Taxonomie verte, règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (SFDR), directive sur le nouveau reporting de durabilité (CSRD)… Afin d’amener l’Europe vers la neutralité carbone à horizon 2050, les autorités communautaires ont déployé un vaste arsenal réglementaire au cours des dernières années, qui a bouleversé l’industrie financière.
La mise en œuvre de cette révolution durable n’a pas été un long fleuve tranquille. « Examinée individuellement, chaque réglementation est pertinente, mais la situation se complexifie lorsque les textes se juxtaposent en raison, notamment, de définitions parfois différentes, rappelle Sabrine Aouida, chief impact officer de WeeFin, une fintech à impact qui permet aux investisseurs professionnels d’intégrer des indicateurs de durabilité à leur stratégie d’investissement. Par ailleurs, les calendriers d’application n’ont pas forcément été placés dans le bon ordre. »
Aller plus loin…
Pour autant, la plupart des professionnels dressent un bilan largement positif. « La réglementation a comme vertu de fixer un cap, à savoir l’orientation des flux vers des activités durables. Et force est de constater que cela a fonctionné », considère Ludivine de Quincerot, gérante de fonds, responsable ESG et analyse financière chez Rothschild & Co Asset Management. Partageant ce constat, Anne-Charlotte Roy, associée chez Hexagone Conseil, estime que « sans ce millefeuille réglementaire, nous n’en serions pas là aujourd’hui ». Consciente néanmoins de lacunes à corriger, la Commission européenne a commencé à s’atteler à cette tâche, comme en témoigne par exemple la révision en cours du règlement SFDR. « Maintenant que ce socle existe, il faut aller plus loin. Mais attention à ce que cela ne crée pas de lassitudes si l’on détricote ce qui a été fait avant », met cependant en garde Anne-Charlotte Roy. « Il est important que la réglementation soit incitative, et moins prescriptive », pointe pour sa part Sabrine Aouida, qui estime par ailleurs que « la réglementation ne doit pas aboutir à une standardisation des stratégies ESG des fonds ». Quant à Ludivine de Quincerot, elle met en avant trois grands principes à suivre : « pragmatisme – le cadre doit être clair, les objectifs atteignables et il faut un calendrier précis – ; nécessité d’embarquer tout le monde – le sujet ne doit pas rester qu’une affaire de spécialistes – ; concilier durabilité avec rentabilité économique et performances financières ».
Un travail nécessaire sur les données
Une clarification de la notion de « durabilité » est notamment espérée, ainsi que d’autres avancées. « Le cadre actuel comprend très peu de choses sur l’engagement actionnarial, qui est pourtant une notion clé », illustre Vincent Kiefer, project manager sustainable finance au sein de l’Ademe. L’enjeu autour de la data est également central. « Le manque de données et leur qualité compliquent la tâche des gérants », admet Ludivine de Quincerot. Sur ce plan, d’immenses défis se posent, tout particulièrement dans le private equity. « Le non-coté représente 20 à 30 % des portefeuilles. Comment faire, alors que les données sont moins nombreuses et que cette population est moins couverte par les agences de notation extra-financière, pour publier des indicateurs agrégés ? » s’interroge ainsi Anne-Charlotte Roy. L’autre problématique majeure a trait à la biodiversité, thème sur lequel les investisseurs doivent, conformément à l’article 29 de la loi énergie-climat, communiquer des indicateurs dédiés. « Il en existe des milliers sur cette thématique », poursuit Anne-Charlotte Roy. Dans ce contexte, « il faut de l’objectivité sur les données sources, à savoir les données corporate », signale Sabrine Aouida. Les régulateurs sont prévenus.