Les professionnels de l’épargne salariale font preuve d’un optimisme mesuré avec le vote de la loi Pacte. S’ils se réjouissent de nombreuses avancées, et en particulier de la baisse du forfait social pour les TPE et PME, ils s’interrogent sur l’organisation des différents mécanismes dans le cadre du futur plan d’épargne retraite. Les participants à notre table ronde se réjouissent de voir leur rôle de conseil prendre de l’ampleur, alors que la diversification de la gestion financière est un impératif.
- Première année de la loi Pacte, une révolution de l’épargne salariale a-t-elle déjà débuté ?
- La suppression du forfait social pour les petites et moyennes entreprises est-elle susceptible de changer la donne et d’entraîner une forte hausse des primes ?
- Avec le débat sur le pouvoir d’achat, faut-il espérer ou redouter des changements ? Par exemple, une révision de la formule de participation, une augmentation des obligations de partage des profits, ou la possibilité de récupérer l’épargne salariale plus
- La loi Pacte introduit un nouveau produit d’épargne retraite, le PER, qui inclut aussi le Perco. Que va-t-il se passer concrètement ?
- Les souscripteurs d’un Perco peuvent sortir en capital sans être imposés. Doit-on craindre une évolution négative avec l’arrivée du PER, notamment un durcissement de la fiscalité en capital ?
- Pour nombre de salariés, l’épargne salariale apparaît toujours complexe, notamment lors des choix financiers. Comment les aider à prendre les bonnes décisions ?
Première année de la loi Pacte, une révolution de l’épargne salariale a-t-elle déjà débuté ?
Cécile Besse Advani, directrice de la stratégie et du développement, BNP Paribas E&RE : Ce n’est pas une révolution, c’est un alignement des planètes, qui complète et amplifie les mesures initiées par Emmanuel Macron, lorsqu’il était ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique en 2015. C’est un moment unique, qui correspond à une harmonisation et une mise en perspective de l’ensemble des dispositifs d’épargne salariale et d’épargne retraite, destinée à mieux les organiser, afin d’offrir une meilleure lisibilité. Elle vise aussi à l’élargissement des dispositifs au sein de la population. Elle comprend deux dispositions phares. Tout d’abord, le partage de la valeur au sein de l’entreprise. C’est la reconnaissance de sa place dans la société qui la positionne désormais au centre du jeu, grâce au développement de l’actionnariat salarié et à la baisse du forfait social. C’est important au regard de la démographie et du vieillissement de la population et au fait qu’elle permettra plus facilement d’accéder à une épargne retraite.
Deuxièmement, la loi prévoit l’ouverture des flux d’épargne salariale vers d’autres dispositifs, comme le PERE (plan d’épargne retraite d’entreprise). C’est un changement très structurant, puisque les flux qui nourrissent l’épargne salariale proviennent principalement de l’intéressement et de la participation. Ils pourront basculer sur le PERE.
Reste à attendre les ordonnances pour savoir comment cela sera organisé. Il existe beaucoup de points à éclaircir.
François Dillemann, directeur du développement corporate et institutionnels, CIC Epargne Entreprise : C’est une petite révolution. Elle a déjà commencé grâce à la suppression du forfait social pour les TPE et PME. On voit aujourd’hui des réseaux bancaires et des nouveaux entrants, en particulier des «fintech», s’organiser pour capter ce marché de la TPE, qui va de plus en plus accéder à ces produits d’épargne salariale et retraite. La loi offre la possibilité à l’ensemble des intervenants, assureurs et sociétés de gestion, d’offrir des dispositifs d’épargne retraite. Il faut également saluer la volonté de rationaliser les dispositifs en deux catégories, d’une part les outils collectifs, l’article 83 et le Perco, et d’autre part les outils individuels avec le PERP et le Madelin. Cela va générer un vrai changement, pas tant sur le fond que sur l’organisation des différents acteurs.
La transférabilité des outils au sein du PER est également une nouveauté de taille. Elle suscite toutefois bien des interrogations, puisque les supports d’investissement proposés par les différents acteurs sont différents. Il y aura, là, un gros travail d’harmonisation à réaliser.
