L’export représente cette année encore une belle opportunité de développement pour les entreprises françaises et continue de leur offrir de nombreux débouchés. Néanmoins, le contexte politique et économique actuel soulève de nombreux et de nouveaux risques, de change, de défaillance ou encore politiques, sur lesquels les entreprises doivent renforcer leur vigilance. Une démarche qui passe notamment par une meilleure sécurisation du poste client.
Les risques à l’export
Sarah N’Sondé, responsable des analyses sectorielles au sein de la direction de la recherche économique groupe chez Coface : L’amélioration du solde commercial de la France en 2018 est davantage le résultat d’une progression lente des importations que d’un fort développement des exportations. En 2019, nous ne nous attendons pas à ce que les exportations repartent dans une forte dynamique de hausse notamment en raison du ralentissement de l’économie mondiale et des conséquences du risque protectionniste qui perdure et impacte particulièrement la confiance des agents (consommateurs et entreprises). Dans cet environnement difficile, certains secteurs résistent mieux que d’autres. C’est en particulier le cas du secteur pharmaceutique, notamment grâce aux grands groupes français exportateurs qui sont spécialisés dans ce domaine-là et dont la production continue d’augmenter. Il est d’ailleurs assez contracyclique, contrairement à d’autres tels que l’automobile ou la chimie (qui comprend les segments pétrochimie et chimie de spécialité) qui pour leur part sont procycliques. Les conséquences du ralentissement économique mondial en cours, couplées à des défis structurels propres aux secteurs de la chimie et de l’automobile, ont conduit à une augmentation du risque sectoriel. Ceci s’est traduit par le déclassement de nos évaluations du risque sectoriel pour la chimie et l’automobile dans de nombreux pays. Les technologies de l’information et de la communication (TIC) continuent également d’offrir de belles perspectives à l’exportation, notamment en raison de la poursuite de la digitalisation de l’économie.
Stéphane Colliac, économiste senior en charge de la France et de l’Afrique chez Euler Hermes : En 2018, nous avons eu une croissance de 18 milliards d’euros des exportations de biens. En 2019, elle devrait encore être de 14 milliards d’euros. La croissance ralentit certes, mais reste néanmoins confortable. D’ailleurs, les exportations au premier trimestre 2019 ont déjà, par rapport à la même période en 2018, augmenté de 6 milliards d’euros (chiffre douanes). Concernant les secteurs, ce sont toujours les mêmes qui performent en 2019 par rapport à 2018 et dont les principaux sont l’équipement des transports et la chimie (2,5 milliards d’euros en plus anticipés pour l’ensemble de l’année 2019, notamment sur la pharmacie, la chimie de spécialité et la chimie de cosmétique). D’autres secteurs enregistrent également en ce début d’année de belles performances, à l’instar de l’agro-alimentaire. Du côté des pays, la Chine fait pour sa part 1,4 milliard de plus au premier trimestre, et le Royaume-Uni 1,8 milliard d’euros.
Laëtitia Aparicio, responsable de marché export chez Cofacrédit et du développement des partenariats chez Factofrance : D’un point de vue plus microéconomique et au regard de l’analyse des flux de facturation de nos clients exportateurs français, nous constatons toujours, en ce début d’année, une très grosse tendance à exporter vers les pays de l’OCDE, notamment vers l’Allemagne. Nous ressentons aussi une montée en puissance progressive des exportations vers les pays du Moyen-Orient et en particulier vers l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis ou Israël. Les échanges avec ces pays commencent à se fluidifier, notamment dans certains secteurs d’activités comme la pharmacie ou le luxe. D’autre part, malgré la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis, le volume des factures émises vers ces pays-là reste, en ce début d’année, orienté à la hausse : + 20 % vers les Etats-Unis (ce qui est d’autant plus significatif que les flux vers ce pays sont déjà traditionnellement importants) et + 5 % vers la Chine.
Stéphane Colliac : En 2018, la principale croissance de commerce de biens à l’export était vers les Etats-Unis avec 4,4 milliards d’euros. Nous sommes d’ailleurs passés en excédent commercial avec ce pays l’an passé. Cette année, ce sera certes difficile d’avoir la même croissance. Néanmoins nous anticipons encore une augmentation des exportations vers les Etats-Unis de 1,9 milliard d’euros.
Bruno Leray, directeur commercial de Coface France et Europe de l’Ouest : Nous constatons néanmoins, depuis le début de l’année, un ralentissement de la croissance de l’activité de nos assurés par rapport à la même période de l’année précédente.
