Catherine Pilidjian, partner chez Wavestone, s’emploie à ce que son équipe accompagne la transformation digitale au sein des directions financières afin de permettre à ces dernières de se concentrer sur leur valeur ajoutée, de leur faire gagner en pertinence sur le pilotage de la performance, et même de leur offrir la possibilité d’être innovantes. L’objectif ? Que la direction financière reste le business partner incontournable dans l’entreprise.
Vous accompagnez spécifiquement des directions financières sur la transformation numérique. Qu’attendent les directeurs financiers de la révolution digitale qui s’amorce ? Quelles sont les opportunités pour la fonction finance ?
Les directions financières ont pour rôle de mesurer la performance financière mais aussi, de plus en plus, opérationnelle de leur entreprise. Elles veillent à ce que les actions conduites soient efficaces, la croissance rentable et la marge préservée. Pour demander autant de la part des différentes divisions de l’entreprise, les directions financières doivent être elles-mêmes exemplaires dans l’exécution de leurs processus et la valorisation de leurs données. Pour répondre à cette exigence, Wavestone les accompagne pour tirer parti des meilleures opportunités digitales et aider la direction financière à être toujours plus efficace.
Les directions financières sont très en demande. Elles se fixent des exigences de progrès et ont une très bonne vision de leurs priorités. Elles cherchent toujours à s’améliorer : gagner du temps et de la productivité sur les processus transactionnels et la production de reporting, apporter une information plus pertinente, affiner leur capacité de prévision, sécuriser les transactions…
Plus que cela, elles sont souvent très impliquées dans des changements digitaux transversaux. Il est récurrent que les directeurs financiers soient responsables d’un projet global et majeur pour leur société. Ces derniers ont alors un rôle d’animateur qui va bien au-delà des seules fonctions financières, dans une approche collaborative. Par exemple, nous travaillons pour un grand groupe sur les achats de frais généraux, avec la direction financière, tout en associant celle des achats et la direction juridique. Ensemble, nous définissons comment une nouvelle solution procure-to-pay peut concourir à homogénéiser les pratiques, à optimiser les dépenses et à partager la connaissance des coûts, d’une direction à l’autre, en sortant des logiques de silos.
Quels sont aujourd’hui les chantiers liés au digital sur lesquels travaillent les directions financières ?
Nous identifions quatre grands chantiers.
– Le premier, en cours depuis des années, est celui de la dématérialisation des processus. Certes, cette mue a déjà commencé et s’accélère mais il reste du chemin à parcourir et des obstacles à franchir pour que tous les échanges se fassent numériquement et de manière homogénéisée.
– Le deuxième est plus nouveau. Les directions financières, à l’image des grands middle-offices bancaires, explorent la robotisation des processus comptables, permettant d’automatiser des tâches simples : création de fiches fournisseurs à partir de données externes, initialisation d’une fiche immobilisation à partir des données d’achats, etc. Notre rôle est d’identifier les bons cas d’usage qui vont justifier la mise en place et la maintenance d’un robot.
Ces deux types de projets, dématérialisation et robotisation des processus, à des niveaux de maturité différents, répondent au même but : réduire le temps consacré aux tâches à faible valeur ajoutée et fluidifier la circulation d’information. Le coût des activités concernées peut ainsi être réduit de 30 % à 70 %.
Ensuite, la fonction finance s’intéresse à d’autres leviers technologiques qui vont permettre de mieux valoriser les données dont elle dispose.
– Le troisième type de chantier est l’utilisation des techniques d’intelligence artificielle au service du contrôle interne et de la détection d’alertes, qui permet par exemple de traquer des doubles paiements. Le contrôle devient beaucoup plus efficace, le système relevant des anomalies potentielles que les équipes financières qualifient et traitent s’il s’agit d’un réel incident. L’autre usage qui devient une véritable tendance est l’utilisation de l’intelligence artificielle pour évaluer les risques clients. Les premières entreprises à recourir à l’intelligence artificielle – comme à la robotisation – sont souvent les prestataires de services (outsourceurs, sociétés d’affacturage), puis les grands groupes qui traitent de grosses volumétries et travaillent déjà sur des pilotes.