Patrick Leroy, directeur général délégué, Agrica Epargne : C’est une bonne nouvelle. Elle ne révolutionne pas en profondeur les dispositifs d’épargne salariale, mais elle apporte des nouveautés, en particulier pour les TPE-PME. Le législateur cherche à encourager les petites entreprises à se tourner vers l’épargne salariale. En effet, seulement 16 % des salariés d’entreprises de moins de 50 salariés y ont accès. Dans la loi Pacte, avec la baisse du forfait social est affichée cette idée, intéressante, de repenser le fonctionnement de l’entreprise et le partage de la valeur du travail à travers l’amélioration des dispositifs liés à l’intéressement et à la participation. Elle envoie un signal positif et la jeune génération de dirigeants est partante. L’entreprise n’est plus un centre de profits pour les seuls actionnaires et associés, elle le devient aussi pour les salariés.
Guillaume Meyer, directeur épargne et retraite d’entreprises, Groupama GAN Vie : On peut parler aussi d’une évolution ou d’une révolution sur le conseil que les acteurs vont devoir apporter aux entreprises en matière d’épargne salariale et d’épargne retraite. En termes de packaging, d’offre, cela va conduire à coupler plus fréquemment l’épargne salariale avec les dispositifs de retraite comme l’article 83, qui se révèlent extrêmement complémentaires.
Les acteurs en place et les nouveaux entrants vont devoir renforcer leur obligation de conseil, jusqu’à l’épargnant-salarié final. Le conseil ne sera donc plus le parent pauvre de l’épargne d’entreprise et les salariés seront mieux accompagnés.
Hubert Clerbois, président, EPS Partenaires : L’application de la loi va s’étaler dans le temps. Une première partie est arrivée avec les forfaits sociaux réduits pour les TPE et les PME. Sur le terrain, les équipes commerciales vont aller «attaquer» de toute part les patrons de PME, qui seront aussi dans le viseur des nouveaux entrants. Avec des acteurs qui, demain, envisagent de faire du tout digital, l’évolution sera sensible.La loi Pacte n’étant pas encore votée, nous constatons un attentisme dans les grandes entreprises. Il durera tant que les décrets et ordonnances ne seront pas parus, notamment sur les aspects fiscaux et sociaux.
La suppression du forfait social pour les petites et moyennes entreprises est-elle susceptible de changer la donne et d’entraîner une forte hausse des primes ?
Christophe Juste, directeur commercial, Epsens : Le gouvernement n’a pas attendu la loi Pacte pour soutenir l’épargne, et notamment l’épargne salariale. La suppression du forfait social est effective depuis le 1er janvier. Elle aura un impact, mais il ne sera certainement pas spectaculaire, au moins dans un premier temps. En tout cas, l’un des objectifs de la loi Pacte, pour les entreprises de moins de 250 salariés, est d’essayer de faire bénéficier les salariés de dispositifs de partage des profits. Aujourd’hui, 1,4 million de personnes en bénéficient ; l’objectif est d’atteindre 3 millions. Cela va être à la fois simple et compliqué.
Les acteurs vont mener des actions de sensibilisation, mais nous n’y arriverons pas seuls. Je me réjouis de voir que le gouvernement va apporter son aide, en particulier avec des accords «clé en main» dont les entreprises pourront s’emparer facilement. Le Medef et la CPME vont aussi sensibiliser leurs adhérents. Les experts-comptables pourraient également avoir un rôle accru et opportun pour conseiller les TPE et PME. Une mission grandement facilitée par la suppression du forfait social pour bon nombre d’entreprises. Pour faciliter la généralisation de ces dispositifs, d’autres pistes seront testées, telles que les souscriptions en ligne, la digitalisation, les offres packagées plus simples. Mais il faudra du temps pour cela se traduise dans les actes. A terme, il est certain que l’épargne salariale va toucher un plus large public. Le PER, dans sa version collective (article 83 et Perco par exemple) a un avenir radieux, d’autant que 76 % des salariés estiment que l’entreprise doit les accompagner pour la préparation de leur retraite.
Guillaume Meyer : L’épargne salariale reste le dispositif le plus favorable si l’on observe le coût pour l’employeur et le gain net pour le salarié. C’était déjà le cas avec le forfait social à 20 %, ça l’est encore plus aujourd’hui pour les entreprises qui en sont exonérées.