Les principaux risques à l’export
Annie Flaux, vice-présidente de la commission ETI de l’association des trésoriers (AFTE) : Au-delà de ces opportunités, travailler à l’export expose l’entreprise à un certain nombre de risques. En premier lieu le risque de change : la fluctuation entre deux monnaies est complètement imprévisible et une entreprise peut se retrouver face à de mauvaises surprises et perdre rapidement ses marges sur un marché. Il convient ainsi d’être particulièrement vigilant sur la monnaie de facturation du client : est-elle délivrable, peut-on l’échanger facilement contre de l’euro ? De même, si une entreprise s’installe localement et facture en monnaie locale, elle doit bien regarder dans quelle devise elle remonte la marge, les problèmes de double imposition, de retenue à la source. Elle peut décrocher un beau marché à l’étranger mais remonter très peu de marge à sa maison mère en France. D’autre part, la monnaie peut être délivrable et transférable en France, mais est-elle couvrable, de quelle manière, avec quel instrument, sur quelle durée ?
Il faut également être vigilant sur les risques politiques par exemple les impacts des guerres, des émeutes, des élections : destructions d’équipements, ruptures de contrats, confiscations de biens, restrictions sur le transfert de monnaies, appels abusifs à caution, etc.
La compliance est pour sa part un nouveau risque qui apparaît actuellement. En France, avec la loi Sapin 2 qui lutte contre les risques de corruption et les trafics d’influences, les entreprises doivent être particulièrement vigilantes sur le choix de leurs partenaires ou agents commerciaux, de leurs clients (leur intégrité sur place) et du mode d’obtention des marchés. Il convient, sur ce sujet, de sensibiliser les différents acteurs de l’entreprise.
Les pays sous sanction financière doivent également faire l’objet d’une attention particulière. Ils peuvent certes présenter de belles opportunités. Pour autant, travailler avec des entreprises dans des pays sous sanctions financières peut générer de lourds impacts financiers.
Enfin, le risque d’impayés est également à surveiller de près.
Eric Latreuille, credit manager du groupe SGD et administrateur de l’Association française des credit managers et conseils (AFDCC) : Notre part de marché sur la zone européenne étant assez établie, nous cherchons aujourd’hui de nouveaux relais de croissance dans des pays plus lointains et exotiques. Nous devons donc faire un travail nouveau et assez important de recherche et d’analyse d’informations pour ensuite fixer des lignes de crédit en fonction des risques. Nous avons également, sur ces pays, de véritables enjeux en termes de recouvrement de créances. Ils ne sont en effet pas soumis aux mêmes réglementations que les entreprises françaises en termes de délais de paiement. Nous devons parfois batailler ferme pour nous faire payer avec le moins de retard possible et éviter une dégradation de notre DSO. Il s’agit d’un travail important qui mobilise toutes les équipes de credit management mais aussi les commerciaux. Sur des pays un peu plus compliqués, nous passons également par des agents que nous rémunérons uniquement quand le chiffre d’affaires de leur portefeuille client est encaissé, ce qui évite une dégradation forte des délais de paiement. Comme nous facturons à 90 % en euros et à 10 % en dollars, les risques de change sont plus limités mais nécessitent que l’équipe trésorerie mette en place des outils de couverture de change. Ces mesures ont un impact pour le recouvrement en dollars, car il faut en effet pouvoir délivrer une somme convenue à l’avance pour pouvoir être dans la couverture à la fin du mois. Enfin, les risques de compliance compliquent le travail du credit manager et peuvent impacter la rapidité des prises de décisions.
Les risques de change
Sarah N’Sondé : L’Argentine et la Turquie ont subi de sévères crises de change en 2018. Elles n’ont certes pas été les seules à être touchées par les importants mouvements de fuites des capitaux des pays émergents notamment liée à l’augmentation successive des taux directeurs de la banque centrale américaine (Fed : Federal Reserve) l’année passée, mais elles ont été des cas emblématiques. En effet ces deux économies partaient avec des comptes extérieurs déjà en difficulté, une part importante de leurs dettes publique et privée libellée en devises étrangères et des niveaux d’inflation élevés, qui se sont accentués.
