les risques microéconomiques et de s’assurer que l’entreprise sera, in fine, payée par ses partenaires commerciaux. Par ailleurs, au-delà de la connaissance et du suivi des risques, la problématique de nos exportateurs porte également sur le choix, dans chaque pays, de leurs futurs partenaires et de leur méthode d’approche commerciale. Il existe alors différents moyens d’obtenir une liste de prospects potentiels dans les pays visés : clubs, échanges, marchés publics, et plus particulièrement achats de listes d’entreprises qualifiées auprès de prestataires d’information à l’expertise reconnue.

Choisir sa stratégie de développement à l’international

Jean-Paul Colombel : Lorsque nous cherchons à nous implanter dans un pays, notre première démarche consiste à trouver un distributeur qui connaisse bien son marché et qui soit suffisamment représentatif pour le couvrir. Si de nombreux distributeurs souhaitent commercialiser les produits d’une marque ou entreprise européenne, toute la difficulté pour nous consiste à trouver le bon. A cet effet, nous faisons des salons, travaillons sur le terrain, allons voir les clients en direct… Nous nous appuyons également sur les références locales des entreprises avec lesquelles nous travaillons (Suez, Veolia, etc.).

Lionel O’Neill : Notre mission, en tant que fournisseurs d’informations, consiste d’ailleurs à délivrer des données qui permettront aux exportateurs de bien sélectionner leurs distributeurs/partenaires/clients. Nous mettons à leur disposition des outils et publications pour prospecter à l’international qui sont d’ailleurs éligibles aux subventions proposées notamment par les organismes tels que BPI ou Coface garanties publiques. A partir de ces éléments, nous pouvons également faire des statistiques sur les typologies de structures mises en place par les sociétés françaises à l’export, les formes juridiques les plus couramment utilisées, etc.

Stephen Lord : Dès lors que l’entreprise de renseignements choisie est reconnue par l’assureur crédit, ce dernier peut fixer un niveau de garantie en fonction des informations obtenues.

Agnès Joly : Nous accompagnons nos clients dans leur phase de prospection essentiellement au travers des accords que nous avons avec Business France, BPI et Coface garanties publiques pour la partie assurance prospection. Par exemple, avec Business France, nous organisons en région des journées thématiques, des séminaires autour d’un pays, d’un secteur d’activité ou d’un sujet lié au commerce international. Avec BPI, nous avons co-organisé dernièrement une mission de prospection en Malaisie, où nous avons accompagné 17 entreprises françaises sélectionnées pour leur potentiel à développer leur activité dans ce pays. Nous leur avons fait rencontrer des entreprises locales et expliqué comment faire des affaires avec la Malaisie.

Jean-Paul Colombel : Dans certains pays, nous optons pour l’ouverture d’un bureau. En effet, au regard de notre activité au grand export, nous avons une problématique liée aux délais de livraison. Par exemple, en Asie, nous sommes en concurrence avec des sociétés japonaises, taïwanaises ou chinoises qui pour leur part ont tous leurs stocks sur place. C’est la raison pour laquelle nous allons ouvrir une filiale avec un stock avec unité d’assemblage au Vietnam, à Dubaï et plus tard à Cuba. Enfin, nous avons des filiales en Chine (avec notamment une unité de production) et en Russie. Pour financer ces implantations, nous avons sollicité un prêt auprès de BPI avec l’aide de Coface et obtenu 2 millions d’euros.

Ces bureaux n’empêchent cependant pas les processus de prévention du risque. Notre première démarche consiste alors à demander à nos clients des paiements sécurisés, tels que des lettres de crédit confirmées par nos banques. Lorsque nous avons des paiements par virement, nous demandons à la Coface qu’elle nous fournisse un rating et un montant d’encours garanti sur le client concerné. Ce montant est entré dans notre système informatique et aucun commercial chez nous ne peut le dépasser, ce qui nous permet de sécuriser notre poste client. Certes, pour certains de nos clients historiques que nous connaissons bien, il nous arrive d’accorder un encours supplémentaire. Tout dépendra du client mais aussi de son pays. Par exemple, sur la Chine, nous ne délivrons aucune marchandise sans qu’elle soit complètement payée.

Prévenir le risque

Stephen Lord : En matière de prévention, les sociétés d’information ont pour vocation de faciliter le travail des entreprises. Elles apportent ainsi une aide précieuse pour l’identification des partenaires commerciaux. Une démarche qui n’est pas toujours évidente, ne serait-ce qu’avec les dénominations sociales en langue étrangère ou les formes juridiques spécifiques selon les pays ; difficultés accrues avec l’absence d’identification unique pour les entreprises dans certains pays comme l’Allemagne. En France, nous sommes particulièrement favorisés puisque toutes les entreprises ont un numéro Siren.

