Le Tribunal administratif (TA) de Montreuil a récemment eu à juger de l’éligibilité au régime des sociétés mères d’«interim dividends» versés par une société anglaise à une société française(1). Au cas particulier, le résultat comptable constaté en fin d’exercice augmenté des réserves disponibles était inférieur au montant des «interim dividends».
Par Thierry Granier, avocat associé, spécialisé en fiscalité internationale, intervenant en matière de private equity dans les opérations de financement et d’acquisition dans un contexte international. Il assiste plusieurs fonds d’investissement et établissements financiers dans leurs opérations à dimension internationale (thierry.granier@cms-bfl.com) et Benoît Foucher, avocat spécialisé en fiscalité internationale et dans les aspects fiscaux des financements structurés. En matière de private equity, il intervient dans les opérations de financement et d’acquisitions dans un contexte international. Il assiste plusieurs fonds d’investissements et établissements financiers dans leurs opérations à dimension internationale. (benoit.foucher@cms-bfl.com).
L’Administration a partiellement remis en cause l’application du régime des sociétés mères, étant précisé qu’à ce stade, il n’est pas possible de déterminer précisément à quoi correspond exactement le montant remis en cause.
Le TA a donné raison à l’Administration et a jugé que dans la mesure où les «interim dividends» litigieux n’ont pas été intégralement prélevés sur le résultat imposable dégagé par la société distributrice à la clôture de l’exercice, ils n’entraient pas dans le champ d’application des dispositions combinées des articles 145 et 216 du Code général des impôts (CGI) qui tendent à prévenir le risque de double imposition des dividendes provenant de filiales.
Une telle motivation ne peut que surprendre.
Une référence inopportune au risque de double imposition
Ni l’article 145, ni l’article 216 du CGI ne font référence au niveau d’imposition de la filiale distributrice. On relèvera qu’une tentative de faire échec à l’application du régime des sociétés mères fondée sur une absence d’imposition de la filiale distributrice a été tentée par l’administration fiscale dans l’arrêt Alcatel CIT(2), mais sur le fondement de l’abus de droit. Différence nous semble-t-il notable avec la position du TA fondée sur une simple interprétation des textes. Et même sur le fondement de l’abus de droit, l’argument a été balayé par le Conseil d’Etat. Le rapporteur public Collin a également estimé que le Conseil d’Etat avait implicitement jugé dans ses décisions Sagal(3) et CICM(4) que le régime des sociétés mères était applicable même en l’absence d’imposition de la filiale.
La régularité de la distribution importe-t-elle ?
Le Tribunal relève expressément que les distributions litigieuses avaient été régulièrement effectuées selon le droit anglais. La référence au droit anglais, plus souple que le droit français sur ce type de distributions, est heureuse. Ceci étant, on peut s’interroger sur le point de savoir si cette référence est réellement pertinente.
En effet, l’article 216 du CGI se réfère non pas à la notion de «dividendes», mais à celle plus large de produits nets de participations. Ainsi, s’il a pu être jugé dans une décision Cremona(5) qu’un acompte sur dividendes qui ne respectait pas les formes prévues par le droit commercial ne pouvait pas bénéficier de l’avoir fiscal, il n’en va pas ipso facto de même pour le régime des sociétés mères, sur le fondement de l’autonomie du droit fiscal, puisque la notion de «produit net de participations» au sens de l’article 216 du CGI n’est définie ni par le droit civil, ni par le droit commercial, ni par le droit comptable.
Une approche hétérodoxe de la notion de «produits nets de participations»
Le TA a rappelé la définition des «produits nets des participations» dégagée par le Conseil d’Etat dans un arrêt en date du 6 juin 1984, aux termes duquel «les produits nets de participations mentionnés à l’article 216 du CGI doivent trouver leur origine dans les résultats que dégagent les filiales et dont le versement à la société mère procède des droits attachés aux participations détenues par celle-ci dans lesdites filiales». Cependant, l’application que le TA fait de cette définition semble critiquable.
D’une part, le TA précise que les «interim dividends» litigieux n’ont pas été intégralement prélevés sur le résultat imposable dégagé par la société distributrice. Le renvoi au résultat fiscal ne peut qu’étonner dans la mesure où il n’y a pas de correspondance entre la capacité distributive et le résultat fiscal.
D’autre part, le TA n’a pas traité du point de savoir si les distributions, même irrégulières, n’avaient pas été perçues par la société mère ès qualité, caractéristique principale des produits nets de participations éligibles au régime des sociétés mères.
1. TA de Montreuil, 1er juillet 2014, n° 1210110.2.
2. Conseil d’Etat, 15 avril 2011, n° 322610, Alcatel CIT.4. CAD, Aff. n° 2013-53.
3. Conseil d’Etat, 18 mai 2005, n°267087, Sté Sagal.
4. Conseil d’Etat, 27 juillet 2009, n°295358, CICM.
5. TA de Nice, 14 mai 2002, n° 98-5551, Cremona.