Dans chacun des pays, des facteurs domestiques différents ont contribué à aggraver la situation. En Argentine, cela a été le cas avec certaines annonces du président Mauricio Macri qui n’ont pas été de nature à rassurer les marchés financiers. Cela a par exemple été le cas en août de l’année passée lorsque le président argentin a annoncé publiquement demander au FMI le déboursement de fonds en avance sur le prêt de 50 milliards de dollars contracté par le pays. Suite à cette annonce, le peso argentin a dévissé d’environ 13 % en une journée et la banque centrale a été contrainte de fortement augmenter ses taux.
Les tensions entre les présidents turc et américain sur de nombreux dossiers y compris géopolitiques ont conduit à la mise en place de sanctions des Etats-Unis sur la Turquie l’été passé, ce qui a eu un «effet catalyseur» sur la crise de change dans le pays. Ces sanctions se sont concrétisées par le doublement des tarifs douaniers pour les importations de métaux en provenance de Turquie à hauteur de 50 % pour l’acier et 20 % pour l’aluminium. Après une certaine accalmie en fin d’année dernière, les difficultés se poursuivent pour ces deux économies, qui rencontrent des difficultés à se remettre de ces crises de change. Notre prévision d’inflation pour l’Argentine est de 32 % en moyenne en 2019 et nous nous attendons à une récession cette année dans le pays. En conséquence, des mouvements de dépréciation du peso apparaissent à nouveau. A cela s’ajoutent les impacts éventuels des prochaines élections générales prévues à l’automne prochain et à l’issue desquelles il pourrait y avoir un changement de gouvernance. Les mouvements de dépréciation de la livre turque se poursuivent également dans un contexte de nouvelles incertitudes politiques et de potentielles tensions géopolitiques, ainsi que la réduction du niveau de la production industrielle (qui compte pour 20 % du PIB turc). L’inflation en Turquie reste élevée, nous l’anticipons à environ 17 % en moyenne cette année. Nous nous attendons à une croissance économique de 1,2 % en Turquie cette année (contre environ 3 % en 2018). Ce sont donc deux économies à surveiller.
Laëtitia Aparicio : Dès lors qu’une entreprise travaille à l’export et facture dans une devise autre que l’euro, elle est potentiellement exposée à un risque de change. Avec le Brexit, le risque de change sur les exportations vers le Royaume-Uni pourrait, dans les mois à venir, se renforcer. En effet, alors qu’une souplesse s’était installée avec certaines entreprises locales qui acceptaient de plus en plus d’être facturées en euros, nous nous rendons compte qu’un phénomène inverse est en train de se mettre en place : les exportateurs français qui travaillent avec le Royaume-Uni se voient de plus en plus contraints par leurs clients anglais de facturer en livres sterling, ce qui génère notamment des difficultés à se faire régler sur des comptes bancaires en France et donc des frais supplémentaires. Cela engage les exportateurs français à trouver des mesures pour minimiser le coût et continuer à faire que les échanges se fassent en toute fluidité. Des outils pour se prémunir contre le risque de change sont effectivement proposés par les banques. Cofacrédit propose un accompagnement via la mise à disposition d’un compte centralisateur local permettant aux clients anglais de payer sur place, mais aussi en proposant des solutions de couvertures contre le risque de change. En qualité de factors, nous intervenons sur le cycle de la facture ; nous pouvons ainsi, au moment où nous achetons une facture en livres sterling, nous engager sur un montant de délivrance en euros en face de cette facture. C’est ce que nous appelons une avance en devise. Nous nous chargeons du recouvrement de cette facture et du débouclage de l’opération afin que l’entreprise ne soit pas impactée par l’évolution de cours de la devise entre le moment où elle a facturé et le moment où son client règle. Nous intégrons cette prestation dans le cycle de gestion de la facture. Il s’agit d’une option à laquelle l’entreprise peut avoir recours ponctuellement en fonction de ses besoins et du type d’opération réalisée.
Eric Latreuille : Dans notre entreprise, nous utilisons ces garanties pour sécuriser les risques de contre-valeur. Cela nous permet notamment de respecter les niveaux de marge et les résultats annoncés à nos actionnaires.
Laëtitia Aparicio : Certaines entreprises choisissent de prendre le risque de ne pas se couvrir, voire spéculent sur ce risque. D’autres vont facturer en dollars et conserver ces derniers leur permettant ainsi de payer tout ou partie de leurs achats dans cette même devise.
