Les opérations sur le capital des sociétés (cession de titres, prise de participation, joint-venture, etc.) se manifestent par des échanges d’informations sensibles entre investisseur/acquéreur potentiel (pour les besoins de cet article l’«Acquéreur») et vendeur(s), lesquels ont des intérêts divergents.
Par Christophe Lefaillet, avocat associé, spécialisé en droit des sociétés et en fiscalité (droits d’enregistrement et ISF). Il couvre l’ensemble des questions relatives aux opérations transactionnelles. christophe.lefaillet@cms-bfl.com et Adeline Benoit, avocat, spécialisée en droit des sociétés. Adeline intervient pour le compte de sociétés et de fonds d’investissements dans le cadre d’opérations de restructuration et de fusion-acquisition.adeline.benoit@cms-bfl.com
Le vendeur doit communiquer un certain nombre d’informations (financières, fiscales, juridiques, commerciales, opérationnelles, etc.) sur la société cible et son activité. De crainte que l’Acquéreur cherche à collecter des informations sur la société sans réelle intention d’entrer à son capital, le vendeur cherchera à en limiter la communication. Il devra toutefois donner une information exacte, suffisante et sincère à l’autre partie, sur la base de son obligation de bonne foi. L’Acquéreur, quant à lui, cherchera à obtenir un maximum d’informations qui seront le fondement de sa décision d’acquérir la cible, de prendre une participation au capital ou d’y renoncer. Il est rappelé que, de surcroît, l’échange d’informations sensibles entre concurrents est prohibé par le droit de la concurrence, pour lequel il sera porté une attention particulière dans ce type d’opérations.
De pratique générale, les parties déterminent les règles qui gouverneront la communication de ces informations sous la forme d’un engagement de confidentialité («non-disclosure agreement» ou «NDA») dont les termes pourront faire l’objet de négociations. En outre, la lettre d’intention adressée ultérieurement par l’Acquéreur (qui pourra être le cas échéant contresignée par le vendeur) contient généralement une clause de confidentialité, avec des développements limités compte tenu du NDA.
Il conviendra d’être attentif à la rédaction de ces accords précontractuels, lesquels devront contenir les stipulations relatives à la définition des informations confidentielles, aux personnes concernées par l’engagement de confidentialité, à la nature de l’engagement de confidentialité, à la durée de l’engagement de confidentialité et aux sanctions encourues en cas de violation de cet engagement.
Définition des informations confidentielles
Compte tenu de la quantité d’informations communiquées dans les opérations d’acquisition, il est difficile d’identifier avec précision, sans risque d’erreur ou d’omission, les informations réputées confidentielles1. Aussi, il est fréquent de ne prévoir qu’une définition générale des informations à caractère confidentiel, en faisant référence à toutes les informations échangées dans le cadre de l’opération envisagée.
Néanmoins, il est dans l’intérêt de l’Acquéreur de limiter autant que possible les informations concernées par l’engagement de confidentialité et donc de limiter le risque de s’en voir reprocher la violation. Il pourra être utile de prévoir des exclusions de certaines catégories d’informations (les informations disponibles publiquement, les informations dont l’Acquéreur avait déjà connaissance et ne faisant pas l’objet d’un engagement de confidentialité, les informations appartenant à l’entreprise et soumises à des obligations de publicité, etc.).
L’engagement de confidentialité pourra en outre porter sur l’existence même des négociations entre les parties.
Personnes concernées
L’engagement de confidentialité n’est pas supporté uniquement par les personnes négociant l’opération. Toute personne ayant communication des informations confidentielles du vendeur (salariés, conseils de l’Acquéreur) doit être débiteur de cette obligation. Certains accords vont même jusqu’à préciser l’identité des personnes concernées par l’obligation de confidentialité.
En pratique, il est fréquent que l’Acquéreur prenne la responsabilité du respect de l’engagement de confidentialité par les personnes auxquelles il transmet les informations confidentielles2. Il est également opportun de stipuler que l’Acquéreur s’interdit de communiquer les informations reçues du vendeur à des tiers, une administration ou autorité sans l’accord préalable exprès et écrit du vendeur.
Utilisation et communication de l’information
L’engagement de confidentialité doit contenir non seulement l’interdiction de divulguer les informations reçues, mais aussi une limitation de leur utilisation aux seuls besoins de l’opération envisagée (i.e. l’évaluation de la société cible, l’identification de risques éventuels et la détermination de l’opportunité d’investir). De plus, l’engagement peut porter sur la restitution ou la destruction des informations communiquées (mais dont la mise en œuvre reste aléatoire, compte tenu des outils et des fonctionnalités d’archivage informatique).
La durée de l’engagement de confidentialité
Les opérations sur le capital des sociétés sont soumises à de nombreux aléas. Aussi, il est fondamental de prévoir la survie de l’engagement de confidentialité, y compris en cas de rupture des négociations entre les parties.
Ces dernières jouissent d’une grande liberté contractuelle en la matière. S’il est difficile de dégager une tendance quant à la durée de l’engagement, une durée de cinq à dix ans, à compter de la signature du NDA ou de la lettre d’intention, apparaît suffisante pour assurer la protection de l’information3. Seule limite : la prohibition des engagements perpétuels. A défaut de durée limitée, l’engagement de confidentialité serait considéré comme un engagement à durée indéterminée et chacune des parties pourrait y mettre fin à tout moment.
Sanctions de la violation de l’engagement de confidentialité
La violation de l’engagement de confidentialité est sanctionnée civilement par des dommages et intérêts, sous réserve d’établir une faute, un dommage et un lien de causalité. Pour obtenir réparation, la partie lésée fait face à une difficulté majeure : elle doit prouver non seulement que la divulgation de l’information lui a causé un préjudice, mais elle doit aussi être capable de le quantifier. Les parties peuvent remédier à cette difficulté en prévoyant contractuellement une clause pénale qui fixe à l’avance le montant de la réparation du préjudice. Ainsi, l’indemnisation du vendeur sera facilitée, en ce qu’il n’a besoin que de prouver la violation de l’engagement de confidentialité. Cependant, privilégiant les négociations en vue de conclure un contrat, les parties ne mentionnent que rarement des sanctions spécifiques en cas de violation de l’obligation de confidentialité.
L’Acquéreur peut être tenté de négliger la rédaction des accords précontractuels en matière de confidentialité. Pourtant, il est dans son intérêt de montrer au vendeur qu’il utilisera les informations qui lui seront communiquées de manière prudente, dans des conditions et règles de nature à garantir la protection de ces informations.
1. «Les engagements de confidentialité dans les opérations d’acquisition d’entreprises», Bulletin Joly Sociétés, 1er juillet 1992, n° 7-8, p. 722.
2. Cf. Marianne Pezant, «Les accords de confidentialité», Actes pratiques et ingénierie sociétaire, mars-avril 2015.
3. Cf. Guillaume Forbin, «Comment gérer les informations confidentielles en cours de pourparlers ?», RDAI, 1998, n° 4/5, p. 478.