Cette modification pourrait faire basculer les budgets des entreprises, et en particulier vers l’abondement du Perco ou sa nouvelle déclinaison prévue avec la loi Pacte, non taxé, au détriment de l’article 83 qui continuera de subir un forfait social. Au-delà de la baisse du forfait social, ces mécanismes seront encouragés par la médiatisation organisée par le gouvernement. Les syndicats d’entreprises sont eux aussi en train de s’approprier ces mécanismes et vont créer un «effet de souffle». Enfin, la mise en place des dispositifs sera facilitée, puisque le gouvernement propose d’ores et déjà des accords type de participation et d’intéressement, bien faits et très didactiques. On attend aussi beaucoup des accords de branches.
Il ne faut pas pour autant prévoir une augmentation des primes de 20 %, qui compenserait la disparition du forfait social, car dans les TPE, le quotidien des dirigeants ne se résume pas à l’optimisation des rémunérations périphériques. Pour celles qui sont déjà équipées, dans un contexte de forte demande de pouvoir d’achat, cette baisse pourrait toutefois se traduire par une augmentation des primes, sans coût supplémentaire. Pour celles qui ne sont pas équipées, c’est une raison de plus de se lancer.
Cécile Besse Advani : Le fait que deux «ambassadeurs» soient nommés par le gouvernement pour favoriser la diffusion de ces dispositifs est également un signal fort. Il est rare que l’Etat facilite la promotion des mesures d’une nouvelle loi. Cela prouve l’importance qu’il y attache. Cette loi protéiforme coche plusieurs cases de progrès.
Hubert Clerbois : Lorsqu’un employeur donne une prime salariale brute de 1 000 euros à un salarié, cela lui coûte 1 500 euros avec les charges patronales, et le salarié perçoit au final environ 650 euros nets (après charges sociales et impôt). Dans l’épargne salariale, pour le même coût employeur, avec un forfait social à 20 %, le salarié touche 1 129 euros de prime nette. Avec un forfait social à 0, on passe à 1 354 euros nets. Cela va-t-il conduire à une augmentation des primes, dans la mesure où les entreprises maintiendraient le même budget ? Rien n’est moins sûr. En revanche, des TPE qui n’ont rien aujourd’hui et qui se posent la question de faire quelque chose, seront incitées à s’y lancer. La baisse du forfait social sur l’actionnariat salarié, et l’augmentation de la décote, est aussi à mentionner. Si la baisse du forfait social est à saluer, l’environnement est désormais compliqué, car plusieurs niveaux coexistent : 0, 8, 10,16 et 20 %. Une entreprise de moins de 250 salariés peut avoir le forfait à 0 % sur son intéressement, à 20 % sur le reste, mais 16 % pour les sommes dirigées vers un Perco «plus» (avec gestion pilotée), et l’employeur ne le sait qu’une fois que le salarié a choisi de verser dans l’une ou l’autre enveloppe. Il aurait été préférable de baisser le forfait, par exemple à 8 %, pour toutes les formules. On construit une énorme usine à gaz.
Patrick Leroy : Incontestablement, la hausse du forfait social de 2 à 20 % a pénalisé le développement de l’épargne salariale, notamment auprès des entreprises du secteur agricole, où les entreprises sont de petite taille.
De plus, nous avons constaté des baisses significatives de budget concernant l’intéressement et les abondements, et celles qui n’étaient pas équipées ont été très réticentes à se lancer. Nous nous réjouissons donc de la disparition partielle du forfait social qui touche l’essentiel du tissu économique français, mais c’est une petite victoire. Il aurait fallu aller jusqu’au bout de la démarche et le supprimer totalement. Notons cependant que cette mesure a pour conséquence de créer une nouvelle niche fiscale, pour le secteur des TPE et PME et elle peut être susceptible d’engendrer une confusion face aux débats actuels de réduction des niches fiscales et sociales.
François Dillemann : Avant la suppression du forfait social, ces dispositifs fiscalement et socialement avantageux étaient déjà proposés aux TPE-PME, sans pour autant que ces entreprises souscrivent en masse. La suppression du forfait social de 20 % dans un contexte de demande de hausse de pouvoir d’achat donne aux entreprises la possibilité de répondre à une attente forte de leurs salariés, sans générer de surcoût pour les entreprises déjà équipées d’un des dispositifs. On peut donc anticiper une hausse des primes.
