L’affaire qui anime le monde du contrôle des concentrations depuis maintenant quatre années connaît un coup de théâtre avec les conclusions de l’avocat général Nicholas Emiliou, qui invite la Cour de justice de l’Union européenne à annuler l’arrêt du Tribunal ayant conforté la Commission dans l’approche extensive de ses compétences pour les opérations ne dépassant pas les seuils européens.
L’affaire Illumina/Grail a déjà fait couler beaucoup d’encre1, et à raison. Par cette opération, Illumina entendait acquérir une entreprise prometteuse spécialisée dans le dépistage précoce du cancer. L’opération ne dépassait pas les seuils européens, toutefois à la faveur d’une interprétation extensive de l’article 22 du Règlement européen sur les concentrations (ci-après le « Règlement »)2, plusieurs autorités nationales de concurrence, dont l’autorité française, décidèrent de renvoyer l’opération à la Commission pour que celle-ci l’examine.
La Commission ayant considéré, à la lumière de sa nouvelle doctrine interprétant l’article 22 précité, qu’elle était compétente et qu’elle devait interdire l’opération, une bataille judiciaire s’ensuivit, qui mena les parties devant le Tribunal tout d’abord, puis maintenant devant la Cour de justice – Illumina écopant par ailleurs d’une amende impressionnante de 432 millions d’euros pour réalisation anticipée d’une opération de concentration (aussi appelé « gun jumping »)3.
Or, contre toute attente et alors que le Tribunal, aux termes d’un arrêt livrant une interprétation détaillée de l’article 22, avait approuvé la Commission de s’être déclarée compétente, l’avocat général de la Cour de justice a invité celle-ci, dans ses conclusions en date du 21 mars 2024, à annuler l’arrêt du Tribunal.
La lecture de ces conclusions est particulièrement éclairante sur la critique que le haut magistrat adresse à l’encontre de l’arrêt du Tribunal et, au travers de celui-ci, de la position de la Commission.