Les risques de défaillances d’entreprise dans le monde
Alice de Brem, directeur commercial et marketing et membre du comité exécutif d’Euler Hermes France : Concernant les défaillances d’entreprise à l’international, nous en constatons pour la troisième année consécutive une augmentation : + 6 % en 2017, +8 % en 2018 et nous attendons encore à une croissance de + 7 % en 2019. L’augmentation reste assez sensible et touche certaines zones en particulier telles que l’Asie-Pacifique dont les volumes de défaillances, après une croissance de près de 35 % en 2018, devraient encore augmenter de 16 % en 2019. Ou encore l’Amérique latine, qui pour sa part, après 32 % en 2018, devrait subir une nouvelle hausse des défaillances de 3 % en 2019. D’autre part, les pays d’Europe centrale et de l’Est, cible traditionnelle des exportateurs français, vont de nouveau présenter une augmentation des défaillances de +3 % en 2019. La situation globale se tend sensiblement même si certaines régions s’en sortent un peu mieux, comme par exemple l’Amérique du Nord, pour laquelle nous tablons sur une stabilité du nombre de défaillances. Globalement, le risque d’impayé se renforce nettement. Nous notons par ailleurs toujours un nombre important de défaillances sur les entreprises de plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires notamment dans les secteurs de la construction, du retail et de l’agro-alimentaire. Par exemple, dans la construction, nous avons enregistré 60 cas de défaillances de grandes entreprises dont 20 en Asie au T1 2019. Sur le retail nous avons 21 cas sur 51 en Europe de l’Est.
Bruno Leray : Nous constatons en effet collectivement un regain de nombre de défaillances d’entreprises, en particulier dans les secteurs de la construction ou encore chez les équipementiers automobiles. Le volume des défaillances d’entreprises augmente également dans certains pays d’Europe de l’Ouest, en particulier l’Italie. Une tendance qui, dans ce pays, est notamment la conséquence des délais de paiement, traditionnellement longs.
Stéphane Colliac : En Italie, les délais de paiement ont en moyenne augmenté de 5 jours l’année dernière pour atteindre 86 jours.
Eric Latreuille : L’Italie compte de nombreuses entreprises familiales qui, en raison des tensions économiques actuelles du pays, ont du mal à financer leur BFR et tirent donc sur leurs délais de paiement.
Laëtitia Aparicio : Les pays d’Europe du Nord continuent quant à eux à payer dans des délais raisonnables même si ceux des entreprises anglaises tendent actuellement à augmenter légèrement. D’autre part, plus nous nous éloignons de nos frontières, plus nous serons sujets à l’allongement des délais de règlement qui seront impactés par les délais de transport des marchandises. Les délais de règlement ne seront pas considérés par rapport à la date figurant sur la facture mais par rapport à celle de la livraison des biens.
Bruno Leray : Les entreprises issues des pays d’Europe du Sud tirent actuellement davantage sur les délais de paiement et la fréquence des sinistres tend à s’y accentuer.
Les risques politiques
Sarah N’Sondé : Parallèlement à la vigilance sur les défaillances d’entreprises, il est également utile pour les exportateurs français de surveiller les risques politiques. Certains pays sont en conflit ou font l’objet de situations sécuritaires très instables, à l’instar par exemple du Yémen ou de l’Afghanistan dont l’évaluation risque pays Coface est de E. L’un des enseignements de notre modèle de risque politique 2018 (basé sur des données 2017) est que, après avoir fortement augmenté en 2014 et 2015, le risque politique reste à un niveau élevé au niveau mondial.
Bruno Leray : Malgré ces risques, les assureurs crédit peuvent s’engager dans des pays plus exotiques, sous réserve qu’ils aient une bonne compréhension de l’assuré et de l’acheteur.
Stéphane Colliac : Certains risques politiques touchant nos pays voisins sont à ne pas négliger. C’est notamment le cas du Royaume-Uni avec le Brexit et de l’Italie. En Afrique, certains pays exportateurs de matières premières (pétrole, métaux industriels) tels que l’Algérie, l’Afrique du Sud ou l’Angola ont vu leur notation dégradée par Euler Hermes. A l’inverse, nous avons d’autres pays d’Afrique qui, après des élections, vont mieux. C’est le cas du Ghana, de la Côte d’Ivoire, du Kenya ou encore du Rwanda. Ce dernier est l’un des pays d’Afrique les mieux notés chez nous. Enfin il est également important d’associer aux risques politiques toutes les normes qui sont ou vont être mises en place pour lutter contre le réchauffement climatique. Elles peuvent vulnérabiliser des secteurs et des entreprises et faire en sorte qu’un modèle qui n’a pas évolué assez vite vienne lourdement pénaliser l’économie d’un pays. C’est notamment le cas de l’automobile mais aussi des télécoms pour lesquels le passage de la 4G à la 5G impose un temps plus long qu’à l’accoutumée sans nouveau modèle. Certains pays, parce qu’ils sont protectionnistes ou capitaliseront sur les normes de compliance en la matière, en profiteront pour tirer la couverture à eux, à l’instar des Etats-Unis actuellement. Nous continuons ainsi à avoir une hausse du nombre de mesures protectionnistes sur des secteurs tels que l’agro-alimentaire, l’automobile, etc. Par exemple, si nous avons un Brexit sans accord, le secteur de l’automobile est celui sur lequel les tarifs douaniers seront le plus élevés avec 10 %.