Restera à convaincre ceux qui n’ont pas encore mis en place de dispositif. En effet, le forfait social a bien disparu, cependant les sommes versées dans le contexte de l’épargne salariale restent une charge supplémentaire pour l’entreprise. Les nouvelles offres permettront d’atteindre plus facilement ces TPE-PME (industrialisation, digital…) et à ce titre générer une hausse des contrats et des primes.
Avec le débat sur le pouvoir d’achat, faut-il espérer ou redouter des changements ? Par exemple, une révision de la formule de participation, une augmentation des obligations de partage des profits, ou la possibilité de récupérer l’épargne salariale plus
François Dillemann : Il y a déjà une réflexion sur la révision de la formule de participation. Elle a du mal à avancer, car les entreprises ont peur de devoir verser plus, mais dans le contexte actuel c’est une réflexion qui devrait réapparaître.
Pour l’actionnariat salarié, dans le cadre de la cession d’une entreprise par ses actionnaires, le Sénat a fait adopter un amendement visant à partager les plus-values de cession avec les salariés. Cette disposition, totalement facultative, s’inscrit dans le cadre d’un «Contrat d’engagement de partage», c’est-à-dire qu’il est laissé à la seule décision du ou des actionnaires. Ces montants seraient limités à 10 % de la plus-value et seraient fléchés vers le PEE. Cela va dans le bon sens.
Guillaume Meyer : Nous ne sommes pas favorables à une obligation forte de partage des profits, afin de ne pas retomber dans des travers que nous avons connus sur l’ANI (accord national interprofessionnel) et la santé. Nous préférons, comme le prévoit la loi, des mesures incitatives, qui permettent plus de cohérence avec la réalité de l’entreprise.
Concernant les sorties anticipées, les dispositifs sont désormais bien harmonisés, mais il ne faut pas trop dévoyer leur objet principal. Le PER vise à préparer un complément de retraite, il ne faut pas lui donner d’autres objectifs. Ce n’est pas un produit de gain de pouvoir d’achat immédiat, mais de gain différé.
Cécile Besse Advani : L’épargne salariale a été préservée par les mesures prises à la fin de l’an dernier pour soutenir le pouvoir d’achat. C’est la prime de 1 000 euros, défiscalisée et hors cotisations sociales, qui a été privilégiée.
La tentation de libérer de l’épargne salariale n’est pas dans l’air puisque l’intention est bien de favoriser une épargne retraite. Il y a cependant, dans le cadre de la loi Pacte, quelques dispositifs nouveaux, notamment des cas supplémentaires de déblocage dans le PERE, pour l’achat de la résidence principale en particulier. C’est une très bonne chose. Ce cas de déblocage est peu utilisé si l’on prend l’ensemble des dispositifs d’épargne salariale, mais c’est une manière pour les salariés de se rassurer, car ils savent qu’ils pourront utiliser leur argent s’ils en ont besoin pour acquérir leur logement. C’est un facteur d’attractivité pour ces dispositifs. En France, l’achat de la résidence principale est un moyen de préparer sa retraite. Il y a donc une vraie cohérence.
Christophe Juste : Les chiffres tendent à prouver que les mesures spécifiques de sortie de l’épargne salariale, pour l’achat d’une voiture ou pour consommer, n’ont pas permis d’atteindre les objectifs escomptés. En revanche, il y avait une crainte que l’achat de la résidence principale ne soit plus un cas de déblocage. Il est finalement conservé et le législateur projette même d’en ajouter un, pour l’adaptation du logement en cas de perte d’autonomie. Concernant le partage des profits, la vision qui consiste à orienter un tiers des bénéfices vers les dividendes, un tiers vers le réinvestissement dans l’entreprise, et un autre tiers pour les salariés, a pour objectif d’embarquer les salariés. Le partage de la valeur est un sujet qui reviendra dans l’actualité, mais actuellement, les entreprises sont déjà bien occupées par la mise en place du prélèvement à la source. La méthode de calcul de la participation, globalement, arrange tout le monde. Là aussi il y a besoin de stabilité. Si la formule est changée, cela peut avoir un effet négatif. Il est à noter que l’épargne salariale est souvent la seule épargne des salariés modestes.
