On le sait, les entreprises disposent en principe de la liberté de prendre toutes décisions qu’elles estiment opportunes dans le cadre de l’exercice de leur activité sans que l’administration fiscale puisse s’immiscer dans leur gestion. Toutefois, ce principe de non-immixtion de l’Administration dans la gestion des entreprises ne s’oppose pas à ce que cette dernière rectifie les conséquences d’un acte de gestion anormale. La mise à disposition gratuite (1), ou pour un loyer inférieur à la valeur locative (2), d’un bien immobilier par une société passible de l’impôt sur les sociétés (IS) peut constituer un acte anormal de gestion à hauteur du loyer dont la société s’est privée.
Pour la société propriétaire du bien immobilier, cela se traduira du point de vue fiscal tout d’abord par un rehaussement du montant de ses revenus locatifs, qui viendra augmenter le résultat soumis à l’IS (mais également le chiffre d’affaires soumis à la TVA ou à la CRL).
Mais l’absence ou la minoration de loyer a également un impact fiscal au niveau de la personne qui a profité de l’avantage anormal. L’occupant ou le locataire du bien immobilier est, en effet, considéré comme ayant perçu une distribution occulte à hauteur de l’avantage ainsi décelé. Lorsque la société propriétaire du bien immobilier est soumise à l’IS, une telle distribution constitue un revenu imposable dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, dans les conditions prévues aux articles 109-1-2e ou 111 c. du Code général des impôts (CGI). Lorsque le bénéficiaire est un résident fiscal français, ce dernier est imposable en sa qualité de résident sur ce revenu réputé distribué.
La situation est différente lorsque le bénéficiaire est un non-résident, ce qui n’est pas rare en présence de sociétés immobilières utilisées par des ressortissants étrangers pour détenir en France des biens de villégiature, notamment des villas situées sur la Côte d’Azur ou des chalets à la montagne. Le revenu réputé distribué ne peut alors être imposé directement au niveau du bénéficiaire non-résident, puisque les règles d’imposition prévues par le droit français conduisent à soumettre de telles distributions à la retenue à la source de l’article 119 bis du CGI, libératoire pour le bénéficiaire de l’impôt sur le revenu ou de l’IS français. Cette retenue à la source, dont le taux est aujourd’hui de 12,8 % lorsque le bénéficiaire est une personne physique et de 25 % lorsque celui-ci est une personne morale, est supportée, selon l’article 1672-2 du CGI, par la personne en France qui assure le paiement des revenus, c’est-à-dire, dans la plupart des cas, la société propriétaire de l’immeuble censée avoir accordé l’avantage anormal. Cette société devra alors supporter l’ensemble des rappels d’imposition associés au redressement, y compris la retenue à la source. Pour le calcul de la retenue à la source, l’Administration considère que l’avantage octroyé est net de retenue à la source non acquittée, ce qui lui permet de calculer les rappels d’impôt sur une base reconstituée incluant le montant des retenues à la source (calcul dit « en dedans »). Cela aboutit à des taux d’imposition effectifs de 15,76 % (soit 12,8/81,2) pour une personne physique et de 33,33 % (soit 25/75) pour une personne morale.
L’impôt de distribution s’applique en principe tant aux sociétés françaises qu’étrangères, si elles sont soumises à l’IS en France (3), notamment à raison de la détention d’un bien immobilier français. En effet, l’article 108 du CGI permet de traiter comme des revenus de capitaux mobiliers l’ensemble des bénéfices réputés distribués par une entité soumise à l’IS en France, même étrangère. Cette solution est également admise dans l’hypothèse où l’avantage occulte est réputé versé par une société de personnes française fiscalement translucide propriétaire du bien, détenue par une société de capitaux étrangère relevant en France de l’IS. Cet avantage correspond, pour la part des bénéfices de la société de personnes revenant à la société étrangère associée, à une distribution de revenus imposable dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers (4).
Néanmoins, les décisions de jurisprudence ayant admis ces solutions traitaient à chaque fois de bénéficiaires résidents de France. La question est plus délicate lorsque le bénéficiaire n’est pas un résident fiscal français et que la société source du bénéfice réputé distribué est soit une société étrangère, soit une société de personnes française translucide détenue par une société étrangère opaque. Dans un tel cas de figure, on peut exprimer un doute sur la possibilité d’assujettir ces sociétés à la retenue à la source de l’article 119 bis du CGI. Certes, dans une décision récente (5), le Conseil d’Etat a validé l’assujettissement d’une société de personnes détenue par des non-résidents à la retenue à la source de l’article 119 bis du CGI. Mais cette solution se fondait sur l’article 75 de l’annexe II au CGI qui qualifie d’établissement payeur une société fiscalement translucide au titre des revenus qu’elle perçoit. En outre, la situation dans cette affaire était assez spécifique, puisque la société de personnes française ne versait pas le revenu réputé distribué mais, bien au contraire, elle le percevait en tant que bénéficiaire de l’avantage anormal.
Dans sa doctrine, l’Administration indique, qu’outre l’hypothèse d’un assujettissement à la « branch tax » (6) de l’article 115 quinquies du CGI, la retenue à la source prévue à l’article 119 bis du CGI ne concerne que des sociétés soumises à l’IS et ayant leur siège en France (7). Ces deux conditions prises cumulativement devraient donc exclure du champ de cette retenue à la source, d’une part, les sociétés de personnes et d’autre part, les sociétés étrangères.
Par ailleurs, dans l’hypothèse de bénéficiaires non-résidents, les conventions fiscales conclues par la France devraient pouvoir être invoquées, malgré la difficulté à appréhender des situations où l’avantage constitué par la minoration ou l’absence de loyer est réputé versé par une société étrangère à un bénéficiaire lui-même non-résident. On peut toutefois relever que dans une affaire impliquant des bénéfices réalisés en France par une société polonaise et considérés comme distribués à son associé polonais, le Conseil d’Etat a accepté d’appliquer la clause balai de la convention fiscale franco-polonaise, interdisant de ce fait l’assujettissement de l’associé réputé bénéficiaire à un impôt de distribution français (8). La transposition d’une telle approche permettrait d’empêcher l’assujettissement d’une société étrangère à la retenue à la source de l’article 119 bis du CGI au titre de redressements fondés sur la valeur locative d’un bien immobilier français qu’elle détient.
1. CAA Lyon 21 juillet 1995 n°93-1983 SA Pamobir.
2. Par exemple CE, 9e et 7e s.-s., 12 novembre 1990 n° 71047, SA Trèbe.
3. CE, 8e et 3e ch., 24 novembre 2010 n° 308646 Seguin.
4. CE, 3e et 8e ch., 11 octobre 2019 n°399010 Ghrenassia reprenant la logique suivie dans la décision CE, 3e et 8e ch., 29 juin 2001 n°223663 min. c/ Belmes.
5. CE 6 décembre 2021, n°429308.
6. Applicable notamment aux bénéfices d’établissements stables français.
7. BOI-RPPM-RCM-10-20-20-10, 12 sept. 2012, § 10.
8. CE, 8e et 3e ss-sect., 31 janv. 2001, n° 199543, SA Bank Polska Kasa Opieki (BPKO).
9. CE, 8e et 3e ch., 24 novembre 2010 n° 308646 Seguin.