– Enfin, les solutions de data-visualisation et de business intelligence offrent de réelles opportunités de réaliser des reportings plus ergonomiques, plus fréquents, plus personnalisés et moins coûteux. Cela permet ainsi d’avoir un suivi au plus près des opérations et renforce donc le service rendu par la finance à son entreprise.
Quand ces projets se déclenchent-ils ? Et pourquoi avez-vous une plus-value à ce moment-là ?
Les directions financières sont en veille active sur le digital. Pour autant, le simple constat que le marché offre des technologies intéressantes ne suffit pas à déclencher des projets ; cet intérêt doit être conforté par des expérimentations fructueuses et un business case étayé pour valider le lancement du projet.
Dans ce contexte, nos clients sont en attente de retours d’expérience et de réponses à leurs questions : quelles sont les solutions de marché, quel est le meilleur projet que je puisse construire, dois-je commencer par démarche pilote ou non, comment puis-je utiliser ce projet comme un levier ? Chez Wavestone, nous pouvons y répondre grâce à notre savoir-faire digital, déployé dans de nombreux secteurs, auprès d’acteurs qui peuvent se trouver plus matures que la direction financière dans leur usage des technologies. Par exemple, la banque est un domaine où la robotisation des fonctions de middle-office constitue un exemple des solutions qui peuvent aujourd’hui être appliquées dans des centres de services partagés (CSP) comptables.
Nous prenons ensuite le temps d’affiner le projet avec chacun de nos clients pour trouver la réponse la plus pertinente à la situation présente, en fonction de sa maturité, de ses ambitions, de ses moyens, des délais qu’ils se fixent. Une équipe dédiée à la fonction finance permet d’avoir une bien plus grande proximité avec les financiers, de comprendre leurs enjeux, leurs freins mais aussi leurs moteurs, et surtout de capitaliser sur les bonnes pratiques d’autres groupes.
Notre rôle est aussi d’aider les financiers à se préparer à porter la transformation digitale, à adopter de nouvelles approches pour conduire les projets, pour redéfinir les processus. L’organisation décloisonnée de Wavestone facilite l’accès à de nouvelles approches, par exemple le design thinking qui valorise l’expérience utilisateur (UX design) ou la méthode agile. Nous sommes aussi nous-mêmes incubateurs et nous soutenons actuellement pas moins de six start-ups au sein de notre initiative Shake’Up. L’objectif est de garder un contact permanent avec le monde de l’entrepreneuriat, de l’innovation et de l’itération.
La transformation digitale est très rapide. Quels sont, selon vous, les nouveaux sujets d’innovation qui sont en émergence ?
Non seulement l’innovation a sa place au sein de la direction financière, mais elle est essentielle pour cette dernière. La proactivité de la direction financière dans les mois qui viennent fera probablement la différence entre une fonction financière qui pourrait se replier sur ses missions de base et se trouver reléguée au rôle d’une simple fonction support et de contrôle financier et celle qui va vraiment conserver et amplifier son rôle de business partnering et d’accompagnement de la transformation de l’entreprise.
Aujourd’hui, la direction financière a un rôle transversal : elle pilote la performance financière mais aussi celle de l’ensemble de l’entreprise et elle appuie les managers dans la prise de décisions tactiques et stratégiques. Elle occupe une place importante, au-delà du champ de la seule finance. Or en interne, comme sur un marché, une «disruption» technologique signifie que les anciens acteurs peuvent perdre leur place. Par exemple, sur la gouvernance de la data, le directeur financier peut perdre du terrain face à un potentiel chief data officer et doit donc se repositionner, dans un mode collaboratif, en mettant en avant le savoir-faire de ses équipes.
Pour cela, les directeurs financiers vont devoir changer de paradigme. Pendant des années, ils ont travaillé à sécuriser la collecte et la production de données. La finance a en effet besoin de se baser sur des données très précises, dont elle maîtrise la qualité. Ce travail fut essentiel. Mais aujourd’hui, les données sont tellement nombreuses, venant de sources diverses et non contrôlées, que la seule façon de les traiter est de le faire de manière itérative, apprenante. La sélection, l’amélioration et la correction des informations se font à mesure qu’elles sont analysées et non plus exclusivement en amont. Cela demande d’être plus dans l’expérimentation et la collaboration et d’accepter de nouvelles façons de sécuriser les données collectées. A mon sens, la véritable mue digitale que devront opérer les financiers est là, et elle est d’ordre culturel.