Patrick Leroy : Concernant la participation, le gouvernement a raté une belle occasion de simplification. La formule en vigueur est toujours celle mise en place sous le général de Gaulle et mérite d’être revue pour l’adapter à une économie plus moderne. L’impact aurait été très fort. Le public réclame plus de pouvoir d’achat et moins de pression fiscale, c’est exactement ce qu’offre l’épargne salariale. Donc mettons-la en place, puisqu’elle répond parfaitement à ces deux demandes. Les entreprises équipées en épargne salariale et actionnariat salarié le montrent : elles sont plus vertueuses, plus performantes. L’épargne salariale favorise également le dialogue social. En effet, plus de la moitié des accords d’entreprise traitent des dispositifs d’épargne salariale. C’est aussi l’occasion d’échanger entre salariés et employeurs, c’est véritablement un moment de rencontre.
Hubert Clerbois : Il y a quelques évolutions dans les formules de répartition de la participation, notamment avec un plafonnement plus important pour les salaires plus élevés lors de la répartition. Cela contribuera à augmenter les primes versées aux plus bas salaires. C’est une réponse à l’air du temps.
La loi Pacte introduit un nouveau produit d’épargne retraite, le PER, qui inclut aussi le Perco. Que va-t-il se passer concrètement ?
Christophe Juste : Nos mécanismes d’épargne retraite ne sont pas toujours très lisibles. Il est nécessaire d’harmoniser la fiscalité et les modes d’approvisionnement. La création du PER va clarifier les choses pour l’épargnant, qui disposera d’une vision globale de son épargne retraite, même si derrière, plusieurs compartiments, voire des sous-compartiments, coexistent, avec leurs règles spécifiques. Avec les réformes de l’Arrco-Agirc et celle à venir des régimes de base, les salariés seront appelés à plus s’impliquer et à être responsables de leur retraite, qui s’annonce «à la carte». Ils pousseront aussi leurs employeurs à intervenir dans ce domaine. Le PER a des atouts pour l’avenir. Il peut même gagner des parts de marché sur l’assurance-vie, car son attractivité va être renforcée. Il sera plus visible que les différents dispositifs existants, les droits d’entrée seront plus faibles que dans d’autres placements, et les rendements peuvent être plus intéressants.
Reste que construire une épargne pour financer l’économie, cela nécessite de modifier les comportements. Cela prendra certainement plus de temps que l’espère le législateur. La loi et les circulaires sont attendues avec impatience pour y voir plus clair. Un exemple : comment sera gérée l’épargne temps, dans quel compartiment figurera-t-elle ? C’est un point sensible.
Hubert Clerbois : Je crains qu’au lieu de simplifier, on complexifie. Certains observateurs pensent que le PER va tout remplacer et qu’il n’y aura plus qu’un produit d’épargne retraite. D’autres, dont je fais partie, pensent que le PER sera un chapeau commun, mais que les produits existants, avec certaines de leurs spécificités, resteront.
Avant même la sortie de la loi, tout le monde ne comprend donc pas la même chose.
L’idée de base du PER vise à rassembler les différents produits et à faciliter la portabilité dans une carrière mouvante afin de simplifier la mobilité et la lisibilité, avec la possibilité de transférer dans le produit de son choix tous ces dispositifs. Sur le papier, c’est bien. Mais quand on sait comment fonctionne le monde de l’épargne salariale et celui de l’assurance, le jour n’est pas arrivé où l’on parviendra à verser son intéressement dans un PERP. Parce que les outils, les règles sociales et fiscales, ainsi que les acteurs sont différents.
Nous allons certainement devoir procéder par étapes. Ce sera au détriment de l’épargnant salarié, qui ne bénéficiera pas immédiatement de la visibilité et de l’harmonisation espérée.
Patrick Leroy : Il est trop tôt pour anticiper ce que sera le PER, car beaucoup de règles techniques ne sont pas encore calées et le seront dans les décrets et ordonnances. Nous allons vers une harmonisation des règles, mais je crois qu’il y aura toujours deux produits : l’un, plutôt individuel, qui viendra de la fusion des contrats Madelin et des PERP, avec ses caractéristiques fiscales propres ; l’autre collectif, avec le Perco et l’article 83, ce second produit qui devra nécessairement bénéficier d’une harmonisation pour faciliter les passerelles. La question problématique est celle de la gestion financière, car il y aura deux types d’instruments différents. La convergence n’est pas évidente.