Sarah N’Sondé : En fonction de la situation politique et de l’historique d’un pays donné, les moments d’élections peuvent être des périodes qui voient s’accroître le risque politique. Par exemple, en Turquie, le président Erdogan a décidé de faire revoter les élections municipales à Istanbul. Ceci est de nature à entretenir la défiance des marchés financiers vis-à-vis de la livre turque, en alimentant la perception d’incertitudes politiques. Dans le même temps, les craintes d’un regain de tensions géopolitiques avec les Etats-Unis pèsent sur la perception d’augmentation des risques politiques dans le pays. Les récents événements en Algérie illustrent également le risque politique. Nous n’avons pas été surpris par les événements de cette année dans la mesure où nous avions publié dans nos analyses les risques liés à la situation de fracture entre le pouvoir et la population, comme un point de faiblesse sur son évaluation risque. De plus, nous avons déclassé deux fois l’évaluation du risque pays de l’Algérie sur les trois dernières années. A l’inverse, par exemple, il n’y a pas de risques attendus sur les élections à venir en octobre prochain au Botswana.
Les impacts financiers des risques à l’export
Alice de Brem : Une grande majorité des exportateurs français est consciente que l’impayé représente l’un des risques principaux à l’export. 58 % des entreprises interrogées dans le cadre de notre baromètre export 2018 qualifient ce risque comme étant le principal à l’export. En effet, il engage de facto leur trésorerie (car la facture n’est pas encaissée) et donc leur activité. Par exemple, pour une entreprise qui a un taux de marge bénéficiaire de 1 %, un impayé sur une facture de 3 000 euros va nécessiter la recherche de 300 000 euros de chiffre d’affaires complémentaire. Une démarche qui va mobiliser les équipes commerciales, des investissements pour récupérer du chiffre d’affaires… L’implication doit être sur tous les champs de l’entreprise : la finance, l’administration des ventes, le credit management, le commerce. En effet, ce sont les commerciaux qui sont sur le terrain qui vont permettre de qualifier et de cibler au mieux les bons et les moins bons clients pour minimiser le risque d’impayés et identifier les potentiels de développement.
Eric Latreuille : Les impacts d’un impayé en termes de chiffre d’affaires montrent bien les efforts que doivent faire toutes les équipes de l’entreprise ne serait-ce que pour arriver au niveau égal à ce qui avait été annoncé. Parfois, cela nécessite même d’augmenter le chiffre d’affaires sur des clients qui étaient moyennement risqués et donc, de prendre un risque supplémentaire sur ces clients avec toutes les conséquences que cela peut générer.
Bruno Leray : Sans compter que pour un certain nombre de petites entreprises qui exportent, il s’agit d’une question de survie. Un retard de paiement ou une défaillance peut avoir un impact direct sur leur trésorerie voire les conduire à une défaillance.
Laëtitia Aparicio : C’est d’ailleurs un peu le reflet de la physionomie des exportateurs français : nous avons 90 % en nombre des exportateurs français qui font moins de 200 000 euros de chiffre d’affaires à l’international et 1 000 entreprises exportatrices qui réalisent 70 % des volumes d’export. La frange du bas, qui est très nombreuse, est aussi très fragile : le moindre impayé peut leur être fatal ! Rappelons à ce sujet qu’un impayé est à l’origine d’un dépôt de bilan sur quatre.
