La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Décembre 2014

L’obligation d’information des salariés en cas de cession d’entreprise : un dispositif complexe à efficacité limitée

Publié le 5 décembre 2014 à 10h52    Mis à jour le 5 décembre 2014 à 18h25

Isabelle Buffard-Bastide, Pierre Bonneau et Christophe Lefaillet

Afin de lutter contre la fermeture d’entreprises saines faute de repreneurs, le Gouvernement a souhaité encourager les propriétaires sans ayant-droit à transmettre leur entreprise à leurs salariés.

Par Isabelle Buffard-Bastide,avocat associé. Spécialisée en droit des sociétés et en droit commercial, elle intervient plus particulièrement sur les questions relatives aux opérations de private equity, notamment pour des fonds d’investissement et des actionnaires familiaux. (isabelle.buffard-bastide@cms-bfl.com), Pierre Bonneau, avocat associé, spécialiste en droit social. Il est notamment le conseil de plusieurs établissements bancaires et financiers et intervient régulièrement sur des opérations de rapprochement ou de cession d’entreprises. (pierre.bonneau@cms-bfl.com)et Christophe Lefaillet, avocat associé, spécialisé en droit des sociétés et en fiscalité (droits d’enregistrement et ISF). Il couvre l’ensemble des questions relatives aux opérations transactionnelles. (christophe.lefaillet@cms-bfl.com)

Adoptée dans cette perspective, la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, dite loi Hamon, instaure une obligation d’information à destination des salariés en cas de cession du fonds de commerce ou de la société au sein de laquelle ils travaillent. Le premier dispositif de cette loi consiste en une obligation d’information générale triennale s’appliquant aux salariés des sociétés de moins de 250 salariés. Cette dernière porte sur les conditions juridiques de la reprise de l’entreprise par les salariés, sur ses avantages et difficultés ainsi que sur les dispositifs d’aide. La loi institue ensuite et surtout un dispositif d’information spéciale en cas de cession (alors que l’objectif de la loi était de permettre des cessions aux salariés lorsque précisément aucune cession n’était envisagée…) dont les contours ont été précisés par le décret n° 2014-1254 du 28 octobre 2014.

 

Quelles sont les entreprises concernées par l’obligation d’information ?

Le dispositif d’information spéciale instauré par la loi Hamon vise deux catégories d’entreprises commerciales (articles L. 141-28 ; L. 141-23 et

L 23-10-1 et L23-10-7 du Code du commerce). 

Il s’impose tout d’abord aux petites entreprises dont l’effectif est inférieur à 50 salariés et qui n’ont donc pas l’obligation de mettre en place un comité d’entreprise. 

Le dispositif d’information concerne ensuite les entreprises soumises à l’obligation de mettre en place un comité d’entreprise et se trouvant, à la clôture du dernier exercice, dans la catégorie des «petites et moyennes entreprises» au sens de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie. Cette catégorie comprend les entreprises qui ont un effectif compris entre 50 et 250 salariés et dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 50 millions d’euros ou dont le total du bilan annuel ne dépasse pas 43 millions d’euros. Ces critères cumulatifs sont appréciés au niveau de l’entreprise et donc indépendamment d’un rattachement éventuel à un groupe. Ainsi, ne sont pas concernées par le nouveau dispositif d’information les entreprises de plus de 250 salariés.

 

Quelles sont les opérations concernées ?

L’opération envisagée doit porter sur la cession d’un fonds de commerce ou d’une participation représentant plus de 50 % des parts sociales d’une société à responsabilité limitée ou des actions ou valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital d’une société par actions.

Cette notion de cession est comprise très largement. En effet, d’après le guide pratique disponible sur le site

www.economie.gouv.fr depuis la publication du décret, il s’agit de toute opération juridique par laquelle une personne, le cédant, transmet la propriété d’un bien à une autre personne, le cessionnaire. Toujours selon le même guide, entrent dans la définition des cessions une dation en paiement, une transaction, une fiducie, un échange ou encore un apport en société. Les cessions intra-groupes sont également comprises dans le champ d’application de la loi lorsqu’elles ont lieu en un seul bloc majoritaire. En revanche, un transfert de propriété dans le cadre d’une transmission universelle de patrimoine n’est pas considéré comme une cession. De même, ne sont pas concernées par l’obligation d’information, d’une part, les transmissions réalisées dans le cadre d’une succession, d’une liquidation du régime matrimonial ou d’une cession du fonds au conjoint, à un ascendant ou descendant et, d’autre part, les entreprises en cours de procédure de conciliation, de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire.

Enfin, notons que la loi n’envisage pas l’hypothèse de titres démembrés ou en indivision. 

 

Quels sont les acteurs concernés ?

Tout d’abord, la loi traite des cessions d’entreprises par un vendeur unique et ne semble donc pas devoir s’appliquer en cas de cession par plusieurs vendeurs. En outre, le dispositif ne semble viser que les cessions directes, de sorte que la cession portant sur les titres d’une société holding (sans salarié) n’entraînerait aucune obligation d‘information des salariés de la société opérationnelle. Si cette lecture stricte du texte devait être confirmée, l’interposition d’une holding pourrait donc suffire à ne pas déclencher le dispositif d’information des salariés, hors fraude à la loi.