La prise de conscience d’un vrai besoin de retraite supplémentaire est un bon point, car les régimes obligatoires ne suffisent plus à assurer un revenu de remplacement, comme c’était le cas pour les générations précédentes. Il faut donc développer ce troisième étage. Aujourd’hui, l’assurance-vie capte l’épargne retraite, mais la bonne réponse à ce besoin est dans ce troisième étage. Reste à savoir s’il sera à la hauteur des enjeux. La sortie en capital, notamment prévue pour les sommes versées à titre volontaire dans un article 83, va malheureusement dénaturer le produit. La retraite doit prévoir le versement d’une rente, et non d’un capital, afin d’assurer des revenus complémentaires à vie. Beaucoup de personnes ont une préférence pour la sortie en capital, mais cela ne correspond pas aux véritables enjeux. Aussi, il est souhaitable que le législateur rende la sortie en rente plus attractive fiscalement et socialement que la sortie en capital.
François Dillemann : A ce stade, ce PER s’apparente plutôt à un concept, car il subsisterait toujours trois compartiments. Précédemment, nous avions quatre produits, deux individuels (PERP et Madelin) et deux collectifs (Perco et article 83). Demain, nous aurons un PER individuel, résultat de la fusion du PERP et du Madelin, un Perco et un PER catégoriel représentant l’article 83. D’une offre horizontale, nous passons à une offre verticale, parce que les sommes seront traitées de manière quasi identique, mais seront logées dans trois compartiments qui détermineront la fiscalité à l’entrée et à la sortie. Nous verrons qu’il y a quelques ajustements intéressants, notamment sur la déductibilité à l’entrée des sommes versées, au titre des versements volontaires, dans le Perco, mais moins attrayantes en cas de sortie.
Si d’un point de vue philosophique, c’est une très bonne nouvelle que l’Etat s’intéresse à cette retraite supplémentaire, en revanche, il reste à créer ce fameux produit dont on imaginait qu’il serait un véritable plan individuel, indépendant de l’employeur, et qui serait alimenté tout au long de la vie en fonction des différents mécanismes.
Cécile Besse Advani : La retraite, sous forme de rente, est assurée aujourd’hui par les régimes obligatoires. Désormais avec Pacte, les épargnants auront le choix entre rente et capital au moment de récupérer les sommes placées dans le PER (hors cotisations obligatoires). Cela peut d’ailleurs être un mixte des deux.
La sortie en capital permet d’évoquer une autre question, celle de la décumulation de l’épargne. En effet, cette épargne constituée sera consommée progressivement sur 25 ans pendant la retraite. Il y a donc une possibilité très importante de gestion pendant cette durée. On devrait pouvoir utiliser cette période pour faire fructifier l’épargne de manière plus dynamique, et augmenter encore les ressources. Donc, plutôt que désensibiliser 20 ans avant le départ en retraite, on peut imaginer que la désensibilisation démarrera à 50-55 ans car la majeure partie de l’épargne restera encore investie longtemps. C’est une option qui n’est pas complètement traitée. On pourrait imaginer des systèmes mixtes, avec un filet de sécurité supplémentaire, par exemple le versement d’une rente après plusieurs années de retraite.
Les souscripteurs d’un Perco peuvent sortir en capital sans être imposés. Doit-on craindre une évolution négative avec l’arrivée du PER, notamment un durcissement de la fiscalité en capital ?
Guillaume Meyer : Au contraire, j’attends une évolution positive, notamment avec la possibilité de réaliser des versements défiscalisés dans le Perco et dans les contrats article 83. Aujourd’hui, les versements dans le Perco sont calibrés afin de maximiser l’abondement. Demain, les modalités fiscales seront alignées sur celles du PERP, on peut alors imaginer que les versements seront renforcés dans le Perco. Les épargnants de plus de 50 ans, qui ont souvent le taux marginal d’imposition le plus important et une certaine capacité d’épargne, pourront profiter d’un effet d’aubaine pour réduire leur impôt tout en bénéficiant de la sortie en capital, à un moment où leur taux d’imposition sera probablement plus faible.
Même si les performances financières ne sont pas au rendez-vous pendant quelques années, en raison d’une gestion prudente, le gain fiscal en vaudra sûrement la chandelle.