Annie Flaux : Le risque de change peut impacter la marge de l’entreprise si la devise de facturation se dévalue contre l’euro. Ce risque se couvre relativement facilement soit auprès d’une banque, soit auprès d’un factor, soit à l’aide d’une plateforme de change. En revanche, pour les entreprises qui répondent à un appel d’offres, le risque de change n’est alors pas forcément très bien appréhendé par les commerciaux. En effet, une entreprise qui répond à un appel d’offres avec un prix en dollars ou dans une autre devise ne saura parfois si elle a gagné son marché que plusieurs mois plus tard. Quand elle commencera alors à produire et à livrer, le taux de la devise peut avoir évolué défavorablement et toucher la marge prévue par l’entreprise. Il s’agit d’un risque qui se couvre auprès de salles de marché ou de BPI, par des options «contingentes», mais cela a un coût que les commerciaux ne veulent pas souvent intégrer dans leur prix de vente, dans la mesure où ils ne sont pas sûrs de remporter le marché. D’autant que si le marché est perdu, il faudra tout de même payer ce coût. Ne pas couvrir le risque peut avoir des conséquences assez importantes.
Le risque politique peut pour sa part entraîner une suppression des équipements ou d’une usine, l’interruption d’un contrat, etc. Il faut passer une perte dans les comptes de résultats qui peut affecter la rentabilité financière de l’entreprise. Au-delà de la perte du chiffre d’affaires sur ce marché, un risque politique peut générer une perte sur la trésorerie, notamment pour l’entreprise qui aura investi dans un équipement, en matières premières, dans la production, dans un crédit qu’il faudra continuer à rembourser.
Bruno Leray : Le risque politique peut être couvert par les assureurs crédit.
Annie Flaux : A l’export, une entreprise peut aussi être confrontée à des risques de volume. Par exemple, un constructeur automobile souhaitant se développer à l’international peut demander à ses équipementiers d’investir dans la construction d’une usine dans un pays étranger. Ces derniers montent un financement pour investir localement et, dès lors que le retour sur investissement n’est pas celui escompté, leur rentabilité est affectée et la trésorerie dégagée insuffisante pour faire face aux remboursements du financement.
Enfin, une entreprise qui travaille sans autorisation avec un pays sous sanction : dès lors qu’une entreprise demande le moindre prêt bancaire, elle doit déclarer l’ensemble de ses activités réalisées auprès de pays sous sanction. Elle pourra alors, en raison de ses activités réalisées avec des pays sous sanction, se voir opposer un refus de la banque. Cela peut stopper la possibilité d’obtenir des financements pour le développement de l’entreprise.
Eric Latreuille : Sur le contrôle des flux, les contraintes sont beaucoup plus fortes qu’elles ne l’étaient au niveau des banques.
Sécuriser son poste client à l’export
Alice de Brem : Exporter c’est avant tout investir. Sécuriser son investissement est une nécessité vitale pour l’entreprise. Dans le cadre de cette démarche, l’information est une première brique minimum. Cela passe en premier lieu par la qualification du pays vers lequel l’entreprise veut exporter. Il existe à cet effet des données disponibles auprès des assureurs crédit, des études économiques pour cibler les pays et tenir compte de leurs obligations légales et spécificités. Ensuite il convient de s’informer sur la qualité de l’information disponible sur les acheteurs, sur les prospects identifiés. En France, nous avons des entreprises qui, en grande majorité, sont assez transparentes sur leurs données financières. Il est assez facile de se faire une première idée sur la qualité de son prospect. C’est en revanche souvent plus compliqué à l’export car nous n’aurons pas le même type de données ou la même qualité d’information en fonction des pays. Par exemple, en Chine l’information n’est pas centralisée donc assez compliquée à trouver. Aux Etats-Unis, les entreprises ne sont pas obligées de publier… Donc, sur tous ces pays-là, il est conseillé de faire appel à des spécialistes de l’information qui ont une organisation leur permettant de récupérer cette information au plus près du risque.
Le second aspect sur lequel l’exportateur doit se pencher, et ce en particulier s’il n’est pas assuré crédit ou s’il ne recourt pas à un factor, c’est le recouvrement de créances. Il faut que l’exportateur, dans le cadre de cette réflexion, essaie d’identifier les pays sur lesquels le recouvrement sera plus ou moins complexe et quelles sont les spécificités. Une fois encore, nous conseillons fortement aux exportateurs de faire appel à des spécialistes du recouvrement comme les assureurs crédit qui ont des implantations locales et des experts sur place spécialisés en la matière.
Enfin, l’assurance crédit, qui inclut les deux services mentionnés au préalable, permet à l’entreprise de préserver sa trésorerie. A l’issue de l’impayé, qu’il soit juridique ou non, l’entreprise assurée bénéficie d’une indemnisation qui lui évite de se retrouver en situation de trésorerie difficile.