Lionel O’Neill : Nous avons vraiment pour vocation de sourcer un maximum d’informations sur les entreprises partout dans le monde, de les formater, et enfin, de les restituer de manière standardisée. Nous sommes capables de valider l’existence juridique de la société en l’identifiant. Cette première étape est simple si l’entreprise est implantée dans un pays dont l’économie est suffisamment structurée pour proposer par exemple un numéro d’identifiant national ou un numéro de TVA ou autre. Lorsque ce n’est pas le cas, nous nous appuyons sur des partenaires locaux privés ou publics qui vont nous permettre d’identifier la société par rapport, par exemple, à des coordonnées ou à une adresse. Ensuite, nous nous appuierons sur des informations financières si nous les avons et surtout, sur l’historique du dirigeant et son éventuel actionnariat dans d’autres sociétés…

Stephen Lord : Une fois l’entreprise identifiée, il convient en effet de prendre des renseignements sur sa solvabilité (en dehors des risques politiques et pays) : bilans, incidents de paiement, historiques des dirigeants, etc. Rappelons qu’en France, ces différentes informations sont assez structurées et accessibles, notamment pour les sociétés d’information. Notre rôle en tant que prestataire de l’information décisionnelle consiste à récupérer ces données, à les formater, à les traduire et à les qualifier pour les rendre lisibles et exploitables au quotidien par les entreprises dans leurs prises de décision.

Lionel O’Neill : Chacun à notre niveau, nous proposons donc à nos clients une base de données où toutes les informations sont standardisées. Si nous sommes amenés à travailler avec un grand nombre de clients et donc à avoir beaucoup d’interactions commerciales avec les différents partenaires commerciaux, cette base de données sera alors d’autant plus importante. Elle permet aux entreprises de savoir dans quelle mesure elles peuvent ou non engager des relations commerciales avec des nouveaux clients, si elles doivent ou non prendre une assurance crédit ou renégocier un encours déjà garanti. Il existe vraiment différents niveaux en termes de prévention puis de gestion du risque lorsqu’une entreprise entre en affaires avec un nouveau client. Au-delà de l’identification d’un acheteur et de sa solvabilité à un instant donné, nous préconisons également de suivre les clients. En matière de suivi du risque, nous préconisons d’ailleurs à nos clients qu’ils capitalisent sur l’historique de leur relation avec leurs acheteurs. Pour pondérer un risque, il est en effet important de croiser les informations mises à disposition par les assureurs crédits et les sociétés d’information, avec les données dont l’entreprise dispose sur ses acheteurs en matière notamment de comportement de paiement, d’expérience de livraison, de qualité de produit.

Stephen Lord : Le suivi d’une information est aussi important que sa délivrance initiale. En effet, la situation d’une entreprise peut changer très rapidement : dégradation ou amélioration des résultats financiers, changement de dirigeants, privilèges ou incidents de paiement… Autant d’indicateurs qui peuvent influer sur l’évolution d’une entreprise. En matière de gestion du poste client, le monitoring des informations est par conséquent primordial.

Jean-Paul Colombel : Nous passons également par la Coface pour suivre notre poste client, une démarche qui requiert beaucoup de rigueur. Notre credit manager est informé en temps réel par notre assureur crédit. Il lui incombe de débloquer les commandes. En revanche, dès que les crédits baissent sur l’un de nos clients, nous le rentrons dans notre ERP et nous ne pouvons plus saisir ni commandes, ni offres.

Guilherme Spadinger : Nous avons un système de notation basé sur de l’information propriétaire extrêmement riche, reflétant la situation financière des entreprises. Une bonne partie des informations que nous collectons sur près de 40 millions de sociétés dans le monde se fait via un réseau d’analystes crédit locaux. La spécificité des assureurs crédit, c’est qu’au-delà de l’information, ils portent des engagements sur ces sociétés : si, au final, un acheteur fait faillite, nous indemnisons notre assuré. Nous analysons également les risques dans plus de 240 pays du monde et mettons à la disposition de nos clients des rapports structurés sur la situation des pays, des secteurs, mais aussi des guides pratiques par pays sur le recouvrement à l’export.