Enfin, la notion de «salariés» elle-même a été précisée par le guide publié : si les apprentis bénéficient de cette information, les intérimaires, les stagiaires et les demandeurs d’emploi participant à une action d’évaluation en milieu de travail sont pour leur part expressément exclus du périmètre de cette obligation.

 

Quelles sont les modalités d’information des salariés ?

Précisée par l’article 1er du décret du 28 octobre 2014 susvisé, l’obligation d’information du cédant se limite à informer les salariés, d’une part, de sa volonté de vendre l’entreprise ou le fonds de commerce et, d’autre part, du fait qu’ils peuvent mettre en place une offre d’achat. Le dispositif ne prévoit aucune autre information ni la remise d’aucun document relatif au fonctionnement, à la comptabilité ou à la stratégie de l’entreprise. Le salarié peut très bien répondre qu’il ne souhaite pas présenter l’offre. Dans le cas contraire, le cédant n’est quant à lui pas tenu de répondre à l’offre qui lui est faite, ni d’entrer en négociation avec le salarié. Par ailleurs, la cession pourra toujours intervenir avant l’expiration du délai de deux mois, laissé aux salariés pour présenter le cas échéant une offre, dès lors que chaque salarié aura fait connaître au cédant sa décision de ne pas présenter d’offre (articles L. 141-23, alinéa 4 et L. 23-10-1, alinéa 3 du Code de commerce).

Les modalités d’information des salariés se veulent très souples : le chef d’entreprise peut en effet recourir à tout moyen de nature à rendre certaine la date de réception de l’information par le salarié. Le décret liste à titre non exhaustif les moyens suivants :

- au cours d’une réunion d’information des salariés avec signature d’un registre de présence ;

- par un affichage avec signature d’un registre ;

- par courrier électronique, à la condition que la date de réception puisse être certifiée ;

- par remise en main propre, contre émargement ou récépissé d’un document écrit mentionnant les informations requises ;

- par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ; 

- par acte extrajudiciaire (exploit d’huissier par exemple).

Sur la forme, la remise de l’information en main propre contre émargement ou récépissé sera peut-être à privilégier pour limiter les difficultés liées à une éventuelle absence de réception du document par certains salariés. 

 

Quelles sont les modalités d’assistance des salariés ?

Le nouvel article L. 141-24 du Code de commerce inséré par la loi Hamon permet aux salariés de demander à «se faire assister par un représentant de la chambre de commerce et de l’industrie régionale, de la chambre régionale d’agriculture, de la chambre régionale de métiers et de l’artisanat territorialement compétentes en lien avec les chambres régionales de l’économie sociale et solidaire», mais aussi «par toute personne désignée par les salariés». Les modalités de cette assistance seront précisées par un décret, lequel devra en particulier traiter la question du périmètre et de la nature des informations dont pourra bénéficier ce représentant. 

Dans quelle mesure l’obligation de confidentialité s’applique-t-elle ?

Le décret précise que le salarié devra informer l’exploitant ou le chef d’entreprise, lorsqu’il se fait assister, dans les meilleurs délais et par tout moyen. La personne qui assistera le salarié sera tenue à la même obligation de confidentialité que le salarié (articles D. 141-5 et D. 23-10-3 du Code de commerce). 

Notons toutefois que l’obligation de confidentialité pesant sur les salariés semble relative, voire peu réaliste, étant donné que de nombreuses personnes seront potentiellement amenées à connaître du projet de cession. La possibilité de faire intervenir des «tiers» afin d’assister les salariés en vue de la présentation d’une offre semble également remettre en cause le principe de confidentialité. Notamment, l’intervention de «toute personne désignée par les salariés» en vue de présenter une offre de rachat semble floue. Le guide indique à ce sujet que l’obligation de discrétion ne peut être opposée au salarié qui révèlerait l’information à une personne dont il sollicite le concours (banquier ou conseil juridique notamment).

 

Quelles sont les conséquences en cas d’absence d’information ou d’information tardive ?

La sanction en cas de non-respect du dispositif d’information instauré par la loi Hamon est d’une particulière sévérité. Sa méconnaissance expose en effet à une action en nullité exercée à l’encontre de la cession concernée. Cette nullité est à la fois relative et facultative : tout salarié qui n’a pas été informé, qui n’a eu qu’une information partielle ou qui n’a été informé que tardivement (moins de deux mois avant la réalisation de la cession pour les entreprises de moins de 50 salariés et après la consultation du CE, mais avant la réalisation de la cession pour les PME de plus de 49 salariés) peut la demander. La prescription, très courte, est alors de deux mois. Ce délai court à compter du jour où l’ensemble des salariés a été informé par tout moyen rendant la date de réception de l’information certaine.

 

Quel avenir pour ces dispositions ?

Suivant le guide publié, une mission parlementaire évaluera, pour le début de l’année 2015, les conditions concrètes de mise en œuvre du dispositif d’information dans les cessions d’entreprises. Cette mission devrait alors émettre des recommandations afin de faciliter et d’accompagner les transmissions et reprises d’entreprises.

 

1. Cass. civ. 7 mai 2014 n° 743.

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Au sommaire de la lettre


La lettre des fusions-acquisition et du private equity

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