Bruno Leray : Avec l’assurance crédit, l’entreprise externalise le credit management. Comme l’assureur crédit dispose de millions de données sur les entreprises, et ce dans la quasi-totalité des pays, il est en effet capable d’évaluer quels niveaux de risques il peut prendre sur chaque créancier potentiel. Il est ensuite capable de gérer, pour le compte de l’entreprise, le recouvrement de ses créances dans n’importe quel pays, ce qu’une entreprise dont ce n’est pas le métier aura du mal à réaliser. L’assureur crédit peut également adapter ses processus de recouvrement en fonction des réglementations locales sur, par exemple, les délais de paiement. Enfin, l’assureur crédit peut prêter main forte aux entreprises en matière de compliance (KYC, etc.) car les réglementations deviennent de plus en plus exigeantes et matière de spécialistes.
Laëtitia Aparicio : En plus de la sécurisation et du financement, l’activité des factors consiste à proposer des services de recouvrement. A cet effet, dans notre département Cofacrédit, nous nous appuyons depuis plus de 45 ans sur nos équipes internes : des agents polyglottes, rompus aux us et coutumes du pays sur lesquels ils sont amenés à faire de la relance et du recouvrement, en tenant compte de la langue et des pratiques commerciales. Notre objectif consiste notamment à détecter les éventuels litiges en amont et à faire en sorte que le règlement soit effectué à la date prévue. En accompagnement de ces processus, nous mettons à disposition des entreprises différents outils : le baromètre des comportements de paiement basé sur l’observation des délais de paiement des acheteurs de nos clients à travers le monde, et des équipes capables de conseiller les entreprises pour sécuriser leur poste client, en adaptant les modes de règlement à utiliser en fonction du pays vers lequel elles exportent (crédoc, virement, riba en Italie…).
Bruno Leray : Les assureurs crédit ont également développé des produits qui permettent aux credit managers de prendre des décisions sans que nous soyons nécessairement interrogés sur le risque. En deçà de certains montants et pourvu que la procédure de credit management de l’entreprise soit validée par l’assureur crédit, cela permet à ces entreprises de nous demander un accord de garantie, mais aussi de travailler en toute fluidité.
Eric Latreuille : A partir du moment où nous exportons dans 85 pays, l’assurance crédit est une réponse naturelle et efficace à différents niveaux et notamment en matière de recouvrement. Cela nous permet de gagner du temps et de nous appuyer sur des spécialistes métiers natifs des pays vers lesquels nous exportons et sachant décrypter rapidement la relation commerciale qui s’instaure entre débiteurs et créanciers. D’autre part, dès lors que nous sommes sûrs d’avoir une garantie in fine par rapport à une créance, notre taux de provision est adapté en conséquence. Il s’agit d’un aspect intéressant en interne car on ne charge pas les résultats futurs en termes de risque anticipé par une provision à 100 %.
Annie Flaux : L’avantage de l’assurance crédit repose notamment sur la qualité de l’information sur le client débiteur. En effet, les résultats financiers que nous recevons directement du client ne veulent pas forcément dire grand-chose. Pour mieux les qualifier, il est nécessaire, par exemple, de savoir dans quel contexte ils ont été réalisés, de les traiter, de les arbitrer, de connaître les habitudes de paiement du client concerné, etc. Cela nécessite d’avoir des équipes en interne dédiées à la recherche, à la consolidation et à l’analyse de ces données, ce dont les ETI ne disposent pas forcément. C’est ainsi plus confortable, pour ces entreprises, de se tourner vers un assureur crédit plutôt que de réaliser elles-mêmes toutes ces démarches. A contrario, les clients peuvent être des Etats. C’est notamment le cas dans les travaux publics. L’entreprise ne va donc pas forcément chercher à couvrir ces clients qui peuvent être financés par la Banque mondiale ou d’autres grands bailleurs de fonds car au-delà du risque politique, le risque d’impayé est considéré comme faible.