L’assurance crédit à l’export

Nathalie Paris, directeur marketing Coface France : Le socle de l’offre d’assurance crédit est le même pour le marché domestique ou à l’export : de la garantie, de la prévention, de l’indemnisation et du recouvrement. Néanmoins, à l’export, il est plus difficile de bien connaître les entreprises et de collecter les informations. Pour pallier ce problème, nous travaillons avec des sociétés d’information et disposons d’équipes locales qui vont chercher des informations à la source, directement auprès des entreprises en les rencontrant régulièrement. Parallèlement, dès lors que nous recevons une demande d’indemnisation en raison d’un impayé d’une entreprise, cet élément est pris en compte dans notre analyse de cette société. Nous disposons d’informations sur tous les clients de nos clients en termes d’expérience de paiement et pouvons en faire bénéficier tout notre portefeuille clients. Nous sommes donc dans le degré ultime de l’information avec les bilans, le parcours de l’entrepreneur et le comportement de paiement.

Stéphanie Jedrasiak : Nous nous trouvons d’ailleurs parfois dans des situations paradoxales. Un acheteur peut être un bon payeur historique chez l’un de nos clients et mauvais payeur auprès d’autres clients. Notre client qui est réglé normalement ne comprendra alors pas pourquoi nous attribuons à son acheteur une note dégradée et un encours garanti limité.

Nathalie Paris : C’est la raison pour laquelle à l’export nous devons aussi tenir compte de la culture locale car les habitudes de paiement diffèrent d’un pays à l’autre.

Stéphanie Jedrasiak : Avant de parler d’impayé et d’indemnisation de l’assurance, il faut parler de gestion du poste client. Un contrat d’assurance crédit fonctionnera correctement dans la mesure où le poste client est bien géré au départ. En qualité d’assureur, nous demandons à l’entreprise d’avoir en interne une réelle procédure de credit management. A ce sujet, l’un des grands avantages de la LME en France a été d’amener les entreprises à se pencher sur leurs délais de paiements envers leurs clients. Ainsi un certain nombre d’entre elles se sont rendu compte que leurs difficultés financières (passagères ou pas) étaient peut-être dues à la crise mais aussi à une mauvaise gestion de leur cash. Or le poste client est la première source de cash. Quand une entreprise nous sollicite, nous regardons donc ses délais de paiement en France et à l’export.

Nous regardons également les processus qu’elle met en place en matière de relance et de recouvrement de créances. Notre rôle ne consiste pas à faire de l’ingérence dans la gestion du poste client de nos clients mais bien à les accompagner dans cette démarche, à leur mettre à disposition des outils de suivi de leurs encours et à les alerter lorsqu’ils doivent nous faire une déclaration d’impayé pour prétendre à notre indemnisation. C’est la raison pour laquelle nous proposons à nos clients l’outil d’aide à la gestion du poste client «Policy Master», grâce auquel ils peuvent charger leurs encours et leurs factures. Policy Master va alors les alerter en cas de dépassement d’encours et de retard de paiement.

Rappelons par ailleurs que pour être indemnisé par son assureur, l’entreprise doit respecter un délai pour déclarer un impayé. A l’export, nous déterminons des délais de déclaration avec nos clients et ce, pays par pays. Les risques à l’export peuvent être renforcés par des modalités de règlements particulières. Dans certains pays, nous ne pouvons pas prendre d’acompte, dans d’autres, nous ne pouvons pas faire sortir de devises. Il faut donc que les entreprises soient très prudentes et mettent en place l’ensemble des processus de gestion du poste client qui lui assureront, in fine, son paiement.

Guilherme Spadinger : Un contrat d’assurance crédit apporte une vraie structuration en matière de gestion du poste client, qui permet à l’entreprise de faire rentrer du cash plus rapidement, mais aussi de faire valoir plus facilement ses droits de créancier tout en ménageant sa relation commerciale grâce à l’intervention d’un tiers.

C’est un puissant levier de génération de liquidité qui favorise l’agilité commerciale de l’entreprise en optimisant le travail de prospection et les négociations commerciales. Au-delà de l’assurance crédit court terme, avec notre solution EH Cover One, nous pouvons accompagner les entreprises sur leurs projets à moyen et long terme grâce à une couverture ferme sur toute la durée de leurs opérations, contre le risque d’interruption du contrat, le risque politique et le risque d’impayé.

Parmi les différents outils de gestion du poste clients à l’export, les dispositifs d’assurance crédit présentent de réels avantages en termes de souplesse, de mise en œuvre et de coût.

Agnès Joly : La lettre de crédit est également un moyen de garantir les risques à l’export. Il s’agit du plus ancien instrument de sécurisation du paiement d’une transaction commerciale. Au lieu que l’exportateur prenne le risque de paiement sur son acheteur (et, à l’inverse, que l’acheteur prenne le risque de payer d’avance sans être certain que la marchandise lui soit envoyée), le vendeur et l’acheteur demandent à leur banque respective de garantir le paiement contre documents prouvant l’envoi des marchandises.

