Le succès d’une opération de LBO dépend notamment de la capacité de l’équipe managériale à créer de la valeur et accroître la rentabilité de la cible. A cet égard, il apparaît souvent nécessaire de rapprocher les intérêts des investisseurs avec ceux des managers en répartissant entre eux l’accroissement de valeur de l’entreprise : tel est l’objet des management packages.
Par Pierre Le Roux, avocat associé, spécialisé en fiscalité. Il intervient tant en matière de fiscalité des entreprises et groupes de sociétés, notamment dans le cadre de structurations fiscales, qu’en private equity s’agissant de la fiscalité des fonds, fonds de fonds et SCR. Il est membre depuis l’origine de la commission législation et fiscalité à l’Afic. (pierre.leroux@cms-bfl.com) et Romain Marsella, avocat associé, spécialisé en fiscalité. Il intervient en matière de fiscalité des entreprises et groupes de sociétés et les assiste notamment dans le cadre d’opérations d’acquisition et de restructuration. (romain.marsella@cms-bfl.com).
Cela étant, les mécanismes utilisés se rapprochent parfois de mécanismes d’intéressement pouvant conduire l’administration fiscale à refuser aux revenus en question la qualification de plus-values pour les taxer en tant qu’avantages en argent dans la catégorie des traitements et salaires.
Cette requalification vient, pour la première fois, d’être validée par le Conseil d’Etat dans une décision du 26 septembre 2014 qui donne l’occasion de dresser un premier état des lieux du traitement fiscal des différentes «formules» envisageables à l’occasion de la mise en place des management packages.
Rappelons brièvement les faits ayant donné lieu à la récente décision du Conseil d’Etat. En septembre 1999 une personne physique a constitué, avec un groupe financier, une holding de reprise qui a pris le contrôle d’une société industrielle. Le groupe financier a, dans le cadre de ce LBO, consenti à la personne physique nommée dirigeant de la société industrielle et président de la holding, une option d’achat portant sur un certain nombre de titres de la holding de reprise, au prix unitaire de 7,62 euros. Cette option a été octroyée moyennant le versement, par le dirigeant, d’une indemnité d’immobilisation de 13 000 euros environ, et la levée de l’option d’achat était subordonnée à la condition que le dirigeant assume des fonctions de direction au sein de la société industrielle pendant au moins cinq ans à compter de la signature de la promesse, tandis que le nombre des actions sous option dépendait du taux de rendement interne de la société, qui devait être d’au moins 25 %. Un peu plus de cinq ans après l’opération de LBO, le dirigeant a levé les options d’achat de plus de 35 000 actions et a cédé ses titres, dès le lendemain, à un prix unitaire excédant 65 euros, réalisant à cette occasion une plus-value d’un peu plus de 2 millions d’euros.
La qualification de plus-value au gain en question a été remise en cause par l’Administration qui a imposé le dirigeant dans la catégorie des traitements et salaires. Le redressement a été confirmé par la cour administrative d’appel de Paris (arrêt n° 11PA04246 du 28 novembre 2012) et donc par le Conseil d’Etat.
Après avoir rappelé les conditions d’octroi des options d’achat de titres (obligation de demeurer dirigeant de la cible, nombre d’actions subordonné à l’atteinte d’un TRI), le Conseil d’Etat juge que «l’écart entre le prix de cession des actions et le prix fixé dans la convention correspondait, dans sa totalité, à un revenu qui trouvait sa source dans les conditions dans lesquelles l’option d’achat des actions avait été consentie et qui avait le caractère d’un avantage en argent imposable dans la catégorie des traitements et salaires».
A cet égard, les conditions d’octroi des options d’achat de titres semblent bien constituer l’élément déterminant. Pour preuve, le fait que cet argument soit repris un peu plus loin dans l’arrêt lorsque le Conseil d’Etat rappelle que c’est «à raison des caractéristiques de la convention d’option d’achat d’actions» que la Cour, alors même que le contribuable était tout à la fois actionnaire et dirigeant de la société, a pu, à bon droit, décider que le gain en cause avait le caractère non d’un revenu en capital mais d’un avantage en argent. Il semble, à cet égard, que les indices de requalification retenus soient cumulatifs.
Le fait que la cession des actions soit assortie d’une clause de garantie de passif est en revanche sans effet. De même, demeure sans incidence le fait que l’avantage requalifié en salaire soit accordé par les actionnaires de la holding et non par l’employeur.
Reste alors la question du critère lié au risque pris par le manager. Sur ce point, le Conseil d’Etat n’apporte pas de réelle clarification. Au cas d’espèce il refuse de censurer, pour dénaturation des faits, l’arrêt de la cour administrative d’appel qui avait estimé que l’indemnité d’immobilisation, d’un montant inférieur à 1 % du gain retiré de la cession des actions, présentait un caractère «modique». En premier lieu, il convient de relever qu’il est éminemment contestable d’apprécier la «modicité» du risque supporté par comparaison à un gain par essence aléatoire. En second lieu, il est légitime de conclure que la solution serait différente dans l’hypothèse où le dirigeant aurait été exposé à un risque en capital plus élevé que dans l’affaire ici commentée et que le Conseil d’Etat se montrerait, à l’instar du Comité de l’abus de droit, (affaire n° 2013-10) sensible à l’argument selon lequel la prise de risque chasse la qualification de traitements et salaires.
Le dernier apport de cette décision est de préciser à quelle date «l’avantage», identifié comme tel, doit être taxé. S’agissait-il de la date d’octroi de l’option d’achat ou celle de la réalisation du revenu, à savoir la vente des actions issues de l’exercice de l’option ? Le Conseil d’Etat confirme que c’est seulement en 2004, année de la cession des actions, que le revenu en cause est devenu disponible, et par conséquent taxable.
Il est clair que cette décision n’incitera pas à avoir recours aux instruments optionnels (promesses de vente voire bons de souscription d’actions alors même qu’il s’agit de valeurs mobilières). Cela étant, les formules reposant sur l’octroi d’options ne sont qu’exceptionnellement utilisées depuis les dernières réformes législatives qui leur ont refusé non seulement le bénéfice des abattements pour durée de détention, mais également l’éligibilité aux avantages fiscaux du plan d’épargne en actions.
D’aucuns pourraient estimer que l’arrêt fragilise aussi les autres formes de management package, y compris celles reposant sur la souscription (ou l’achat) d’actions par les managers, dans les mêmes conditions que les investisseurs financiers.
Pour autant, lorsque ni le prix de souscription (ou d’achat), ni le prix de cession des valeurs mobilières ne conduisent à cristalliser l’octroi d’un avantage aux managers, nous ne voyons pas comment l’Administration pourrait valablement remettre en cause la qualification de plus-value, nonobstant la mise en place de mécanismes correctifs «punitifs» liés à la non atteinte d’un rendement escompté et/ou à une durée de présence insuffisante dans l’entreprise.
Par ailleurs, on ne voit aucun motif – sauf à considérer, ce qui ne résulte nullement de la lettre des textes, que tout mandat social/contrat de travail écarterait la qualification de plus-value – qui justifierait d’apprécier l’intensité du risque, révélateur du gain en capital, à l’aune de la plus-value réalisée, ou de la consistance du patrimoine ou, encore, de la rémunération de l’intéressé.
En définitive, cette décision n’apporte que peu de clarifications et comporte de nombreuses zones d’ombre. Elle invite en tout cas à examiner très soigneusement les conséquences fiscales des nombreux paramètres négociés à l’occasion de la mise en place des opérations de LBO.