Depuis la transposition en 1998 de la directive 85/374/EEC en droit français, la responsabilité des producteurs du fait de leurs produits défectueux fait l’objet d’un régime spécifique désormais prévu aux articles 1245 et suivants du Code civil. Le producteur est ainsi responsable des dommages causés à la personne et aux biens autres que le produit défectueux lui-même par un produit qui ne présente pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre.
Par Olivier Kuhn, avocat associé, et Laura Bourgeois, avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats
La jurisprudence rendue en la matière ces deux dernières années révèle que le champ d’application de ce régime spécifique est en réalité bien plus large qu’il n’y paraît a priori.
En effet, d’une part, si l’article 1245-17 du Code civil laisse penser que la victime d’un dommage dispose d’une option entre ce régime de responsabilité et d’autres régimes tels que celui de la responsabilité contractuelle pour faute ou celui des vices cachés, la jurisprudence européenne1 exige que l’action repose sur un «fondement différent», et la jurisprudence française2 en déduit que la faute contractuelle reprochée doit se distinguer d’un défaut de sécurité. Il est d’ailleurs probable que la solution vaille également pour les vices cachés et empêche donc une victime de se prévaloir de ce régime si elle n’identifie pas un vice caché distinct d’un défaut de sécurité.
D’autre part, les juges ont l’obligation de vérifier, d’office, si le régime issu de la directive est applicable3.
Surtout, si tel est le cas, les juges sont tenus de l’appliquer non seulement à l’égard des consommateurs, mais également dans les rapports entre professionnels : la France a décidé, avec l’assentiment de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)4, d’étendre le champ d’application du régime aux rapports entre professionnels. Et la Cour de cassation a confirmé que ce régime était d’application exclusive, y compris dans les rapports entre professionnels, alors même que ces rapports ne relèvent pas du domaine de la directive et ne sont donc pas soumis à sa portée obligatoire5.
C’est ce point qui suscite quelques interrogations en pratique.
Dès lors que ce régime spécifique de responsabilité est d’application exclusive, sauf à démontrer une faute ou un vice autre qu’un défaut de sécurité, et qu’il exclut toute réparation des dommages causés aux produits défectueux eux-mêmes6, quid du dédommagement du professionnel qui acquiert un stock de produits qu’il ne peut pas revendre parce que défectueux ?