Pour cela, l’acheteur ouvre une lettre de crédit (ou crédit documentaire) auprès de sa propre banque qui s’engage à payer l’exportateur irrévocablement à réception des documents prévus. La banque qui confirme cette lettre de crédit en faveur de son client exportateur prend ainsi le risque de paiement sur la banque de l’acheteur. Nous travaillons ainsi avec 800 banques dans le monde et sommes en mesure d’analyser le risque de crédit de chacune d’entre elles qui seront pour leur part en contact avec les acheteurs de nos clients. Nous leur faisons alors confiance sur la manière dont elles vont collecter les informations, valider la capacité des acheteurs à payer et surtout, prendre le risque sur ces acheteurs. De notre côté, nous prenons donc le risque sur ces partenaires bancaires. Ce mécanisme nous évite d’avoir à rechercher de l’information sur chacune des entreprises. Il s’agit d’une démarche complémentaire à l’assurance crédit. Elle peut être associée à une solution d’escompte sans recours. La banque va alors financer un poste client.

Nathalie Paris : Dans le cas d’une facture affacturée, l’assureur crédit apporte alors une garantie au factor ou à la banque.

Stéphanie Jedrasiak : L’affacturage est un achat de facture avec une subrogation, ce qui pose donc un problème juridique et commercial. Dans certains pays, la subrogation n’est pas reconnue et donc, le factor ne peut y lancer une procédure de recouvrement.

Stephen Lord : L’affacturage change la donne concernant la compliance et l’ultime bénéficiaire car il y a un transfert du risque.

Stéphanie Jedrasiak : En effet, mais le vrai risque n’est pas pris sur le même acheteur. Que l’on soit sur un contrat d’affacturage confidentiel ou notifié, si le factor doit récupérer sa facture dans un pays où la subrogation n’est pas reconnue, le transfert n’aura pas lieu.

Jean-Paul Colombel : Chez TECOFI, si le client a la possibilité de nous ouvrir une lettre de crédit, nous privilégions ce dispositif.

Agnès Joly : La lettre de crédit peut paraître plus coûteuse que l’assurance crédit ou l’affacturage, mais elle a l’avantage de s’adapter à toutes les configurations.

Recouvrer à l’international

Guilherme Spadinger : Le recouvrement international doit prendre en compte les spécificités du pays du débiteur. Législation, contexte économique, pratiques locales, langue, culture… De nombreux paramètres influent sur la voie à emprunter pour recouvrer ses créances impayées. Rapidité d’intervention et proximité avec le débiteur sont les facteurs clés de succès du recouvrement.

En termes de réseau, nous recouvrons des créances sur plus de 200 pays. Nous nous appuyons à cet effet sur nos propres équipes de recouvrement, déployées localement, et sur nos partenaires locaux. Nous sommes mandatés pour recouvrer une créance et indemnisons notre client à l’issue d’une période de carence. Dans 92 % des cas, nous arrivons à recouvrer une créance à l’amiable. Si nous n’y parvenons pas, nous lançons une procédure judiciaire et parvenons alors à recouvrer la créance dans 95 % des cas. Il faut savoir que les trois quarts des procédures que nous menons aboutissent à un recouvrement de la créance dans un délai de six mois.

Nathalie Paris : Il existe des particularités propres au recouvrement à l’export. Autant en France, nous disposons d’un cadre juridique qui structure les processus de recouvrement de créances commerciales (LME, droit contractuel, injonctions de payer, tribunaux de commerce, etc.), autant nous n’en avons pas ou peu à l’export dans certaines zones géographiques. Comme nous sommes implantés localement, nous connaissons les us et coutumes des pays en la matière, les réseaux à activer pour recouvrer vite. Les processus ne sont ainsi pas les mêmes en Espagne ou en Allemagne par exemple. Notre expertise nous permet également de savoir dans quels pays il faut absolument passer par des procédures judiciaires et dans quels autres pays il vaut mieux privilégier la négociation amiable. Nous savons que dans les pays latins, la procédure amiable marchera, ce qui est moins le cas dans les pays nordiques où nous engageons plus facilement des recours judiciaires. En termes de coût de cette prestation, nous avons un barème qui s’applique au montant de la créance, quel que soit le pays.

Agnès Joly : Dans le cas d’une lettre de crédit, le recouvrement de créances passe par la banque de l’acheteur qui s’est engagé à payer pour le compte de l’acheteur (son client).

Jean-Paul Colombel : Pour nos clients, l’assurance crédit est un moyen de pression sur leurs acheteurs. S’ils ne nous paient pas dans les délais, ils savent que leur note va baisser et que cela peut les pénaliser dans leurs relations commerciales à venir.

Stephen Lord : Quelle que soit la démarche mise en œuvre pour recouvrer, il est important d’agir rapidement.

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