Le Perco sera aussi un bon concurrent à d’autres dispositifs, y compris aux PERP et contrats article 83, dans la mesure où les frais d’entrée sont souvent pris en charge par l’employeur. Ce n’est pas le cas dans les autres placements.
Cécile Besse Advani : Effectivement, cette loi est très intéressante, car elle se met à la place du client-salarié et mesure ce qu’il faut faire pour l’aider. Il faut, pour lui, que ce soit moins cher, plus flexible, qu’il ait plus d’options, et que finalement ce soit plus avantageux tout en formalisant son accompagnement. Tous ces éléments vont favoriser le Perco, le PERE et donc le PER.
Une interrogation demeure : comment seront traités les stocks, fruit d’épargne de dizaines d’années. Seront-ils intégrés dans ces nouveaux produits, tout en restant une enveloppe bien visible ? Les négociations étant complexes pour rebâtir un programme d’épargne salariale, il est probable que les entreprises ne seront pas pressées de modifier les dispositifs existants, du jour au lendemain. Elles le feront à l’occasion de remises à plat, et notamment à l’occasion des renégociations autour de l’article 39 – désormais gelé – et de son remplacement, qui conduira à réinjecter cet avantage social pour les cadres. C’est probablement en 2020 que cette question se posera.
François Dillemann : La sortie du Perco en capital non imposé et/ou en rente partiellement imposée devrait rester possible. Autre point positif, la loi prévoit que les versements volontaires soient déductibles fiscalement à l’entrée mais fiscalisés à la sortie. Si la déductibilité est plutôt une bonne nouvelle, la fiscalité à la sortie l’est moins, en particulier pour les gens qui ne sont pas ou peu imposables pendant la vie active, et qui risqueraient d’être soumis à l’impôt lors de la sortie. Le déblocage pour la résidence principale, qui donnera lieu à une fiscalisation à la sortie, est à mon sens une véritable erreur de la loi. Cela devrait inciter les jeunes épargnants à orienter leur épargne vers les PEE, même s’ils n’ont pas un projet d’achat à court terme, puisque l’épargne ne serait, alors, pas fiscalisée lors de l’achat du logement. Ils ne profiteraient donc pas de la gestion pilotée sur longue période. La rationalisation des outils d’épargne retraite est quoi qu’il en soit positive. La mise en place du PER est une première étape qui nécessitera d’évoluer vers une simplification. D’autant qu’il faudra aussi regarder de près l’accord trouvé au Parlement européen sur le PEPP (pan-european personal pension product), un produit de retraite individuel par capitalisation européen. Le PER, devra se rapprocher du PEPP, afin d’être cohérent au plan fiscal et sur celui de la gestion d’actifs.
Hubert Clerbois : Parler de retraite à un jeune, c’est compliqué, mais il entend l’argument d’une sortie anticipée possible avant la retraite pour l’achat du logement. Si ce cas de sortie anticipé devient plus imposé, ce sera un gros dommage pour les jeunes et les Perco. Ils continueront à privilégier le PEE et l’épargne ne sera donc pas investie pour le long terme.
J’ai aussi une grosse crainte sur l’aspect rétroactif des mesures. Les Perco existent depuis la loi Fillon de 2003, il y a des encours significatifs qui ont été constitués au vu du traitement fiscal indiqué lors de la souscription, très avantageux. Si demain cela doit changer, j’ai peur que les 18 milliards d’encours des Perco soient maltraités. Quel message donnerait-on aux salariés ?
Christophe Juste : La stabilité d’un produit qui fonctionne risque d’être remise en cause. Mais pour l’instant, ces mesures sont loin d’avoir été adoptées.
Pour nombre de salariés, l’épargne salariale apparaît toujours complexe, notamment lors des choix financiers. Comment les aider à prendre les bonnes décisions ?
Hubert Clerbois : C’est une question de communication. On a beaucoup progressé depuis plusieurs années. Les outils de gestion pilotée représentent un vrai progrès, tout comme le fléchage par défaut de l’épargne vers la gestion pilotée, qui permettra d’accélérer la diversification.
Les outils permettant d’agréger les dispositifs d’épargne d’un individu, qu’ils soient collectifs ou individuels, permettront aussi d’avoir une vision globale de son épargne retraite et d’organiser plus efficacement sa gestion financière.