Alice de Brem : Sur cette partie travaux publics, comme sur d’autres opérations moyen terme à l’export avec des acteurs privés et publics, nous avons identifié un besoin nouveau des entreprises exportatrices. En effet, celles-ci ont parfois besoin d’être couvertes sur des opérations uniques allant jusqu’à 60 mois. La qualité de l’acheteur doit alors être identifiée sur la totalité de cette durée. Quel sera, au-delà de la solvabilité de l’acheteur, l’état de son marché local à cette échéance ? Quelle est la situation politique du pays ? Comment sommes-nous capables d’apprécier un risque à cinq ans ? Il s’agit d’un nouvel enjeu auquel Euler Hermes répond depuis quelque temps avec une offre d’assurance crédit moyen terme. Cette solution couvre les entreprises sur des opérations ponctuelles qui s’étendent jusqu’à 60 mois, dans tous les pays du monde, contre le risque d’impayé et d’interruption du contrat. Cela permet aux exportateurs de saisir d’importantes opportunités pour lesquelles ils ne faisaient pas appel à de l’assurance crédit jusqu’ici, mais plutôt à des cautions locales et à des garanties bancaires, de plus en plus difficiles à obtenir.
La caution, justement, est un outil essentiel pour remporter des marchés à l’étranger et rassurer les donneurs d’ordres.
Financer le cycle d’exploitation à l’export
Annie Flaux : Pour financer le besoin en fonds de roulement au niveau de l’export, les entreprises peuvent mettre en place des lignes de crédit, soit depuis la France, soit, si l’export se fait via une implantation locale ou une filiale, via des relais de banques françaises qui proposent localement des lignes de crédit ou de l’escompte. Les entreprises ont la possibilité également de se financer par de l’affacturage, mais c’est encore vécu par certaines ETI comme étant une solution coûteuse en termes de commission d’affacturage ou de retenue de garantie. Pour les ventes plus ponctuelles, le crédoc est aussi une bonne solution. Certes, il s’agit d’une solution lourde, coûteuse et complexe à mettre en place ; néanmoins, elle sécurise et protège le vendeur et l’acheteur.
Laëtitia Aparicio : En 2018, l’affacturage était le mode de financement court terme privilégié devant le découvert, avec 33 milliards d’encours financés et 320 milliards d’euros de créances achetées, soit 10 % de plus qu’en 2017. Ces dix dernières années, l’affacturage a bien évolué en termes de coûts, ils ont été significativement diminués, tout en devenant de plus en plus accessibles grâce à la digitalisation proposée. Cette technique de financement est une solution plébiscitée par beaucoup d’entreprises, en particulier à l’export, où les besoins de financement du BFR sont plus importants au regard des délais de paiement, généralement plus longs. D’autre part, cette solution est aussi bien adaptée aux petites entreprises en phase de démarrage qu’à celles de taille plus significative qui cherchent des solutions d’affacturage leur permettant de garder la main sur leur recouvrement, leurs encaissements, sans en aviser les clients. L’affacturage sera confidentiel et le factor n’apparaîtra pas dans la relation avec le client. L’objectif, au travers des différentes prestations des factors, consiste à rester en phase avec les besoins de l’entreprise, de manière souple et évolutive, et ce, quelle que soit l’étape de son cycle de vie (croissance, maturité, retournement…). Enfin, notre accompagnement ne se limite pas à la société de droit français qui exporte, mais s’étend à celle qui se développe par l’implantation de sociétés filiales à l’étranger et qui peut avoir des besoins de financement de son cycle d’exploitation en local.
Eric Latreuille : L’affacturage a clairement évolué. Cette solution n’est plus aussi contraignante et coûteuse qu’auparavant. Elle est devenue modulaire et flexible. Avec l’affacturage confidentiel que nous avons utilisé dans le passé, nous étions maîtres de nos actions de recouvrement et de la relation clientèle, tout en bénéficiant de financement pour le poste client.
Bruno Leray : Les assureurs crédit sont partenaires des factors. Nous venons en couverture de leurs opérations d’affacturage.
Alice de Brem : D’ailleurs, pour les entreprises qui n’ont pas la volonté de financer l’intégralité de leur portefeuille, nous avons développé l’API Single Invoice Cover. Cette API vient se brancher sur les systèmes des factors et des banques. Ces derniers vont alors pouvoir nous interroger sur le niveau de risque de la facture qu’ils souhaitent acquérir, et obtenir une proposition de garantie tarifée et immédiate sur cette facture. Ainsi, le financement accordé par la banque/le factor à l’entreprise, qui est adossé à une garantie, se fera très rapidement.
Laëtitia Aparicio : Il s’agit d’une offre complémentaire par rapport aux solutions traditionnelles d’affacturage, qui couvre un type de besoin différent. En matière de solutions innovantes de financement adossé aux actifs de l’entreprise, Factofrance propose des solutions de financement des stocks. Cela permet d’apporter un levier financier supplémentaire, en complément de la ligne d’affacturage mise en place.