Reste la question du coût : combien cela coûte-t-il ? Qui finance ? Qui propose les conseils ? On sait que les prix de la tenue de compte sont très bas et que l’entreprise ne paye pas ce qu’elle devrait payer. On trouve l’argent dans les fonds, et c’est sans doute l’épargne du salarié qui financera ces outils d’aide à la décision.
Patrick Leroy : La communication auprès des salariés est un enjeu majeur. Par définition, les salariés sont des épargnants non avertis, il est donc important de construire des outils d’information.
Actuellement, la majorité de nos épargnants vont sur des fonds monétaires. Cela révèle une crainte des marchés financiers. Les investissements «dorment», il n’y a pas d’arbitrages. Beaucoup de personnes ignorent même qu’elles peuvent faire des arbitrages gratuitement.
Avec la loi Pacte, les salariés auront plus d’options pour construire leur épargne salariale, des choix de sortie en rente ou en capital. La gestion pilotée va nécessairement entraîner plus d’investissements en actions et accroître la part de risque des portefeuilles pour des épargnants qui sont totalement ignorants. Je pense que c’est à nous de mener cette communication et nous avons d’ailleurs construit, dans ce but, des modules qui permettent d’initier les salariés à l’investissement. Ils tournent autour de quatre grands thèmes : l’objectif d’épargne, le profil de l’épargnant (averti ou non), l’importance du suivi de la gestion et celle de piloter la gestion via des arbitrages. En conséquence, il y a un vrai besoin de ces outils simples.
Christophe Juste : Nous sommes face à plusieurs contradictions : nous devons faire preuve de plus de pédagogie avec des frais qui sont de plus en plus faibles. Des efforts sont entrepris, notamment avec les robo-advisors, mais il existait déjà des outils, par exemple des simulateurs, certainement trop peu utilisés par les salariés, par manque d’information.
La gestion pilotée, c’est faire le bonheur des gens malgré eux. La culture financière des Français n’est pas celle des Anglo-saxons, mais les épargnants désirent désormais donner de plus en plus de sens à leur épargne. Nous le mesurons au succès de nos fonds régionaux, où l’investissement est réalisé à 50 % sur l’économie locale. Ils suscitent un fort intérêt.
La loi Pacte ne réussira pas sans pédagogie. Si la loi est ambitieuse dans ce domaine, elle ne donne pas les moyens nécessaires pour la mener à bien.
Cécile Besse Advani : On fait déjà beaucoup pour la pédagogie, grâce en particulier aux outils d’aide à la décision. Il faut poursuivre cet effort même si nous ne transformerons pas tous les salariés en experts financiers.
Au-delà des outils, notre rôle consiste aussi à promouvoir des «réflexes financiers» comme rappeler l’intérêt des investissements réguliers, qui permettent de diversifier son point d’entrée, et donc de réduire son risque. Dans le même esprit, favoriser la gestion pilotée qui est peut-être perçue comme plus risquée que le monétaire, alors que cette classe d’actifs aujourd’hui est un risque certain, celui de perdre chaque année une partie du pouvoir d’achat de son épargne.
François Dillemann : Les sociétés de gestion proposent déjà des outils extrêmement aboutis, que vous ne retrouverez pas dans la plupart des autres offres de placements. Aujourd’hui, les épargnants-salariés ont accès à des robo-advisors, des formations en e-learning (enseignement à distance), des webinaires, des rendez-vous dans l’entreprise ou en agence, des plateformes téléphoniques disponibles 24 h/24 et 7 j/7 ainsi qu’un ensemble de supports écrits… Mais s’ils trouvent ces outils formidables, ils les utilisent peu. Il faut rendre le sujet de l’épargne retraite plus attractif et sensibiliser les épargnants à leur existence.
Il faut aussi les informer sur la retraite, et leur démontrer que les régimes actuels ne suffiront pas. Alors, ils comprendront l’intérêt des différents dispositifs et la meilleure manière de les utiliser.
Guillaume Meyer : Nous travaillons en ce sens pour accompagner nos assurés, nos épargnants, dans la connaissance des solutions qu’ils ont à leur disposition et le meilleur parti qu’ils peuvent en tirer.